Édition du 18 juin 2024

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Le blogue de la présidente de la CSQ

Projet de loi no 61 : se donner le go

Une crise, quelle qu’elle soit, est toujours une occasion pour une société de mettre de l’avant des changements profonds. L’autrice Naomi Klein a même un nom pour ça. Elle appelle ce phénomène « la Stratégie du choc », ou « le capitalisme de désastre ».

En résumé, le concept est le suivant : il y a des idées difficiles à vendre qui traînent dans les officines des partis politiques, dans les conseils d’administration, chez certains hommes et femmes d’affaires, dans les chambres de commerce, etc. Ces idées ne sont pas socialement acceptables en temps normal. En temps de crise, c’est complètement différent, car les gens sont distraits, c’est donc le temps d’agir !

Des exemples concrets

Vous croyez que j’exagère ? Regardons de plus près les idées contenues dans le projet de loi no 61 que souhaite adopter le gouvernement Legault (et rappelons que ce projet est supposé porter sur la relance économique et l’accélération de projets d’infrastructures) :

 Expropriations non contestables ;

 Contrats publics sans appel d’offres (n’a-t-on rien appris de la commission Charbonneau ?) ;

 Possibilité de construire des projets d’infrastructures dans des zones naturelles protégées ;

 Prolongation de l’état d’urgence sanitaire pour une période non déterminée (« jusqu’à ce que le gouvernement y mette fin ») ;

 Immunité judiciaire pour le gouvernement ou l’un de ses membres :

 « Le projet de loi prévoit une immunité de poursuite judiciaire pour le gouvernement, un ministre, un organisme public ou toute autre personne qui accomplit de bonne foi un acte dans l’exercice de pouvoirs que le projet de loi introduit ou dans l’exécution de mesures prises en vertu de ceux-ci » ;

 Tout projet qui n’est pas inclus dans ce projet de loi (annexe I) doit faire l’objet d’une étude d’une durée MAXIMALE d’une heure par la commission compétente de l’Assemblée nationale (dans un gouvernement majoritaire, cela signifie essentiellement que tout sera adopté sans débat démocratique).

Tout cela n’est que la pointe de l’iceberg ! Ce projet de loi ratisse très large et passe à la trappe pas mal tous les contre-pouvoirs. Nous savions déjà que le gouvernement Legault était allergique à la critique (le premier ministre a quand même bloqué le journaliste qui a levé le voile sur l’affaire de la résidence Herron sur Twitter en fin de semaine…). On dirait qu’à cette allergie, s’ajoute une intolérance à la démocratie. Dire qu’on pensait avoir un gouvernement responsable depuis la fin du 19e siècle !

Oublier les leçons de la commission Charbonneau

En 2011, il n’était pas question de la COVID-19 ou, encore, de la brutalité policière et du racisme systémique. Les médias n’en avaient que pour un sujet : la Commission d’enquête sur l’octroi et la gestion des contrats publics dans l’industrie de la construction, plus familièrement appelée la commission Charbonneau.

Après quatre ans d’enquête et 48 millions de dollars, il semble que le gouvernement Legault balaie sous le tapis les conclusions de l’enquête en assouplissant les règles d’octroi des contrats et en ouvrant la porte au patronage. Vous ai-je dit que 60 % des projets de relance économique étaient prévus dans des circonscriptions caquistes ?

Se donner le droit d’enlever des droits

Il faut dire que le gouvernement semble avoir pris goût à gouverner par décret. En prolongeant l’état d’urgence sanitaire, le gouvernement Legault se donne le droit de continuer de bafouer les droits des travailleuses et travailleurs en toute impunité.

Décret après décret, les travailleuses et travailleurs de la santé, de l’éducation, de l’enseignement supérieur et de la petite enfance ont vu des pans entiers de leurs conventions collectives disparaître. Le signal que nous lance le gouvernement avec ce projet de loi, c’est qu’il n’a pas l’intention de ralentir la cadence.

L’environnement aux oubliettes

Appuyer sur l’accélérateur pour mettre les projets d’infrastructures sur la voie expresse forcera nécessairement le gouvernement à tourner les coins ronds en matière de protection de l’environnement. C’est là une solide occasion manquée de profiter de la relance pour mettre en place une transition juste vers une économie plus verte.

Comment ? Pourquoi ne pas écouter les experts et ajouter des effectifs gouvernementaux pour relancer l’économie, tout en tenant compte des enjeux sanitaires et écologiques ? La relance peut et doit être juste et écologique ! Après tout, le gouvernement Legault ne nous a-t-il pas répété tout au long de la crise qu’il « écoutait la science » ?

Et si on relançait l’économie par les services publics ?

Avec les chefs des autres centrales syndicales, nous vous avons expliqué que la seule et unique priorité doit être le bien-être de toutes les Québécoises et de tous les Québécois. Pour ce faire, nous avons besoin de services de santé et de services sociaux, de services d’éducation, de la petite enfance à l’enseignement supérieur, et de services gouvernementaux forts, autant pour assurer le bien-être de la population que pour contribuer à une économie dynamique, verte et forte.

La relance ne doit pas se faire seulement par les traditionnelles « pépines » et le béton. Même la Commission canadienne des droits de la personne le dit   : les efforts de relance économique et sociale du Canada doivent adopter une approche féministe.

Ce sont d’abord les femmes qui sont au front du combat contre la COVID-19 et qui prennent les plus grands risques pour leur santé. Au Québec, elles comptent pour 90 % des infirmières et pour 88 % des aides-soignantes et des préposées aux bénéficiaires, par exemple. Elles constituent aussi la majorité des proches aidantes et sont en écrasante majorité dans les métiers de l’enfance et de la petite enfance. Une relance qui ne prendrait pas ça en considération serait un échec.

L’exception doit demeurer exceptionnelle

Relancer l’économie en abolissant les droits et libertés, ça ne fonctionne pas. La population québécoise a suivi les directives de la santé publique. Nous comprenons que la crise sanitaire commandait des mesures exceptionnelles. La solidarité et la confiance du peuple québécois ont été exemplaires. Ce n’est toutefois pas un chèque en blanc. Ce n’est pas une question partisane. Ce pouvoir immense doit demeurer limité dans le temps, peu importe qui est au gouvernement.

Sonia Éthier

Présidente de la CSQ (2018-...)

Elle siégeait sur l’exécutif de la CSQ depuis 2015 à titre de première vice-présidente. Enseignante en adaptation scolaire auprès d’élèves en difficulté d’apprentissage, elle a été présidente du Syndicat de l’enseignement du Bas-Richelieu durant neuf ans. Elle milite au sein du mouvement syndical depuis plus de 30 ans.

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