Photo et article tirés de NPA 29
photo :Des manifestants lors de la COP27, organisée à Charm el-Cheikh (Égypte). – MOHAMED ABDEL HAMID ANADOLU AGENCYAnadolu via AFP
Vu de loin, les COP ressemblent à une vaste foire d’empoigne réunissant des myriades de lobbyistes, diplomates, observateurs, journalistes et organisations non gouvernementales. Grandissant d’année en année, ces sommets onusiens du climat ne semblent plus produire le moindre résultat. D’où la question légitime : « À quoi servent les COP » ? Y répondre suppose de jeter un coup d’œil dans le rétroviseur avant l’ouverture du 28e sommet, jeudi 30 novembre à Dubaï (Émirats arabes unis).
Retour en juin 1992, au Sommet de la Terre de Rio de Janeiro.
Durant cette conférence des Nations unies sur l’environnement et le développement, les dirigeants de 179 pays adoptent la Déclaration de Rio, la Déclaration sur la gestion des forêts, la Convention sur la diversité biologique et, pour le sujet qui nous intéresse, la Convention-cadre sur les changements climatiques (CCNUCC). Puis, quelques mois plus tard, la convention sur la lutte contre la désertification, intimement liée à la précédente.
L’objectif du consensus unanime
Longue de vingt-cinq pages et toujours en vigueur, la CCNUCC fixe à ses signataires un objectif : stabiliser les concentrations de gaz à effet de serre (GES) « à un niveau qui empêche toute perturbation anthropique dangereuse du système climatique ».
Il s’agit de réduire nos émissions de dioxyde de carbone, de méthane, de protoxyde d’azote et d’hexafluorure de soufre. Restait à définir cette « perturbation anthropique dangereuse ». En 1992, la concentration de CO2 dans l’atmosphère était de 356 parties par million (PPM), en progression de 0,4 % par an. Quelle teneur en carbone dans l’air ne devons-nous pas franchir ? Personne ne pouvait répondre à cette question, pas même les rédacteurs du premier rapport du Giec, paru en 1990.
Comme il est de coutume pour les conventions internationales, un secrétariat de la CCNUCC fut établi. Son premier rôle ? Organiser chaque année une conférence des parties (conference of the parties, COP). Durant la quinzaine de jours que dure une COP, les parties — c’est-à-dire les États signataires de la conférence — négocient dans le but de parvenir au consensus unanime. Les négociations portent sur les règles encadrant la mise en œuvre d’objectifs fixés par la Convention, les obligations des uns et des autres et la fixation de nouveaux objectifs.
La première COP à produire des effets visibles fut la troisième du nom, organisée en décembre 1997 à Kyoto (Japon). À l’issue d’âpres négociations, elle adopte le protocole de Kyoto, obligeant les quarante-et-un États les plus développés à réduire de 5 % en moyenne leurs émissions de GES entre 1990 et 2012.
Malgré le fait que les États-Unis, le Canada, puis le Japon, se soient retirés de l’accord, le pari a été tenu. En 2012, la quarantaine de pionniers a atteint le but fixé à Kyoto, en partie grâce à la chute du bloc soviétique — qui a arrêté nombre d’industries lourdes en Russie — et à la crise économique mondiale de 2008. Cette décarbonation forcée a suscité des vocations : en 2008, l’Union européenne publie le « paquet énergie-climat », visant à réduire de 20 % les émissions de ses vingt-huit États membres entre 1990 et 2020.
En 2012, la COP est organisée par un pays producteur de pétrole, le Qatar, où il est décidé de prolonger de sept ans le protocole de Kyoto. Au terme de la phase 2, en 2020, les États assujettis au dit protocole devraient avoir réduit de 18 % leurs émissions de GES par rapport à 1990. Là encore, mission accomplie, non sans l’aide du Covid-19. En confinant le tiers de l’humanité, la pandémie a fait chuté de 6 % les rejets carboniques anthropiques entre 2019 et 2020.
Deux camps qui s’opposent
Le monde du climat est divisé en deux catégories :
les pays qui sont soumis à des obligations (en gros, les membres de l’OCDE) et les pays émergents et en développement, qui n’ont aucune contrainte.
Entérinée dès 1992, cette division a rapidement posé problème.
Le 25 juillet 1997, le Sénat étasunien adoptait ainsi à l’unanimité une résolution indiquant qu’il ne ratifierait jamais un accord international obligeant les États-Unis à réduire leurs émissions si les grands pays émergents (Chine et Inde, notamment) en étaient exonérés.
Seconde puissance économique et premier émetteur mondial depuis 2004, la Chine a jusqu’à présent refusé d’être intégrée aux pays les plus développés. Soutenue par l’Inde (troisième émetteur planétaire), le Brésil et l’Indonésie, Pékin bataille depuis des années pour être exemptée de toute contrainte carbone.
Depuis qu’elle a entrepris de rattraper son retard économique sur les pays occidentaux, la Chine assoit son développement à grande vitesse sur une consommation effrénée d’énergies fossiles. Résultat : entre 1990 et 2020, l’empire du Milieu a pratiquement quadruplé ses émissions de GES. Dans le même temps, l’Inde a plus que doublé les siennes, comme le Brésil, l’Indonésie ou la Turquie.
Ces pays s’appuient sur le principe des « responsabilités communes mais différenciées » posé dans la CCNUCC. Tous les pays doivent participer à la lutte contre le changement climatique, mais ceux qui sont responsables du dérèglement actuel doivent y contribuer plus que les autres.
Paris 2015, avancée majeure
Par leur interprétation stricte de ce principe, Pékin et ses alliés ont bloqué bien des COP. À Bali, en 2007, les parties devaient imaginer de nouveaux objectifs d’abattement des émissions. La décision finale n’en mentionnait aucun. Mais une note de bas de page pointait vers un extrait du quatrième rapport du Giec esquissant un projet d’accord : les grands émetteurs devraient réduire leurs émissions et les objectifs d’abattement seraient définis en fonction du niveau de réchauffement visé.
Il a fallu attendre la COP de Paris, en 2015, pour que soit enfin conclu un « accord universel » sur le climat. S’il n’impose pas d’objectifs chiffrés de réduction d’émissions, il fixe un but : stabiliser le réchauffement entre +1,5 °C et +2 °C par rapport à l’ère préindustrielle. Ce qui revient à faire chuter de moitié les émissions mondiales de GES d’ici à 2030. L’Accord de Paris commande aussi d’atteindre la neutralité carbone à la moitié du siècle. Pour ce faire, tous les pays devront publier une esquisse de politique climatique qui sera régulièrement remise à jour, les contributions nationales déterminées (NDC).
Ce texte a contribué à faire bouger des lignes que l’on pensait intangibles. En 2019, l’Union européenne annonce un ambitieux plan de décarbonation. Ce Pacte vert ambitionne de réduire de 55 % les émissions communautaires en 2030 par rapport à 1990. Abondé par plusieurs sources, comme des emprunts contractés par l’UE et les contributions des États, le budget consacré à la lutte contre le changement climatique est fixé à 1 000 milliards d’euros entre 2021 et 2030.
La Chine prévoit la neutralité carbone pour 2060
Aux États-Unis, la victoire de Joe Biden, en 2020, a aussi changé la donne. En quelques mois, le président démocrate a fait adopter par le Congrès deux lois, sur les infrastructures et sur la réduction de l’inflation, permettant au gouvernement fédéral d’investir plus de 1 500 milliards de dollars en dix ans dans la modernisation des infrastructures (le réseau ferré) et la décarbonation de l’économie (énergies renouvelables et stockage souterrain du CO2).
Washington espère que cet effort financier inédit permettra au pays de réduire de moitié ses émissions entre 2005 et 2030. Le mouvement est suivi par la Chine. En mars 2021, Pékin a publié son quatorzième plan quinquennal. Entre 2021 et 2025, l’économie chinoise devra faire baisser de 18 % son intensité carbone, une étape essentielle avant le plafonnement des émissions, prévu pour 2030, et la neutralité carbone fixée à 2060. Ce sont désormais 140 pays qui visent la neutralité carbone pour les décennies qui viennent. Une situation inimaginable il y a encore cinq ans.
57 % d’émissions supplémentaires en trente ans
En trois décennies, les COP ont donc accéléré le mouvement. À l’aube des années 1990, les pays du Nord émettaient 44 % des émissions anthropiques, contre 31 % pour les principaux pays émergents.
En 2022, le Nord est responsable du quart des rejets carbonés mondiaux : deux fois moins que ceux des plus émetteurs des pays du Sud, dont les émissions ont explosé — Chine, Inde, Russie, Afrique du Sud, Brésil, Indonésie, Mexique, Turquie, Arabie saoudite.
L’évolution n’est pourtant pas assez rapide. En 2022, l’humanité a expédié dans la biosphère 55 milliards de tonnes de GES (en équivalent CO2), soit 57 % de plus par rapport à la moyenne annuelle des années 1980.
Alors, inutiles, les COP ? Pas totalement.
Leur mission est quasi impossible : convaincre près de 200 pays de changer de modèle de développement en quelques décennies, inciter la finance privée à financer toujours plus de projets de transition énergétique et d’adaptation, inviter des pays à deux doigts de la guerre à travailler de concert, favoriser la coopération entre des nations qui ont tout et d’autres qui n’ont rien.
En 2022, la COP de Charm el-Cheikh (Égypte) s’est achevée sur la promesse de créer un fonds « pertes et dommages » grâce auquel le Nord financerait l’adaptation des pays les plus vulnérables. Ce sujet sera au cœur de la COP de Dubaï.
Bien sûr, la réussite n’est pas présente à chaque opus. Mais quelle autre instance pourrait jouer plus efficacement ce rôle de parlement démocratique du climat mondial ? Voilà pourquoi, malgré des années d’attentisme et de frustration, les COP sont jugées importantes par les lobbyistes, les journalistes, les ONG et les gouvernements.
Valéry Laramée de Tannenberg 30 novembre 2023
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