vendredi 4 septembre 2009
En une heure et demi d’images et de commentaires, le film d’Yann-Arthus Bertrand ne parvient pas à identifier la cause précise des dégradations environnementales. En fait, l’idée implicite est que cette crise est le résultat de la nature humaine, plus exactement des vices de notre espèce.
D’entrée de jeu, le commentaire affirme qu’Homo sapiens a dilapidé « l’héritage de quatre milliards d’années » d’histoire naturelle. La crise écologique apparaît ainsi comme le juste châtiment de l’enfant trop gâté. Plus loin, le rôle clé de l’exploitation des combustibles fossiles est assez correctement mis en évidence, mais les raisons pour lesquelles la Révolution industrielle y a eu recours, et surtout les raisons pour lesquelles ces combustibles demeurent la source d’énergie par excellence du capitalisme, sont passées sous silence. Pour « Home », l’exploitation frénétique des ressources n’est pas le produit de la course au (sur)profit : elle découle de la fâcheuse tendance du genre humain à vouloir travailler moins pour jouir plus de l’existence, qui entraîne prolifération de l’espèce et destruction des richesses naturelles.
Logiquement, « Home » reprend à son compte la fable de l’écocide, inventée par l’auteur à succès Jared Diamond. Diamond prétend que les Polynésiens, pour ériger des statues arrogantes, auraient ravagé l’écosystème de l’île de Pâques au point de faire sombrer leur civilisation dans la barbarie. Cette théorie n’a plus guère de crédit parmi les spécialistes : certains soulignent que la civilisation pascuane a succombé sous les coups de boutoir des raids esclavagistes, d’autres précisent que les forêts de l’île n’ont pas été détruites par les habitants mais par les rats. Malgré tout, la fable a la vie dure. Pour une raison idéologique : extrapoler de l’île à la planète permet de gommer les différences fondamentales entre les crises écologiques d’hier et d’aujourd’hui. Donc d’escamoter la responsabilité spécifique du capitalisme, alors que c’est précisément ce système productiviste qui nous menace. A cet égard, le commentaire de « Home » sonne comme un aveu : « (la théorie de l’écocide) n’est qu’une théorie parmi d’autres, mais c’est celle qui nous intéresse », dit Yann-Arthus Bertrand. Autant dire que ce film n’est qu’un morceau de propagande.
Propagande pour quoi, pour qui ? Pour le capitalisme ? En définitive, oui. Envoûté par les images, chaviré par l’énumération des catastrophes, le spectateur angoissé pousse un « ouf » de soulagement en apprenant à la fin que nos responsables prennent la mesure du défi. Du Danemark à la Nouvelle Zélande, du Gabon aux Etats-Unis, du Costa Rica à l’Autriche, gouvernements et entreprises seraient de plus en plus nombreux à adopter les mesures qui s’imposent. Financé par le groupe capitaliste PPR (Conforama, Yves Saint-Laurent, GUCCI, FNAC,etc...) de François-Henri Pinault, le film se met lui-même en scène comme la manifestation exemplaire de cette prise de conscience des élites… qui montrent la voie à suivre. (Achetez Gucci, mettez-y le prix, c’est bon pour la planète).
Mais gare au simplisme. L’emballage idéologique de l’opération mérite qu’on s’y attarde. « La Terre est un miracle, la vie reste un mystère » : l’une et l’autre sont souillées par les péchés capitaux, notamment la paresse, l’envie et la luxure. Dès lors, le sort de la planète ne passe plus par des changements sociaux, structurels, mais par un examen de conscience – « acceptons de faire les comptes de tout ce dont nous sommes les seuls responsables » - débouchant sur une conversion individuelle à l’écologie : « Nous avons tous le pouvoir de changer », « Chacun peut agir, du plus pauvre au plus riche ». A croire le film, il suffirait que nous (toujours « nous ») devenions des « consommateurs responsables » soucieux de « commerce équitable », pour que commence « une nouvelle aventure humaine fondée sur l’intelligence, la mesure et le partage ». Comme si le capitalisme connaissait d’autre intelligence que celle du profit, d’autre mesure que la démesure de la production, d’autre partage que celui que les exploités lui imposent par la lutte !
L’écologie de « Home » est une idéologie du consensus et du châtiment, aux relents religieux. Elle cadre dans une vaste offensive capitaliste visant à utiliser la menace environnementale comme levier pour restructurer le capital aux frais du monde du travail, tout en semant le désarroi au sein de celui-ci. Face à cette écologie de la soumission, une autre écologie est nécessaire. Une écologie de la révolte, où l’éthique féconde l’action collective en vue de la transformation sociale. Une écologie anticapitaliste. C’est le sens de notre combat écosocialiste.
Le 31 juilet 2009.