Édition du 17 décembre 2024

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Réflexions post-pandémiques (et pré-électorales)

Les élections au Québec se tiendront dans quelques semaines à peine et selon les projections, une vague caquiste déferlera au Québec, les grands partis traditionnels libéraux et péquiste sont en crise profonde et les lendemains de la crise sanitaires constitueront un défi important pour les mouvements sociaux et la gauche politique. Québec solidaire se positionne comme la réelle opposition à la droite mais qu’en est-il vraiment. L’approche préconisée par la direction actuelle du parti de gauche sera t-elle efficace face à l’offensive austéritaire que nous prépare un gouvernement caquiste 2.0 aux lendemains des élections d’octobre prochains ? Si on se réfère à certains épisodes récents d’une approche qu’on pourrait qualifier de « collaborationniste », on peut se poser de sérieuses questions.

Récemment était publiés deux ouvrages fort intéressants. Dans un premier temps, dans « La caution verte : le désengagement de l’État québécois en environnement » l’ex-journaliste au quotidien Le Devoir Louis-Gilles Francoeur fait un tour d’horizon du rôle joué par le ministère de l’Environnement dans l’histoire récente du Québec. Une analyse importante compte tenu de l’importance de la lutte aux changements climatique que ce ministère devrait jouer. Puis un collectif d’auteurs et autrices font un bilan critique de la gestion caquiste de la pandémie de Covid-19 dans « Traitements-chocs et tartelettes : bilan critique de la gestion de la Covid-19 au Québec ». De ces deux bouquins dont je recommande fortement la lecture, nous devons tirer une leçon incontournable pour toute analyse critique : en aucun cas, nous devons accorder quelque confiance que ce soit aux dirigeant.e.s politique lié.e.s aux élites et à l’oligarchie comme la CAQ, le PLQ, le PQ ou le PCQ.

Il n’est pas question ici de résumer ou commenter les deux livres mentionnés plus haut. Elisabeth Fleury du Soleil et Anne-Frédérique Hébert-Dolbec du Devoir ont fait état de « Traitements-chocs et tartelettes ». On peut lire de bons commentaires sur l’ouvrages de Louis-Gilles Francoeur ici ou .

Ce qu’il faut retenir de ces lectures, c’est qu’il faut cesser de croire en la « bonne foi » des politicien.ne.s néolibéraux. Croire qu’il suffirait de justes arguments, de propos rationnels, d’une logique imparable pour convaincre le gouvernement Legault et ses sbires relève d’une naïveté certaine. Cette naïveté contribue à désarmer la population dans sa lecture des événements et à pousser certains secteurs populaires vers des croyances complotistes ou encore à céder au défaitisme. Voici quelques faits pour illustrer cette situation.

Depuis son élection en 2018, la CAQ, agrégat d’ex-péquistes et d’ex-libéraux avides de pouvoirs et décidés à terminer le travail de démolition des services publics et des acquis sociaux entamé par leurs prédécesseurs, a certes vu son agenda perturbé par la pandémie et les manifestations pour le climat. Ce parti sans programme en environnement lors de son accession au pouvoir a été contraint de céder sur plusieurs fronts grâce aux mobilisations citoyennes : feu rouge à GNL Québec, blocage des projets d’expansions du port de Québec, législation pour mettre un terme à l’exploration et à l’exploitation pétrolière et gazière, mise à la poubelle des projets d’oléoducs et de pipelines.

Dans ce contexte, quel poids eurent les initiatives telles celle du réalisateur de théâtre Dominic Champagne qui voulait « convaincre » la CAQ de prendre la direction de la lutte pour le climat, allant jusqu’à adhérer au parti ? Des dizaines de milliers de personnes ont signé son « pacte ». Ce fut certes une brique à l’édifice des mobilisations populaires qui ont ébranlé le gouvernement Legault. Mais le demi million de personne qui ont pris la rue en 2019 ont surement pesé davantage dans la balance qui a forcé le gouvernement à corriger le tir dans plusieurs dossiers.

Par ailleurs, la pandémie a perturbé l’agenda du gouvernement Legault mais lui a permis de construire malgré tout sa base électorale grâce notamment au silence des partis d’opposition et d’une stratégie qui mettait toutes les responsabilités sur les individus. Si la situation tournait à la catastrophe et ce fut le cas, le tort pointait vers les personnes qui n’ont pas assumé leurs responsabilités et non pas en direction du gouvernement qui s’est quant à lui accordé une note parfaite.

Par ailleurs, les mesures sanitaires ont eut pour conséquences l’atomisation de larges secteurs de la population, la suspension des conventions collectives et l’épuisement du personnel des services publics. Les négociations du secteur public ont donné lieu à de faibles mobilisations sauf dans le secteur des garderies. Les négociations se sont déroulées dans un ordre dispersé. Le gouvernement a gagné son pari de limiter les hausses salariales sauf pour quelques secteurs bien identifiés. Dans le secteur privé, c’était silence radio malgré le fait documenté que plusieurs secteur (construction, fabrication, transformation alimentaire, etc.) étaient à l’origine de nombreux cas d’éclosion.

Un cas exemplaire : le 3 mai 2019, Manon Massé déplorant la mort de la fillette de Granby dans la foulée des ratés de la Direction de la Protection de la Jeunesse et suite à l’annonce par le gouvernement Legault d’investissements dans le réseau a déclaré : « Quand il (François Legault NDLR) dit qu’il y aura l’argent nécessaire, quand il dit qu’il veut mettre en branle un processus de réflexion où tout le monde va être autour de la table et qu’il allait mettre l’argent, je l’ai vu dans ses yeux » et d’ajouter « Il se passe quelque chose où la partisanerie n’a plus sa place ». Trois années plus tard, le réseau est toujours dans un état déplorable, le personnel quitte en masse ne laissant que du personnel sans trop d’expérience et croulant sous la tâche, des signalements en hausse et des perspectives toujours plus sombres pour les jeunes bénéficiaires (risques d’itinérance, perspectives d’emploi peu reluisantes, etc.). QS s’est fait passer un sapin cette fois encore et le parti a contribué par son approche à consolider l’appui au gouvernement Legault dans un dossier où il était portant clair, une rapide recherche sur les votes de l’opposition caquiste en faveur des coupures dans les services publics aurait fait la démonstration que ce gouvernement faisait partie du problème, pas de la solution.

Les appels à la non-partisanerie

Une opinion répandue par une certaine gauche prétend qu’il faudrait laisser la partisanerie à la porte de l’Assemblée nationale, notamment Manon Massé dans l’exemple précédent et encore récemment Catherine Dorion qui pourtant quelques semaines auparavant expliquait sa décision de ne pas se représenter lors de la prochaine élections en qualifiant l’Assemblée nationale de « passée date » et de « système politico-économique rongé par les vers ». La députée de Taschereau clamait lors de l’adoption de la loi 35 sur le statut de l’artiste que « ça montre que quand on travaille ensemble et qu’on laisse la partisanerie à l’entrée du Salon bleu, on est capable de faire de grands progrès. » Si nous devions pousser cette logique jusqu’au bout, on pourrait réclamer l’abolition des partis politiques puisque ceux-ci semblent constituer, selon elle, l’obstacle vers un travail « efficace » des élu.e.s à l’assemblée nationale. Comment des élu.e.s campé.e.s à gauche peuvent ne serait-ce qu’un instant penser qu’une Assemblée nationale transpartisane serait plus efficace pour davantage de justice sociale, pour une véritable mobilisation contre les changements climatiques, des meilleures conditions de travail pour tous et toutes, la fin des oppressions et du racisme ?

À contrario, nous croyons que les prétendues collaborations avec les partis néolibéraux obligent à ramener les politiques au plus petit dénominateur commun, sans aller au fonds du problème. La gauche est ainsi contrainte de se joindre au consensus des partis néolibéraux faisant d’elle une complice de leurs politiques. On voit où mènent de telles politiques notamment en Europe là où plusieurs partis de la social-démocratie disparaissent, victimes de leurs politiques de plus en plus comparables à celles des partis néolibéraux. Un véritable parti de gauche cherche à se distinguer de partis néolibéraux et de leur gestion socio-économique. Une formation de rupture cherche par une approche pédagogique à identifier les acteurs et actrices de la société qui sont responsables du gâchis actuel et à présenter des alternatives à leur politiques. Cette formation devrait cultiver une saine méfiance et le doute perpétuel envers les élites qui sont responsables des crises actuelles (économique, sanitaire, climatique, etc.) et non pas tenter de convaincre que les partis néolibéraux peuvent être des partenaires utiles.

Québec solidaire cherche à sortir de la marginalité et c’est tout à fait légitime. Le parti doit être candidat au pouvoir et offrir à la population, aux classes populaires et aux personnes opprimées des politiques qui correspondent à leurs intérêts. Prétendre que ces derniers rejoignent ceux des classes dirigeantes et que des pactes conjoints peuvent être à l’avantage de tous et toutes représentent un leurre et mène aux compromissions de la gauche, rarement de la droite. Ceux et celles qui prétendent qu’un virage vers la « crédibilité », le « sérieux », le « pragmatisme », le « réalisme » permet d’élargir sa base électorale devraient observer les parcours du NPD-Québec, du PS français, du PASOK grec ou de la plupart des formations social-démocrates qui ont géré le capitalisme comme des formations de droite en ont payé le prix et leurs bases électorales se sont déplacées ailleurs, trop souvent vers la droite extrême pavant le chemin vers leur marginalisation ou leur disparition pure et simple. Ces compromis ont eut pour effet de démoraliser et démobiliser de larges secteurs de la population.

Si QS veut être l’outil pour la construction d’un Québec indépendant, de la lutte à la crise climatique et contre les oppressions de toutes sortes, il devra adopter une politique de rupture qui vise la mobilisation populaire. Un gouvernement QS qui serait élu sans que la population ne soit maitresse des rues n’aurait pas le rapport de force pour imposer ses politiques, un peu comme le cas de la Catalogne en ce moment. Le succès électoral est lié au succès dans les mobilisations de rue et à l’auto-organisation des classes populaires. Sur ce terrain, QS, parti des urnes autant que de la rue, verrait sa capacité d’agir et celle des classes populaires multipliée. Il faut souhaiter que la prochaine campagne électorale en soit une d’union des luttes populaires avec le seul parti capable de concrétiser ses luttes sur le plan politique. Comme lors des débats sur l’alliance avec le PQ, Québec solidaire a tout intérêt à développer une stratégie autonome des politiques néolibérales et des partis qui les portent.

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