Le livre de Damien Millet et d’Éric Toussaint conjugue des analyses de la situation, la construction des dettes « La dette publique a deux causes principales : d’une part la contre-révolution fiscale commencée dans les années 1980 qui a favorisé les plus riches et d’autre part les réponses apportées par les États à la crise actuelle causée par les investissements débridés des banquiers et des fonds spéculatifs », et des connaissances du droit international, la qualification de dette en dettes illégitimes ou odieuses et la possibilité de leur non-remboursement.
La présentation des auteurs ne se limite pas à un constat. En insistant sur la nécessité d’un audit de la dette « Un audit de la dette publique accompagné d’un moratoire sans pénalité sur les remboursements, est la seule solution pour en déterminer la part illégitime, voire odieuse », d’une irruption du contrôle populaire, les auteurs réhabilitent les débats, les choix et les solutions démocratiques.
Si les auteurs reviennent sur la construction des énormes dettes publiques (Grèce : 350 milliards d’euros, France : 1700 milliards ou États-Unis : 11000 milliards), ils n’en oublient pas que cette dette « ne représente pourtant que la partie émergée de l’iceberg : le danger est bien plus grand en ce qui concerne les dettes privées ».
Damien Millet et Éric Toussaint expliquent pourquoi l’Union européenne est plus touchée que les États-Unis. Ce qui prime, c’est non le montant de la dette, mais « la faiblesse des institutions politiques et les caractéristiques de l’architecture financière autour de l’euro ». Ils soulignent que « l’Union européenne se place volontairement au service des marchés financiers » et que pour les économies faibles « l’appartenance à la zone euro s’est transformée en une camisole de force ». Ce type de construction européenne et la libéralisation des marchés a été une orientation politique mise en place à la fois par les néo-libéraux et les socio-libéraux. Doit-on rappeler le rôle des socialistes français au pouvoir dans la déréglementation financière et la construction des marchés comme unique lieu de financement ?
Si l’accent est souvent mis sur la dette des États, « En réalité, le maillon le plus faible de la chaîne de la dette en Europe, ce ne sont pas les États : ce sont les banques ». Les auteurs analysent l’abandon des réglementations strictes, l’inventivité catastrophique des institutions financières (ABS, CDO, CDS, etc), cet échafaudage farfelu qui « a abouti à une authentique débâcle ».
De tout cela découle « Des rafales d’austérité en Europe ». La description qu’en font les auteurs donnent de l’épaisseur à cette autre face de la réalité (recul des salaires et des pensions, privatisations, augmentation des impôts indirects, envolée du chômage, etc), volontairement occultée par les chroniqueurs et les économistes peu critiques.
Ces politiques sont imposées par le FMI, la BCE et les pouvoirs politiques en place.
Les auteurs décryptent le fonctionnement de ces instances « l’exigence de levée de tous ces contrôles (à la circulation des capitaux) par le FMI constitue une violation de l’esprit de ses statuts » ; « la BCE a été voulue totalement indépendante du pouvoir politique » ce qui signifie que le politique a organisé la toute puissance de la BCE et l’a « placée dès l’origine hors du contrôle des peuples… », sans oublier que « les gouvernements qui l’ont créée voulaient réserver au secteur privé le monopole du crédit à l’égard des pouvoirs publics ».
Si les auteurs n’utilisent pas le terme de crise systémique, ils n’en soulignent pas moins que « En 2007, le ciel capitaliste s’est assombri : la plus grande crise depuis les années 1930 a commencé ». Ils mettent en avant le regain des mobilisations populaires, et leur récurrence en 2011. « Mais au-delà de la forme classique de la manifestation avec banderoles et slogans, le mouvement social et politique rebelle a fait irruption dans les rues et sur les places publiques aux quatre coins de la planète. Il a pris une nouvelle forme et de nouvelles appellations : le printemps arabe, les Indignés, le mouvement Occupy Wall Street… »
Damien Millet et Éric Toussaint montrent que « La question de la dette constitue plus que jamais la pierre angulaire du combat pour résister aux plans d’austérité et à la poursuite de la destruction des acquis sociaux » ou pour le dire autrement « Le combat pour briser le cercle infernal de la dette est vital ».
D’où l’importance de l’audit citoyen de la dette. Les auteurs déclinent le caractère largement illégitime de la dette publique dans le chapitre 10 et les accords odieux en Europe au chapitre 11. Ils présentent ensuite « Les leçons des récentes suspensions et annulations de dette » au chapitre 12. « Les suspensions unilatérales de remboursement de dettes sont bien plus courantes qu’on ne le croit en général. L’histoire, y compris récente, est jalonnée d’annulations et de répudiations de dettes » (Argentine, Équateur, Russie, Norvège, Islande). Puis Damien Millet et Éric Toussaint indiquent « Les fondements juridiques pour l’annulation des dettes publiques ». Ils soulignent « Il faut tordre le cou à l’idéologie dominante selon laquelle les gouvernements seraient obligés en toutes circonstances de remplir leurs obligations financières et, de ce fait, seraient contraints d’appliquer les mesures d’austérité imposées par les créanciers afin de dégager les ressources nécessaires au paiement de la dette et à la résorption des déficits publics ». Encore faut-il en avoir la volonté politique !!!
Des analyses des chapitres 10 à 12 découlent politiquement le chapitre 13 « L’audit de la dette, passage obligé ».
L’audit citoyen « est un instrument pour rompre le tabou. Il constitue un moyen par lequel une proportion croissante de la population cherche à comprendre les tenants et les aboutissants du processus d’endettement d’un pays ». Coopération ou non des pouvoirs publics, de nombreuses informations sont disponibles.
Annulation de la dette et autre politique. Damien Millet et Éric Toussaint ne font pas de l’endettement un mal absolu qu’il faudrait éradiquer. L’endettement public est utile au fonctionnement des sociétés, pour autant qu’il serve à mettre en place des politiques discutée et tendues vers le progrès social.
Mais il faut en premier lieu augmenter les recettes fiscales « en luttant contre la grand fraude fiscale et en taxant davantage le capital, les transactions financières, le patrimoine et les revenus des ménages riches ». Sur ce sujet, se reporter à la Note de la Fondation Copernic : Un impôt juste pour une société juste (Syllepse 2011). Vive l’impôt réellement et fortement progressif
Il convient aussi de « réduire radicalement les dépenses d’armement, ainsi que les dépenses socialement inutiles et dangereuses pour l’environnement ». Mais cela ne suffira pas face à la conjugaison d’une crise historique du système capitalisme et d’une crise globale de notre relation à l’environnement. « Mais au-delà, la crise doit donner la possibilité de rompre avec la logique capitaliste et de réaliser un changement radical de société. La nouvelle logique à construire devra tourner le dos au productivisme, intégrer la donne écologique, éradiquer les différentes formes d’oppression (raciale, patriarcale, etc.) et promouvoir les biens communs. »
Dans le dernier chapitre « Construire enfin une autre Europe », Damien Millet et Éric Toussaint explicitent des propositions sur différents thèmes : pour une juste redistribution de la richesse, lutter contre les paradis fiscaux, remettre au pas les marchés financiers, transférer sous contrôle citoyen les banques au secteur public, socialiser les entreprise privatisées depuis 1980, questionner l’euro, réduire radicalement le temps de travail « En diminuant le temps de travail sans réduction de salaire et en créant des emplois, on améliore la qualité de vie des travailleurs, on fournit un emploi à celles et ceux qui en ont besoin. La réduction radicale du temps de travail offre aussi la possibilité de mettre en pratique un autre rythme de vie, une manière différente de vivre en société en s’éloignant du consumérisme », et une autre Union européenne bâtie sur la solidarité « Le premier pas dans ce sens doit consister à annuler la dette du tiers-monde de manière inconditionnelle ».
Un livre complet et simple à lire, un support indispensable aux débats et aux actions. « Seules des luttes sociales puissantes pourront permettre au AAA des peuples de voir le jour afin d’opérer un changement radical de logique à la hauteur de l’enjeu. »
En complément, le précédent ouvrage des auteurs : La dette ou la vie (CADTM http://www.cadtm.org/ et Editions Aden, Liège et Bruxelles, 2011)
FMI partout, justice nulle part ! et un site à consulter http://www.audit-citoyen.org/