Édition du 17 décembre 2024

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La révolution arabe

Printemps arabe ... construire demain

Olfa Lamloum est politologue et chercheure sur le Monde arabe. Propos recueillis par Patrick Ackermann pour « Les nouvelles du Sud », le mensuel aux adhérents de la Fédération Sud-PTT. Entretien de janvier 2012.

Le « printemps arabe » a-t-il des motivations communes ?

Olfa : Oui, sans nul doute. Les soulèvements aussi puissants qu’inattendus qui secouent le monde arabe depuis décembre 2010 au point de conduire au départ de trois dirigeants à la longévité record (Ben Ali, Moubarak et Kadhafi) à ce que les spécialistes de la région ont appelé le syndrome autoritaire. En Tunisie, comme en Egypte, en Libye au Bahreïn, en Syrie et au Yémen dominent des groupes fermés ancrés dans des solidarités familiales et clientélistes et des élites prédatrices et corrompues dont l’ultime objectif a toujours été de se maintenir au pouvoir.

Si on prend le cas de la Tunisie, plusieurs facteurs géostratégiques, économiques et sociaux ont facilité le déclenchement du soulèvement et le départ de Ben Ali : la taille du pays, son taux élevé d’éducation, son homogénéité ethnique et religieuse, son éloignement du conflit israélo-arabe, la pauvreté de ses ressources naturelles ... Or, s’il est impossible d’apprécier avec précision l’impact de ces caractéristiques, il est en revanche clair que la perception populaire du pouvoir de Ben Ali comme une autorité sans morale est l’une des clés qui permet de saisir la révolution tunisienne et le consensus social inter-classiste qui l’a accompagnée. Leila Ben Ali et sa famille ont ainsi incarné, aux yeux des Tunisiens, l’évolution quasi mafieuse du système. L’arbitraire policier et administratif, la généralisation du clientélisme et de la corruption ont fragilisé les fondements du pouvoir.

Aussi, à la première épreuve d’envergure (à savoir les mobilisations à partir de décembre 2011) le régime s’est effondré.

Tunisie, Libye , Egypte, Syrie, quelles sont les spécificités ?

Olfa : Nous sommes d’abord face à des systèmes politiques différenciés où le poids historique de l’armée dans la construction de l’Etat-nation, la nature et l’efficacité des dispositifs de contrôle et d’encadrement de la société, les ressources de légitimité matérielles et symboliques des souverains, l’inscription des élites au pouvoir dans la « pax americana », sont différents.

Rien ne rapproche l’armée tunisienne qui a été, depuis Bourguiba, exclue de la scène politique, de l’armée égyptienne au pouvoir depuis la révolution des officiers libres, en 1952 et qui tente aujourd’hui de perpétuer le régime de Moubarak sans Moubarak.

Nous sommes également face à des sociétés différenciées avec des traditions de luttes sociales et politiques et des formes d’organisations collectives très inégales.

Quelle signification des victoires électorales des courants islamistes ?

Olfa : En Tunisie le parti Ennahdha a obtenu 41 % des scores (1 500 000 voix) lors de l’élection, le 23 octobre 2011, des 217 membres de la nouvelle Assemblée constituante, chargée de rédiger une nouvelle Constitution et de désigner un gouvernement transitoire. En Egypte, le Parti de la justice et de la liberté (Frères musulmans) a recueilli 45 à 50 % du scrutin, tandis que le Parti Nour (salafistes) 20 à 25 %. Ces résultats attendus, montrent que l’islamisme constitue une pièce centrale de l’équation de sortie des régimes autoritaires de Ben Ali et Moubarak. Ils viennent confirmer le poids pris par cet acteur depuis le milieu des années 1980.

D’ailleurs, les rares ouvertures politiques, très contrôlées, initiées par certains régimes autoritaires dans la région à la fin des années 80 et début 90, ont toutes été marquées par la percée électorale des islamistes : Jordanie (automne 1989) ; Algérie (décembre 89 - janvier 90) ; Tunisie (avril 89) ; Koweït (automne 92).

Néanmoins, ces résultats révèlent également que le rapport de force est loin d’être stabilisé. Les islamistes ne sont, en aucun cas, en mesure de gouverner seuls. Ils sont obligés de composer avec d’autres forces politiques ainsi qu’avec des mobilisations sociales et politiques inédites dans les deux pays.

Pourquoi la gauche arabe est-elle défaite ?

Olfa : La gauche arabe à l’instar de la gauche internationale est faible, divisée, traversée par des luttes intestines et sans ancrage social réel. Elle a de surcroît, souffert de la répression et du contrôle strict des sociétés par les pouvoirs en place. Le Parti de l’action communiste en Syrie, une des composantes les plus radicales et les plus importantes de la gauche radicale arabe durant les années 1980, a été réduit au silence à l’issue d’une répression féroce.

Toutefois, le nouveau contexte de radicalisation et de politisation ouvre aujourd’hui des nouvelles perspectives pour cette gauche. Il permet en particulier des perspectives inespérées pour la construction d’un espace plus démocratique et égalitaire dans la région.

Quels liens sont-ils possibles entre la gauche européenne, politique ou syndicale, et la révolution arabe (tunisienne en particulier) ?

Olfa : Je pense qu’il s’agit bel et bien d’une question centrale aujourd’hui. Comment tisser ces liens de solidarité réciproque ? Comment s’inscrire dans ce printemps arabe, ici en France et ailleurs en Europe, pour construire un nouveau rapport de force à l’échelle internationale et s’engager tous ensemble en faveur d’un projet social démocratique et égalitaire ?
Un des premiers pas est certainement, dans le cas tunisien par exemple, de construire un mouvement de solidarité avec les luttes ouvrières et syndicales dans le pays. Le mouvement social tunisien est très demandeur d’expérience de lutte et d’organisation, d’échange, de débat politique

Olfa Lamloun

Olfa Lamloum est politologue et chercheure sur le Monde arabe. Directrice du bureau d’International Alert en Tunisie.

https://www.international-alert.org/fr/where-we-work/tunisia

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