Bye-bye projet de société
Heureusement, l’actuel responsable aux orientations, en dissidence de la direction nationale, rappelle que Québec solidaire est clairement indépendantiste depuis le début et que sa stratégie de la constituante est rigoureusement démocratique. Ce qui inévitablement, doit-on ajouter, provoque une tension étant donné l’actuel appui minoritaire à l’indépendance, tension qui ne se résout pas par le Deus ex machina d’une antidémocratique assemblée constituante indépendantiste à froid que veut imposer au prochain congrès le tandem de la fusion. Comme l’avance ce responsable, pour résoudre la contradiction, « ...sous le titre Un pays de projet, nous énumérons clairement les avantages d’accéder à l’indépendance. [...] Pour rallier une majorité populaire, Québec solidaire mise depuis sa fondation sur son projet de société. » [5]... projet de société qu’il ne précise malheureusement pas. Ce responsable, cependant, se trompe quand il affirme que le seul bavardage y suffira. Il faudra toute la force de la rue. L’assemblée constituante ne peut être que le moment institutionnel de la grande mobilisation de la rupture indépendantiste. La stratégie Solidaire c’est d’abord la stratégie pour susciter cette mobilisation laquelle ne peut être autre chose que le projet de société, concrètement articulé, de rupture avec le capitalisme néolibéral [6].
On constate que la presque totalité des participants au débat — notons une seule participante qui voit l’indépendance comme du court-termisme électoraliste aux dépens de l’unité pan-canadienne pour combattre des enjeux globaux [7] alors que l’indépendance vise à mettre en échec l’oppression nationale pour justement arriver à cette unité — balaie du revers de la main toute la question du projet de société alors que la plateforme est le plat principal du prochain congrès. Cette mise au rancart de la question sociale étonne de la part d’un (du ?) représentant d’Alternative socialiste [8], pourtant queue par dessus tête dans la lutte syndicale, qui s’enfirouape dans le byzantinisme formel pour ne pas prendre parti. Cette disjonction entre la question nationale et la question sociale, presque totale, est le signe probant d’un engoncement social-démocrate qui sépare par une muraille de Chine le socio-économique et le politique au point de réduire ce dernier à « la » politique (partisane), chemin royal vers l’électoralisme, et la stratégie à un processus institutionnel de paradoxale rupture dans la continuité.
Tirer les leçons de la victoire de Projet-Montéal, si petit bourgeois soit-il
Il faudrait tirer les leçons de la victoire de Projet-Montréal (et de la stagnation du parti lors de l’élection partielle de Louis-Hébert). Oui, il y a eu l’entrain de leur campagne et a contrario pour leur adversaire. Oui, il y a eu une sympathie pour les candidates femmes, et pas seulement à Montréal, peut-être en contrepartie du scandale du « #moiaussi ». Mais il y a surtout eu un parti pris prioritaire concret, clair et martelé pour le transport collectif (ligne métro rose, 300 autobus) et actif [9]. Il était irrécupérable par l’adversaire et il déstabilise maintenant les gouvernements supérieurs [10]. Ce parti pris a ouvert la porte à l’enjeu de la gratuité [11], occasion que n’a guère saisie la direction Solidaire traumatisée par sa radicalité mobilisatrice. Cependant, soyons sans illusion. Ligne rose et tutti quanti s’enliseront dans les méandres du financement... à moins qu’une mobilisation populaire vienne à la rescousse... ce qui serait plus facile avec le « Grand virage » de Coalition climat Montréal [12]. Tout de même, cette affirmation forte pour le transport public contraste avec la mise en vedette du salaire minimum à 15$ l’heure par la direction Solidaire, aussi soutenue par le PQ même sans enthousiasme, et politique officielle des Libéraux ontariens à laquelle la gent capitaliste se ralliera tôt ou tard [13], sauf s’il y a baisse des prix. En plus, le 15$ permet à la bureaucratie syndicale de dorer l’amère pilule de la concertation qui a conduit à la débâcle du dernier Front commun [14]. Cette campagne pour le 15$ est autant une nécessité tactique qu’un piège à ours stratégique.
Projet-Montréal, à son niveau municipal de grande ville avec ses limitations budgétaires et légales et dans le cadre d’un parti de la petite bourgeoisie technocratique dirigé depuis peu par son aile gauche, a su mordre jusqu’à la moelle dans l’os des préoccupations populaires. À l’heure des catastrophes climatiques médiatisées de cet été, d’une insupportable congestion urbaine, d’un après choc d’austérité le tout contrasté par un envers de la médaille de quasi plein emploi bonifiant les surplus budgétaires du gouvernement québécois, la population veut un réinvestissement social qui soit écologique au sens large d’améliorer la qualité de la vie. Au niveau national et dans une perspective indépendantiste, ce succès électoral inattendu et rafraîchissant signifie une attente d’une politique de plein emploi écologique [15]. C’est exactement la voie contraire qu’a prise la direction Solidaire en évacuant de son projet de plateforme électorale 2018 les points écologiques radicaux votés ou confirmés par le congrès de révision du programme du printemps 2016 [16]. Même si la direction a procédé à la va-vite pour nuire à la possibilité d’amendement, les groupes se réclamant de l’anticapitalisme, en particulier celui s’arrogeant le nom de « réseau écosocialiste » [17], se sont vautrés dans la passivité et dans le silence d’un opportunisme crasse en laissant passer leur tour.
Derrière l’oxymoron faux radical de la fusion, le spectre de l’alliance nationaliste
Conscients de ce déficit de radicalisme à l’heure où de vieux politiciens sociaux-démocrates à la Sanders et Corbyn en ont démontré le potentiel électoral, certains intellectuels organiques de la gauche Solidaire ont compris la nécessité de se draper dans le faux radicalisme de l’unilatéralisme indépendantiste qu’apporterait une fusion avec Option nationale [18]. Cela s’appelle confondre des vessies et des lanternes.
La droite souverainiste catalane, à la tête du processus indépendantiste mais auparavant championne de l’austérité, a crû que sa déclaration unilatérale du 27 octobre suffirait. Le centre-gauche l’appuyait et même la partie indépendantiste de la gauche anticapitaliste lui poussait dans le dos. La mobilisation populaire appuyée sur des organisations de masse et des comités de base avait permis la victoire référendaire. On constate aujourd’hui les résultats désastreux [19]. Si la sévère répression à la mode franquiste a suffi à provoquer l’ire indépendantiste des « de souche » catalans, prolétariat et petite bourgeoisie confondus, l’absence d’un projet de société ne rallie pas à la cause une bonne moitié du peuple catalan. Cette bonne moitié inclut la majorité du prolétariat manufacturier et des services non publics, lequel prolétariat est issu en grande partie de l’immigration interne et externe. Il comprend même une partie significative de la gauche radicale à la tête de la municipalité de Barcelone qui, à tort, fait le service minimum.
Démocratiquement, la proposition de fusion avec Option nationale est un coup de Jarnac contre le programme et contre les statuts. Politiquement, elle s’avère une manœuvre de diversion pour éviter l’alternative du projet de société radicale du plein emploi écologique tout en prétendant à l’oxymoron du radicalisme institutionnel qu’est l’unilatéralisme constitutionnel. Et en sous-main, on voit bien encore une fois réapparaître le spectre trois fois rejeté de l’alliance nationaliste.
Marc Bonhomme, 11 novembre 2017
www.marcbonhomme.com ; bonmarc@videotron.ca
Un message, un commentaire ?