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Présidentielle (France) : « L’impasse de la gauche a été coproduite par la Primaire populaire et les partis »

Au lendemain des résultats de la Primaire populaire, entretien avec le politiste Guillaume Gourgues. Sévère avec la démarche, il pointe également le « vide » laissé par les partis, qui ne sont plus en phase avec certaines fractions de leur électorat le plus mobilisé, sans parler des milieux populaires.

31 janvier 2022 | tiré du site Europe solidaire sans frontières
https://www.mediapart.fr/journal/france/310122/l-impasse-de-la-gauche-ete-coproduite-par-la-primaire-populaire-et-les-partis

Dimanche soir, les résultats de la Primaire populaire sont tombés. Sans surprise, Christiane Taubira a réuni le plus d’appréciations positives et a donc décroché l’investiture de ce processus inédit, monté à l’origine pour pousser à l’union des gauches (lire notre article).

Guillaume Gourgues, maître de conférences en science politique à l’université Lumière-Lyon 2, est spécialiste des démarches de démocratie participative. Il s’est intéressé à cette initiative dite « citoyenne », en tant que symptôme de la légitimité déclinante des partis de gauche déjà existants. Peu avant l’issue du vote, il a rédigé avec Rémi Lefebvre un texte critique mais nuancé, qui mettait « la balle au centre » entre la Primaire populaire et le monde ancien de la compétition partisane.

Quel est le terreau qui a rendu cette démarche possible ? Ses défauts pourraient-ils être conjurés par un rapport moins conflictuel aux partis, si du moins ceux-ci décidaient de jouer le jeu ? Le politiste a répondu aux questions de Mediapart, en affirmant deux convictions parallèles. D’un côté, les initiatives telles que la Primaire populaire doivent dépasser leur focalisation sur les procédures, dont l’importance ne saurait primer sur celle du contenu programmatique et de l’ancrage de terrain. D’un autre côté, il serait naïf de faire confiance aux partis pour penser leur propre transformation.

Fabien Escalona : Vous avez assisté à la publication des résultats de la Primaire populaire, dont l’originalité était d’utiliser le jugement majoritaire comme mode de scrutin. Cela consistait à porter des appréciations sur chaque candidat ou candidate, plutôt que de sélectionner un seul nom. Que pensez-vous de cette innovation ?

Guillaume Gourgues : Le jugement majoritaire est porté depuis plusieurs années par une nébuleuse d’activistes de la démocratie, qui viennent de l’entrepreneuriat social, du milieu des civic tech, des listes participatives à des scrutins locaux… Le dispositif est intéressant, mais me pose deux problèmes dans le cas de la Primaire populaire.

D’abord, la mise en avant de ce mode de scrutin a pu brouiller le message de la démarche. La Primaire populaire a été présentée comme une forme de participation à la vie politique dans son ensemble, mais aussi comme l’occasion de défendre une procédure démocratique particulière. Or, celle-ci rendait compliquée, à mon sens, l’appréhension de l’initiative au-delà d’un sérail intello déjà convaincu par l’importance de ce genre d’innovations.

Ensuite, pour être complètement convaincante, la démarche aurait dû aller jusqu’au bout. À ce stade, on ne sait pas grand-chose du détail des résultats. Aucune donnée sociodémographique n’a par exemple été communiquée, ne serait-ce que l’âge ou le lieu de résidence des votants. On ne sait pas à qui on a affaire, encore moins que lors de primaires ouvertes organisées par des partis, où l’on a tout de même une idée de la sociologie des sympathisants concernés.

La désignation de Christiane Taubira, qui n’a pas de programme et n’est l’incarnation d’aucun intellectuel collectif, n’est-elle pas le comble de la personnalisation, à laquelle nous a reconduits un dispositif censé trancher avec les vieilles pratiques de la politique ?

Oui, et cela confirme que le seul jeu de la procédure ne change rien à la nature profonde du système politique. Celui-ci reste dominé par l’affrontement entre grands leaders partisans et professionnels de la politique établis depuis des années. Il est frappant que ce soient de telles figures qui occupent les quatre premières places du classement de la Primaire populaire, quand les deux candidates authentiquement citoyennes ont été reléguées à sa toute fin.

Mais convenons que si nous en sommes là, c’est que depuis 2017, les partis établis ont refusé d’écouter ce qu’il se passait dans la société, d’ouvrir leurs oreilles et leur porte autrement qu’à travers des cooptations ponctuelles de personnalités. J’en veux pour preuves trois signaux importants, dont certains sont antérieurs à la Primaire populaire.

Premièrement, les partis ont considéré comme un épiphénomène l’émergence de listes participatives aux élections municipales, qui ont pourtant testé des modes alternatifs de sélection des candidats et de confection du programme, et ont parfois remporté des succès comme à Poitiers.

Deuxièmement, aucun d’entre eux ne s’est vraiment intéressé aux cahiers de doléances exprimées dans le cadre du « grand débat », dans la foulée de la mobilisation des « gilets jaunes ». Nous sommes un certain nombre à réclamer aujourd’hui qu’ils soient davantage publicisés : on parle d’un des mouvements les plus importants et inédits de ces dernières années !

Troisièmement, les partis n’ont pas sérieusement investi les discussions sur le socle commun programmatique de la Primaire populaire, qui est très vague. Et pour cause : hormis La France insoumise, ils ne se rappellent leur fonction programmatique qu’à la veille des élections.

« Les partis existants n’ont pas non plus de quoi pavoiser, ni de quoi se la jouer « prolo » face aux « bourgeois » de la Primaire populaire. »

Selon vous, la Primaire populaire et les partis se différencient par des types d’engagement et de militantisme assez distincts. Comment cela se traduit-il ?

J’observe en effet un dédain croisé entre, d’un côté, des militants d’adhésion, de combat, qui refusent d’écouter les gens de la Primaire populaire au nom de l’action sur le terrain, et, d’un autre côté, les partisans de cette Primaire populaire qui font parfois preuve d’une certaine condescendance envers les premiers. De fait, les milieux populaires se retrouvent plus dans un style d’engagement qui donne davantage d’importance au travail de propagande et à la confrontation directe avec le camp adverse, qu’à des techniques participatives sophistiquées.

Remarquons que ce schisme est surtout repérable à gauche. À droite, personne ne se querelle vraiment à propos de cela, c’est largement un militantisme « à l’ancienne » qui prévaut, et vous ne trouverez pas grand monde pour vouloir « co-construire » des plateformes politiques de manière inclusive.

Je pense que la Primaire populaire est consciente de sa faiblesse en ce qui concerne le contact sur le terrain. Dimanche soir, dans la foulée de l’annonce des résultats, ce n’est pas un hasard si ses animateurs se sont efforcés d’expliquer qu’ils avaient des bénévoles, des comités locaux… L’énumération cachait mal la faiblesse de l’ancrage réel, qui leur fait d’ailleurs un point commun avec les partis ! La démarche ne peut se prévaloir de représenter les « citoyens » ou le « peuple », c’est un groupe d’intérêt situé dans l’espace social.

D’un autre côté, les partis existants n’ont pas non plus de quoi pavoiser, ni de quoi se la jouer « prolo » face aux « bourgeois » de la Primaire populaire. En 2017, La France insoumise a bien attiré des électeurs de milieux populaires, mais ceux-ci restent peu présents dans sa base militante, et le parti manque de relais pour s’adresser à eux. Quand Jean-Luc Mélenchon va chez Cyril Hanouna à la télévision, c’est parce qu’il sait bien qu’il n’est pas facilement audible des franges les plus éloignées de la politique. Partis et Primaire populaire : tout ce petit monde se ressemble beaucoup, leurs membres n’occupent pas des points de l’espace social extrêmement distants.

Un des aspects critiqués de la Primaire populaire a été le manque de délibération, ce qui est encore une fois un paradoxe pour une procédure s’inscrivant dans le registre d’une démocratie plus participative…

En termes de débat, on constate même un recul par rapport aux autres primaires tenues par les écologistes ou LR, qui incluaient la confrontation démocratique entre candidats. Cela est pourtant très révélateur de tendances que j’ai observées dans les milieux de la démocratie participative, dont les protagonistes croient souvent dur comme fer à la centralité de la « bonne » procédure, celle qui va déverrouiller le jeu politique dans le bon sens.

Sauf qu’à force de se concentrer sur une méthodologie rigoureuse permettant d’arriver à un résultat à tout prix, on perd de vue le contenu, la substance politique qui est en jeu. C’est ce qui s’est passé dans le cas de la Primaire populaire, dans la mesure où le temps accordé à la question programmatique a finalement été assez court. Très vite, on est passé aux parrainages et au vote. Le socle commun censé réunir les candidats n’est qu’un plus petit dénominateur commun, pas assez abouti pour subir le choc d’une campagne électorale.

Maintenant, que peut-on attendre de Christiane Taubira, qui a bénéficié d’un dispositif lui permettant de candidater sans réel programme ? Il n’est même pas certain que son socle programmatique soit ou restera celui de la Primaire populaire. Quant à sa promesse d’appeler Yannick Jadot ou Jean-Luc Mélenchon, que peut-elle leur dire qu’ils ne savent déjà ?

Vous soulignez que, malgré ses défauts, la Primaire populaire a été rendue possible par le défaut de légitimité et la perte d’ancrage des partis dans la société. Est-ce qu’on peut imaginer que les démarches citoyennes et partisanes convergent, plutôt qu’elles ne s’excluent et ne se fassent respectivement du mal, comme dans le cas présent ?

Je crois à la nécessité et à la possibilité de cette rencontre. L’enjeu mériterait des états généraux mettant à plat le problème partisan qui est central à gauche. On ne peut laisser aux partis le soin de se réinventer et d’échapper à la « loi d’airain de l’oligarchie », déjà mise en avant au début du siècle dernier et dont les générations actuelles ont plus que ras-le-bol. Il faut qu’une structure collective incite les partis à se faire l’écho des préoccupations et des revendications qui émergent dans la société, puisqu’ils n’ont visiblement plus assez d’antennes pour cela, y compris au sein des populations politisées et historiquement acquises. Il faut également remettre sur la table les dégâts d’une professionnalisation à outrance de la vie politique.

Tout cela s’inventera en fonction d’une configuration politique qui sera propre à la France, mais l’exemple chilien est encourageant. On retrouve au gouvernement des figures jeunes, venues de l’activisme et ayant également joué le jeu des partis et de la compétition électorale.

À cet égard, je vois bien l’attrait du Parlement de l’Union populaire lancé autour de la candidature de Jean-Luc Mélenchon : les seuls qui ont réagi avec un texte argumenté et programmatique aux propos de Macron sur l’université, par exemple, sont des personnalités engagées dans ce Parlement, là où les autres partis en sont restés à des protestations très générales. Mais on voit bien la fragilité d’une construction dépendante d’un candidat et d’un mouvement dont la démocratie interne est extrêmement critiquable.

En attendant, à court terme, la gauche se trouve dans une impasse radicale, coproduite par la Primaire populaire et les partis. La première a ignoré les restes de légitimité et de ressources des seconds, tout en restant probablement confinée à un réduit sociologique. Mais toutes les critiques envers cette démarche ne doivent pas oublier qu’elle est le symptôme du vide laissé par les partis, de plus en plus hors-sol.

P.-S.
• MEDIAPART. 31 janvier 2022 à 18h35 :

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