D’autre part, incontournables dans les luttes, elles imposent la nécessité d’intégrer pleinement les revendications féministes pour la poursuite des processus révolutionnaires en cours. Ainsi, elles actualisent et concrétisent un adage connu "Pas de révolution sans libération des femmes ; pas de libération des femmes sans révolution".
Oser briser les tabous
Il n’y a en soi rien de surprenant à ce qu’au moins une partie de la moitié féminine du peuple prenne activement part aux processus révolutionnaires. Au contraire, subissant à la fois l’exploitation capitaliste et l’oppression patriarcale, sans oublier le racisme et l’impérialisme pour la plupart, les femmes sont potentiellement parmi les plus enclin-e-s à la révolte.
Asma Mahfouz, jeune internaute égyptienne, incarne très bien cette révolte. Son appel poignant, largement visionné sur internet, a certainement achevé de convaincre certain-e-s de ses compatriotes de rejoindre la place Tahrir aux heures cruciales qui ont mené à la chute de Moubarak.
Mais les femmes sont aussi parmi celles -et ceux- qui doivent surmonter le plus d’obstacles pour franchir le pas, tenir bon et obtenir des droits sociaux et démocratiques effectifs. En Lybie ou au Yémen, elles ont particulièrement dû briser les tabous pour manifester et s’exprimer ouvertement dans les rues. Comme le souligne la militante yéménite Tawakoul Karman "La révolution vise avant tout à renverser le régime. Mais elle a aussi permis de venir à bout de traditions archaïques, selon lesquelles une femme devait rester à la maison et en dehors de la politique".
Evidemment, les révolutions se construisent entre autres avec et par les femmes. Evidemment, il n’a pas fallu la déferlante révolutionnaire de début 2011 pour que les femmes du Maghreb et du Moyen Orient s’engagent dans les luttes féministes, sociales et démocratiques. Par exemple, en Tunisie, les femmes avaient déjà obtenu par leurs luttes le droit à l’avortement en 1961 (trente ans avant la Belgique donc). Mais, malgré leur courage et leur détermination, les femmes révolutionnaires, et d’autant plus celles "du Sud", sont les premières "oubliées" de la mémoire collective.
Pour le peuple et pour les femmes
Ainsi, lorsque certaines remontent au créneau des révolutions sous les feux des projecteurs, elles interpellent. Elles réduisent en miettes la ridicule image d’Epinal de "la femme" docile, soumise et impuissante. Lorsque ce sont les femmes du Maghreb et du Moyen Orient qui le font, avec ou sans foulard ou niqab, elles anéantissent en même temps les théories abjectes du "choc des civilisations" selon lesquelles les peuples musulmans seraient quasi génétiquement voués aux dictatures et les musulmanes irrémédiablement « soumises » et impuissantes face à un machisme exacerbé.
En prenant elles-mêmes en main leur émancipation, elles mettent également en échec les tentatives d’instrumentalisation du féminisme, du genre de celles qui prétextaient une soi-disant libération des femmes pour légitimer la guerre en Afghanistan. Curieusement, on constate que, les mêmes qui instrumentalisent le féminisme pour s’en prendre aux femmes musulmanes en Europe, n’ont pas de mots pour saluer et soutenir la place des femmes arabes dans ces événements.
En plus de transmettre jusqu’au-delà des frontières leur souffle chargé d’inspiration et d’appuis pour les luttes féministes, antiracistes et anti-impérialistes, les femmes jouent bien sûr un rôle essentiel pour l’approfondissement et l’élargissement des processus révolutionnaires en cours dans le monde arabe. Comme elles l’ont démontré le 29 janvier en Tunisie ou le 8 mars sur la place Tahrir en Egypte, elles se battent non seulement pour les droits sociaux et démocratiques de l’ensemble du peuple, mais aussi pour leurs droits spécifiques en tant que femmes.
L’étendue des droits des femmes est bien sûr variable selon les pays de la région. Mais, inspirées et encouragées par l’énergie révolutionnaire de ces derniers mois, toutes revendiquent une amélioration de leur statut, via l’abolition de la tutelle parentale sur les femmes, le libre accès au travail, la fin des violences sexistes et des mutilations sexuelles, ...
Il va de soi que, si les revendications des femmes ne sont pas prises en compte, si leur rôle essentiel dans les mouvements révolutionnaires en cours, ceux-ci n’ont aucune chance de mener à bien un changement radical de société. Il s’agit donc d’un défi majeur à relever, qui ne peut être remis à d’autres lendemains mais bien être saisi à pleines mains à l’heure où la révolution se construit.