Publié le 29 mai 2020
rieé de : Infolettre juin 2020 De Alternative Socialiste
Épicentre de l’épidémie
Depuis le début de la pandémie, plus de 4 300 personnes sont mortes la COVID-19 au Québec. Contrairement à ce que nous répète le premier ministre François Legault, la situation n’est pas du tout sous contrôle. Le Québec est en 5e position du funeste palmarès des États du monde comptant le plus de morts du coronavirus par habitant, passant devant la France. C’est ainsi qu’au Québec se concentrent 62% de toutes les victimes canadiennes de la COVID-19.
L’épicentre de tous ces décès se retrouve dans le réseau des Centres d’hébergement et de soins de longue durée (CHSLD). Les CHSLD se divisent en trois catégories :
◾publics (313 établissements)
◾privés conventionnés (59)
◾privés non conventionnés (40)
Les CHSLD publics sont gérés par le ministère de la Santé et des Services sociaux. Les CHSLD privés (conventionnés ou non) le sont par des particuliers. Les tarifs d’hébergement, les salaires, les conditions de travail ainsi que les ratios infirmière/résidents et préposé/résidents sont les mêmes dans les CHSLD publics et les CHSLD privés conventionnés. Dans les CHSLD privés non conventionnés, tout cela est à la discrétion des gestionnaires.
À la mi-mai, plus de 60% des personnes décédées de la COVID-19 résidaient dans un CHSLD. Radio-Canada a d’ailleurs révélé que le nombre de cas et de décès rendu disponible par le gouvernement est sous-estimé. À ces chiffres s’ajoutent ceux des centaines, voire des milliers, de travailleurs et de travailleuses de la santé ainsi que des militaires des Forces armées canadiennes infectés dans ces établissements. Au CHSLD privé Vigi Mont-Royal, 100% du personnel a été infecté en raison d’un système de ventilation en panne.
Le Québec est sous le choc. Mais n’était-ce pas à prévoir ?
« La faute aux syndicats ! »
Face à cette hécatombe, le premier ministre Legault a dû reconnaître la gravité de la situation… et faire porter le chapeau aux syndicats ! Procédant à une autocritique des plus cyniques, Legault a avoué qu’il aurait dû augmenter les salaires du personnel préposé aux bénéficiaires (PAB) avant la pandémie, afin d’éviter la pénurie de personnel actuelle. Son seul obstacle aurait été l’obstruction des syndicats.
Dur à croire lorsqu’on sait que les syndicats représentants les PAB du secteur privé se battent depuis des années pour de meilleurs salaires et conditions de travail. D’autant plus que rien n’empêche le gouvernement de leur décréter une hausse salariale substantielle immédiatement. De plus, le gouvernement Legault n’a jamais fait d’offre aux PAB du secteur public.
Cette pirouette sur la question salariale des PAB a tenté de cacher le vrai problème : celui d’un système de santé pour personnes âgées ou en perte d’autonomie affaibli par des décennies d’austérité.
La pénurie de PAB : la pointe de la catastrophe
Si les administrations publiques et privées ont de la difficulté à trouver du personnel de santé, en particulier des PAB, c’est que les salaires de misère et les conditions de travail impossibles ont peu d’attrait.
En dix ans, le salaire horaire des PAB qui travaillent dans les établissements couverts par les conventions collectives du secteur public a augmenté d’environ 20% (de 18,59$ à 22,35$/h pour le dernier échelon). Cela couvre à peine l’inflation qui s’est élevée à 17% durant cette période. Ainsi, leur pouvoir d’achat stagne. Dans le secteur privé, la situation est encore pire. La plupart des PAB travaillent au salaire minimum. Ce dernier est passé de 9$ à 13$/h en 10 ans. Même en travaillant à temps plein, leur rémunération se situe sous le seuil de pauvreté. Avec l’inflation, leur pouvoir d’achat ne fait que diminuer. Comble de l’ironie en temps de pandémie, il est plus avantageux pour une PAB au privé de réclamer la Prestation canadienne d’urgence de 2 000$/mois que de travailler à temps plein.
Ces faibles salaires participent à la pénurie de main-d’œuvre actuelle. Le manque de personnel mène à une surcharge de travail, des blessures, une détresse psychologique, de l’épuisement, etc. À leur tour, ces dures conditions de travail découragent le personnel et les recrues potentielles. Et la roue tourne…
La situation est tellement critique que le gouvernement Legault a imploré, sans succès, le fédéral de maintenir jusqu’en septembre la présence de militaires dans les CHSLD du Québec. Pour compenser leur départ, le premier ministre du Québec a annoncé le lancement d’un plan de recrutement accéléré de 10 000 PAB durant les trois prochains mois. Le gouvernement propose des salaires plus élevés (jusqu’à 26$/h en CHSLD) pour y parvenir.
La déresponsabilisation de l’État face aux aîné·es
Les médiocres conditions de travail des PAB sont une des expressions de l’écroulement du système de santé et de services sociaux. L’accès à des soins gratuits et de qualité est compromis depuis longtemps par les politiques d’austérité du Parti québécois, du Parti libéral et maintenant de la Coalition avenir Québec. La pénurie de main-d’œuvre, le sous-financement chronique et les privatisations ne sont pas des phénomènes nouveaux. La crise du coronavirus n’a fait qu’accentuer ces problèmes.
Le « virage ambulatoire » péquiste
À partir du milieu des années 90, les péquistes ont appliqué le « virage ambulatoire », un vaste programme de coupures dans le système de santé. L’un des objectifs consistait à écourter et même à éviter les séjours en milieux hospitaliers. En 15 ans, le gouvernement fait abolir 7 632 lits en CHSLD publics alors que le vieillissement de la population s’accélère. Il se tourne vers les résidences privées et les ressources intermédiaires pour les remplacer. Cette époque a vu défiler deux ministres de la Santé proaustérité qui se sont hissés plus tard à la tête du Québec : Pauline Marois (1998-2001) et François Legault (2002-2003).
La « réingénierie de l’État » libérale
Les libéraux n’ont pas fait mieux. La « réingénierie de l’État » proposé par Jean Charest a accéléré l’entrée du privé dans le système de santé et de service sociaux. En 2004, une vague d’infections à la bactérie C. difficile a déferlé dans les hôpitaux du Québec au moment même où les services d’entretien étaient privatisés. Le ministre de la Santé derrière cette accélération, Philippe Couillard, est lui aussi devenu premier ministre du Québec.
C’est sous sa gouverne que les pires coupures en santé et services sociaux ont été effectuées : 963,4 millions en entre 2014 et 2016, dont 10,4 millions dans les CHSLD. En 2015, le ministre de la Santé Gaétan Barrette a procédé à la réorganisation du réseau de la santé (loi 10). La réforme Barrette a notamment amputé de 30% les budgets régionaux, décimé l’équipe de directeurs de la santé publique en plus d’affaiblir leur influence.
Déjà en 2012, le vérificateur général du Québec a sonné l’alarme quant à la gestion catastrophique des CHSLD. Marguerite Blais, alors ministre libérale responsable des Aînés, s’en est lavé les mains. De 2003 à 2013, le nombre de lits en CHSLD publics a été réduit de 4 000. Pourtant, un nombre croissant de personnes âgées y attendent un lit. Elles sont près de 3 000 en ce moment. Désormais ministre des Aînés et des Proches aidants dans le gouvernement caquiste, la ministre Blais a annoncé, au cours des derniers mois, la création de 1 000 nouvelles places d’hébergement. Toutes seront « achetées » dans le secteur privé.
Envoyer les aîné·es au privé avec l’argent public
Depuis des décennies, le ministère de la Santé loue des places dans le réseau privé pour héberger les personnes en attente d’un lit. Selon une compilation réalisée par La Presse, le nombre de places ainsi louées s’élève à au moins 10 000. Pas moins de 70 % des lits des CHSLD privés non conventionnés sont utilisés par le public, rappelle pour sa part l’Association des établissements de longue durée privés. C’est donc dire que l’argent public finance indirectement ces CHSLD privés.
L’hécatombe du privé
Ce n’est pas un hasard si le nombre de décès et d’infections à la COVID-19 se concentre dans les CHSLD privés non conventionnés. Même si ces derniers ne représentent que 9,7% de tous les CHSLD, ils constituent près du tiers des établissements présents sur la « liste rouge » gouvernementale, c’est-à-dire les endroits où plus de 25% des résidents et résidentes sont infectées.
Ce n’est pas un hasard si, à pareille date l’an dernier, les employé·es de dix résidences privées pour aîné·es faisaient la grève pour réclamer un salaire de 15$/h. Parmi ces personnes se trouvaient les employé·es du CHSLD Herron, où plus du tiers des personnes hébergées semblent être décédées de la COVID-19.
Il faut se rendre à l’évidence. Les vrais responsables de l’hécatombe de la COVID-19 sont ceux et celles qui ont coupé les moyens aux CHSLD publics à travers des décennies d’austérité. Ce sont ceux et celles qui ont laissé des entrepreneurs gérer des CHSLD privés qui offrent des services médiocres à des coûts exorbitants. Ces gens-là ont le sang de nos aîné·es sur les mains, et leur argent dans les poches.
Réagissant à cette infamie, le gouvernement Legault songe à « transférer au public » l’ensemble des CHSLD privés (conventionnés ou non). Malgré l’emploi du terme « nationalisation » pour décrire le plan du gouvernement, les démarches actuelles sont loin du compte.
La fausse nationalisation de Legault
Dans un billet de l’Institut de recherche et d’informations socioéconomiques (IRIS), Anne Plourde explique les options envisagées par Legault.
D’abord, le gouvernement songe à conventionner les CHSLD privés non conventionnés. Cela aurait comme effet d’améliorer les conditions de travail du personnel, en plus de baisser les frais d’hébergement des locataires qui peuvent actuellement payer jusqu’à 10 000$/mois dans ce type d’établissement. Le ministère de la Santé bénéficierait également d’un meilleur contrôle sur la qualité des services offerts.
Or, « conventionner » tous les CHSLD ne constituerait pas une nationalisation à proprement parler. Les CHSLD privés conventionnés demeureraient des entreprises privées à but lucratif. Mais elles seraient désormais entièrement financées par les fonds publics. Ce n’est pas une coïncidence si les propriétaires de CHSLD privés non conventionnés sont favorables à cette idée. Le gouvernement leur garantit ainsi un financement sans prise de risque.
Nationaliser les installations privées
L’autre option sous-entendue par Legault consisterait à nationaliser tous les CHSLD privés, conventionnés ou non. Il s’agirait de retirer complètement le marché de l’hébergement et des soins de longue durée au secteur privé à but lucratif. Une telle réforme est essentielle pour reprendre collectivement le contrôle sur les services essentiels que sont l’hébergement et les soins aux personnes en perte d’autonomie.
Toutefois, l’ensemble des CHSLD (412 établissements) ne représente que 10% de la totalité des hébergements pour personnes âgées. La majorité de ces hébergements sont des Résidences privées pour aîné·es (RPA, 1791) et des Ressources intermédiaires (RI, 1835). Là aussi, le ministère y loue des milliers de places avec les fonds publics.
Ainsi, près de 90% des hébergements pour aîné·es au Québec sont à but lucratif. Et ce n’est pas pour rien. Le secteur des RPA de grande taille est une véritable mine d’or. Il est dominé par une poignée de grands groupes immobiliers (Maurice, COGIR, Sélection, Soleil, etc.) qui comptent à leur tête certains des hommes les plus riches du Québec.
Construire des résidences publiques
Le vieillissement de la population entraîne une demande d’hébergement tellement forte que le ratio de personnes âgées par unité de logement était de 5,3 en 2016 ! Considérant le poids démographique croissant des 75 ans et plus, il faudrait construire près de 100 000 nouvelles unités d’ici 2031 uniquement pour maintenir ce ratio déjà trop élevé. De telles perspectives rendent insensées toutes coupures de postes ou fermetures d’établissements dans ce secteur. Or, les différents paliers de gouvernement se sont complètement déresponsabilisés de cet enjeu. Des centaines de RPA ont fermé leurs portes durant les dernières années pour faire place aux mégas projets des grands groupes immobiliers.
Une réelle prise en charge publique de l’hébergement et des soins pour aîné·es implique nécessairement une nationalisation des RPA. C’est-à-dire que l’État doit embaucher leur personnel et prendre possession de leurs établissements. Les propriétaires véreux responsables de négligence grave doivent être expropriés immédiatement, et sans compensation. Rappelons qu’au moins deux propriétaires de CHSLD privés, dont le président du CHSLD Herron, présentaient de lourds casiers judiciaires.
Une prise en charge publique implique aussi le lancement d’un vaste chantier de construction de nouvelles résidences publiques.
Démocratiser les établissements publics
La prise en charge publique de l’ensemble des CHSLD et RPA ne réglera toutefois qu’une partie du problème. L’épidémie de la COVID-19 dans le réseau public a aussi été catastrophique. Les gestionnaires du secteur public sont au cœur des « ratés » des derniers mois. Dans le pire des cas, le personnel et les bénéficiaires sont témoins de leur incompétence et de leur autoritarisme. Les gestionnaires du CHSLD du Manoir-de-Verdun sont allés jusqu’à séquestrer des infirmières et les PAB pour les obliger à travailler.
Dans le meilleur des cas, les gestionnaires n’ont pas les outils nécessaires pour gérer leurs établissements de manière sécuritaire. Dans de nombreuses résidences privées pour aîné·es, l’accès à des gants et des masques n’a été offert qu’un mois après le début du confinement. Entre-temps, les politiques de déplacement de personnel des zones chaudes (à risque) aux zones froides ont empiré la situation.
La crise sanitaire dans les CHSLD publics découle des coupures et restructurations des dernières décennies, en particulier celles héritées de la réforme Barrette (loi 10). Elle a aussi été accentuée par l’implantation de méthodes de travail importées du secteur industriel, dans lesquelles chaque acte est surveillé et scrupuleusement comptabilisé. L’actuelle ministre de la Santé, Danielle McCann, est d’ailleurs la pionnière de l’introduction de la méthode LEAN dans le système de santé et de services sociaux. En 2017, à la suite d’une poursuite intentée par le syndicat représentant le personnel du CIUSSS du Nord-de-l’Île-de-Montréal, la Cour supérieure a reconnu que l’implantation de cette méthode de gestion a eu pour résultat une surcharge de travail ainsi qu’une détresse morale et psychologique chez les employé·es.
Nous avons besoin de réinvestissements massifs en santé afin que les ressources adéquates soient déployées immédiatement. Pour assurer l’utilisation rationnelle de ces ressources, nous avons besoin que le personnel et les bénéficiaires prennent part à la gestion démocratique des établissements. C’est essentiel pour renverser les méthodes de gestion héritées des politiques d’austérité.
Une gestion démocratique et outillée !
Personne n’est mieux placé que les travailleuses, les travailleurs et les bénéficiaires d’un établissement pour savoir quel type de travail est essentiel, comment l’améliorer et comment assurer leur sécurité. Une gestion démocratique implique que les conditions de travail ainsi que l’organisation et la répartition du travail soient déterminées à travers un processus de débats et de décisions collectives. Toutes les personnes gestionnaires devraient être élues, sous réserve de révocation, et recevoir un salaire égal aux autres travailleurs et travailleuses.
Nous avons besoin d’une gestion humaine qui respecte la dignité de tout le monde. De ce point de vue, toutes personnes travaillant en équipe pour le compte du même employeur devraient jouir de conditions de travail équivalentes. Ainsi, les agences de placement devraient également être nationalisées. De leur côté, les aides à domicile devraient devenir des employé·es syndiqué·es de l’État. Une telle approche permettrait à terme de réinsérer les résidences pour personnes âgées dans le développement des quartiers et des villes.
Lutter, maintenant
L’urgence de la situation nécessite plus qu’un « débat de société » sur la manière dont l’État traite les personnes en perte d’autonomie. Vouloir discuter avec des gouvernements qui font tout pour nous diviser dans l’espoir de les convaincre de la justesse de nos idées est vain. Défendre le projet d’une gestion publique des services essentiels n’est pas une question d’éthique collective ou de morale individuelle. C’est une question de gestion économique rationnelle et optimale. Une économie de marché capitaliste, peu importe sa composition, est incapable d’assurer un droit à l’hébergement et aux soins des personnes âgées de manière universelle et gratuite.
Seule une prise en charge par l’État et une planification démocratique le permettra. Mais pour renverser la situation actuelle, les travailleurs et les travailleuses ont besoin d’un outil politique, d’un parti politique, prêt à défendre ce type de réforme. C’est ce type de force politique dont nous avons besoin pour nous attaquer aux géants de l’immobilier et aux gouvernements qui les protègent.
Un tel rapport de force social se bâtit, à même les établissements et leurs quartiers, à travers une série de revendications sur lesquelles le personnel est prêt à se mobiliser. Le mouvement syndical, les député·es de gauche et les socialistes doivent constituer l’épine dorsale d’un tel mouvement. Ces personnes doivent être prêtes à assumer leurs responsabilités et à aller bien au-delà des communiqués de presse et des appuis sans lendemain.
Le problème des CHSLD, c’est le problème de tout le réseau de la santé et des services sociaux. La lutte pour la nationalisation démocratique des CHSLD et des RPA s’inscrit dans une lutte contre la privatisation et la bureaucratisation du réseau. Si vous voulez vous battre pour la santé de tous et toutes, contactez-nous maintenant !
Julien D.
Tagged 15$/h, austérité, capitalisme, CAQ, CHSLD, CIUSSS, coronavirus, COVID-19, Droit au travail, François Legault, Gaétan Barrette, grève, loi 10, Marguerite Blais, santé et services sociaux, services publics
Un message, un commentaire ?