I- Nous sommes dans un contexte de crise qui touche toutes les familles politiques
La xénophobie a été non pas produite mais catalysée par la “crise des réfugiés” de 2015 : elle s’est nourrie des migrations des phases “post-coloniales” en période de croissance, puis des transformations associées aux tournants socio-économiques et politiques des années 1970 et 1980. La crise économique puis, après la fin de l’URSS, les effets des guerres et conflits mondiaux recomposés ont accentué un contenu islamophobe, xénophobe favorisé par les guerres “de civilisation” contre le terrorisme.
Le bouc-émissaire xénophobe des politiques dominantes est le substitut à un changement d’orientation fondamentale (anti-systémique, réellement) au plan socio-économique. Au-delà de la diversité des “étrangers” de chaque pays et propre à chaque “nationalisme” évolutif, la xénophobie est un trait fondamental de la nouvelle phase de mondialisation – et donc aussi un enjeu de toutes les politiques “alternatives” progressistes.
II- La dimension “protectionniste” nationale-souverainiste est plus accentuée, mais il est faux d’en faire une rupture nette avec la phase et les politiques “néo-libérales” - y compris dans l’UE :
a) parce que les États n’ont pas disparu derrière une réalité “de marché” sans institutions, pas plus que derrière les institutions internationales. Partout, l’extension des “règles” de marché au plan national et mondial a été décidée par des États et institutions transnationales à leurs services. C’est l’État social qui a été détruit en renforçant l’État-gendarme et défenseur de la propriété privé et de la concurrence ;
b) les formes de protectionnisme des États dominants dans le cadre de l’OMC n’ont jamais disparu mais se sont transformées et sont connues – fiscalité favorable à leurs firmes exportatrices, dépenses publiques militaires et technologiques, etc – et les résistance aux négociations de fait inégales ont mis l’OMC en crise depuis le cycle de Doha : la prolifération des Traités bilatéraux défendant les intérêts des FMN en a été la preuve ;
Globalement, les forces politiques “nationalistes” - des États-Unis de Trump à l’Italie en passant par la Hongrie - n’ont pas rompu avec les traits fondamentaux du néo-libéralisme ; et réciproquement, la xénophobie d’État n’est pas réductible à celle des forces qui l’affichent le plus comme nationalistes-souverainistes dans la dernière phase : cf. en France, l’islamophobie des lois sur la laïcité et les contrôles policiers au faciès ; ou la combinaison chez Macron de discours et prétentions “progressistes” et d’un traitement réactionnaire des Roms, des réfugiés, des musulmans dans la politique intérieure.
III- Ces traits se déclinent dans le cadre de l’UE
La dimension xénophobe structurelle est à la fois ’continentale’ (européenne) - “l’invasion de l’Europe par l’islam –et exprimée dans chaque pays, avec ses spécificités (cf. “Xénophobie et racisme, un enjeu stratégique central : http://www.europe-solidaire.org/spip.php?article46488
- Il faudrait inclure dans la réflexion les dimensions ’européistes” des orientations et discours russes et de leurs composantes ’eurasiatique’ et continentale dont la cible est “l’atlantisme” ;
- En Russie, comme en Europe de l’Est, il faut également souligner les recompositions des discours antisémites et islamophobes – et leur compatibilité paradoxale quand le “juif” Soros est ciblé comme propagateur d’ONG soutenant les réfugiés musulmans... ;
- Des partis nationalistes initialement europhobes en Europe de l’Est et dans les Balkans ont recomposé leur profil, compte tenu des “gains” (financiers, politiques, électoraux) que l’adhésion à l’UE pouvait rapporter : les partis dominants en Serbie ou Croatie illustrent des variantes de cette évolution – avec ou sans dimension “pro-russe” combinée à “pro-UE” la diversité des ancrages élargissant les marges de négociation ;
- Globalement, notamment depuis le Brexit et la “crise des émigrés”, les extrêmes-droites dans l’UE ont infléchi leur discours : de “anti-Européen” il s’oriente de plus en plus clairement vers une “autre Europe” conçue comme “Alliance des nations” purifiées et protégées des “étrangers” qui “dénaturent” les héritages cultures défendus. Tel est le ciblage de la campagne européenne de Marine Le Pen ;
- Les montées voire victoires électorales de courants nationalistes de droites et d’extrême-droite au sein de l’UE renforcent une logique “interne” à l’UE et non pas “sortiste”. La popularité d’une certaine “désobéissance” aux institutions de l’UE est suffisante pour gagner en poids électoral sans révolutionner quoi que ce soit au plan des politiques économiques, et encore moins d’une démocratisation des fonctionnements nationaux et européens ;
- Ce sont bien, comme dans le BREXIT les émigrés qui sont la cible, le ciment commun de ces orientations. Ceci peut se combiner, selon les pays avec un discours social (c’est le cas du RN – avec priorité pour les vrais “Français”) ou ultra-libéral (au RU), ou un panachage de mesures sociales dans une orientation globalement néo-libérale (Italie, Hongrie...). Il n’y a donc pas homogénéité : d’où l’absence de réelle recomposition du Parlement européen (PE) – la CDU de Merkel est dans le même groupe qu’Orban, en dépit des votes critiques envers la Hongrie au PE.
Quant au “souverainisme-protectioniste” : au plan institutionnel,
- La CEE puis l’UE a été et reste une combinaison évolutive et non stabilisée de politiques intergouvernementale et “fédéraliste”. L’exigence de renforcer le rôle des parlements et États membres est porté en son sein selon des logiques différentes – d’extrême-droite à extrême-gauche ;
- Un tel “souverainisme” est de fait combiné avec un électoralisme attentif aux sentiments populaires. Or, s’il existe de réels courants réactionnaires pro-exit (comme dans le Brexit) l’attitude populaire dominante est abstentionniste (ou interrogative) ou (pour la majorité des jeunes notamment) pro-UE. La difficulté du Brexit a plutôt tendance à renforcer une ligne “d’autre Europe” sans exit.
IV- Quelle alternative progressiste ?
1- Choisir le terrain des droits, quels que soient les choix tactiques des uns et des autres sur l’UE – et les défendre ensemble. Mais ne pas s’arrêter sur des demi-mesures : c’est le statut des êtres humains, la dignité de chacun.e, l’égalité des droits pour tou.tes, le pouvoir de décision dans son travail et la vie quotidienne qui sont en jeu – contre les pouvoirs des firmes multinationales et des marchés financiers. Qu’on appelle cela “bien-vivre”, “démocratie des communs” ou socialisme/communiste du XXIe siècle, il faut s’entendre sur les enjeux.
La percée de la campagne Corbyn ébauche une réponse sur ce terrain, évitant le piège des pseudo-choix entre un “Brexit” dominé par l’ultra-libéralisme et la xénophobie ou Remain se présentant comme “pro” UE. Ce terrain, c’est celui de la défense de la justice sociale et environnementale sur des bases altermondialiste, refusant la cible xénophobe : donc l’axe (urgent) est celui de droits pour toutes et tous contre toutes les oppressions croisées, et en défense de l’environnement. Mais, sans se plier aux négociations institutionnelles, c’est au plan européen, dans/contre/hors de l’UE que la campagne initiée par Momentum et Corbyn peut trouver sa force : c’est ainsi que “l’autre Europe” peut se concrétiser et se différencier des formules creuses qui ne changent pas l’essentiel et enrobent l’UE telle qu’elle est d’un contenu progressiste qu’elle n’a pas. (Cf. Pas de ’Sortie de gauche’ de l’UE sans une Europe debout’ - http://www.europe-solidaire.org/spip.php?article38895
2- Il n’y a pas de “niveau” territorial (national, ou au contraire européen) qui serait “en soi” - à lui seul - capable de porter des solutions progressistes : les économies, relations commerciales et financières sont étroitement imbriquées, en particulier au sein (et dans l’orbite) de l’UE. La mise en concurrence des peuples de l’UE pour que celle-ci soit ’globalement’ compétitive au plan mondial détruit tout potentiel progressiste, d’une Union de peuples européenne – que ce soit au plan socio-économique, environnemental ou démocratique. Le “souverainisme national” et sa combinaison de protectionnisme contre les immigrés et de libéralisme anti-social n’est ni une démocratie pour le peuple, ni une défense progressiste de droits pour tou.tes et de l’environnement, qui impose d’autres relations européennes et mondiales entre peuples. Le “souverainisme populaire” - sur le plan alimentaire, énergétique, ou de droits sociaux – implique une démocratie qui ne s’arrête pas aux portes des entreprises, des bureaux, des universités, des quartier s ; une démocratie qui ne s’enferme pas non plus au seul plan local ou national mais qui noue des relations égalitaires entre peuples aux différents niveaux territoriaux où la satisfaction des besoins communs impose des ressources et des institutions contrôlées démocratiquement. Une union de peuples n’est progressiste que si elle est libre et égalitaire ; elle ne saurait être un “super État” fédéraliste ; elle ne saurait imposer des règles et des lois qui réduisent les droits acquis au plan national – mais au contraire doit permettre de les étendre et consolider ; elle déterminera, selon des critères de subsidiarité quel est, selon le besoin à satisfaire, le bon niveau territorial (local, national, régional, supranational) d’exercice de la “souveraineté partagée” ; démocratique, égalitaire.
3- Le refus d’obéir aux politiques dominantes en défense de la dignité et de la justice sociale – comme l’expriment les Gilets Jaunes – peut se consolider dans un Manifeste européen des droits, élaboré de façon plurielle par des associations venant de chaque pays. Le Manifeste de l’Altersommet en 2014 avait été l’ébauche d’une telle démarche. Il faut la reprendre. Les ancrages locaux et nationaux sont décisifs – mais les revendications peuvent s’adresser à tous les peuples et être mises en commun.
La campagne qui est en train de se construire dans l’UE et au plan international en défense des “droits des peuples, pas des multinationales !” doit se mener à tous ces niveaux. Des combats similaires se mènent partout, en position de faiblesse sur des enjeux de vie quotidienne, de fins de mois, de dignité.
Il faut surmonter l’éparpillement des réseaux et des résistances, consolider les liens organiques de toutes les composantes politiques, associatives, syndicales qui partagent cet objectif de changements radicaux avec ViaCampesina, la Marche des Femmes, le CADTM, les réseaux contre le TTIP, etc. - en faisant peser des regroupements européens, relayant les luttes nationales et internationales. Il faut construire un mouvement de “Gilets jaunes” dans les banlieues et dans tous les pays d’une UE qui subit les mêmes politiques macronistes, la même arrogance des dominants, la même injustice sociale, les mêmes Traités et institutions – nationales ou européennes – non démocratiques...
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