Tiré du blogue de l’auteur.
Dès dimanche soir, son père Jean-Marie Le Pen s’est vigoureusement opposé à cette transformation et au changement de nom du parti qu’il a cofondé en octobre 1972 sur les décombres du mouvement néofasciste Ordre Nouveau. De son point de vue, le résultat obtenu par Marine Le Pen est un échec due à l’influence qu’exerce sur elle son principal conseiller et vice-président du FN, Florian Philippot.
Certes, à 89 ans, Jean-Marie Le Pen ne constituera pas pendant longtemps un obstacle sur la route de sa fille. Néanmoins, le cofondateur du parti conserve un certain pouvoir de nuisance qu’il peut d’autant plus faire valoir que les divisions ne manquent pas au sein du Front national. Le FN n’a jamais été un parti monolithique contrairement à ce que la prééminence du Chef pouvait le faire penser. Le talent de Jean-Marie Le Pen fut de faire cohabiter en une seule entité politique les traditionnelles familles de l’extrême-droite française – pétainiste, royaliste, catholique intégriste, nationale-révolutionnaire, néofasciste – qui se sont souvent opposées, y compris durant l’Occupation.
Pour conserver l’harmonie au sein de son parti, Jean-Marie Le Pen préférait agir sur l’Exécutif de l’extérieur, en évitant de diluer son mouvement dans des alliances formées en vue d’exercer les responsabilités gouvernementales. Marine Le Pen a choisi une stratégie inverse ; elle veut exercer la réalité du pouvoir. Or, il lui sera impossible de viser cet objectif sans alliance. La première qu’elle a conclue, celle avec Debout la France de Nicolas Dupont-Aignan – qui veut rester indépendant du FN – n’a guère été convaincante[1]. Mais ce fut un début. Dans l’optique des élections législatives (11 et 18 juin), elle cherche à attirer dans ses filets l’aile droite du parti Les Républicains en pleine décomposition. Et pour ce faire, il est préférable de transformer le FN en écurie présidentielle, en évacuant les symboles encore liés à l’extrême-droite.
Au sud, le FN fait moins bien que prévu
Mais cela ne va pas sans résistance au sein des éléments les plus militants du Front national qui risquent d’élargir les lézardes. Les nombreuses divisions au sein du parti se fédèrent en deux grands courants, deux figures et deux régions. La tendance incarnée par Marine Le Pen et Florian Philippot (un ancien proche du souverainiste de gauche Chevènement) est ancrée dans le nord et l’est de la France que la présidente du FN a arrachés aux socialistes. Son propos est nettement social, étatique, antilibéral et souverainiste. Il s’adresse à l’électorat ouvrier du FN.
L’autre courant est représenté par la nièce, Marion Maréchal-Le Pen, députée du Vaucluse. Son propos met en exergue l’identité nationale et culturelle, le catholicisme conservateur et intégriste ; en revanche, ce courant défend une conception libérale de l’économie, l’Etat devant se concentrer sur son autorité régalienne (armée, police, frontière). Son électorat est moins ouvrier qu’au nord et plus représenté dans le monde du commerce, des artisans, des petits patrons et des nostalgiques de l’Algérie française, nombreux dans cette région.
Alors que l’on s’attendait à ce qu’elle prenne la tête de la Région Provence-Alpes-Côtes d’Azur, très favorable au FN, Marine Le Pen y a été battue assez largement par Emmanuel Macron (44, 5% contre 55,4%). Même dans le Vaucluse, fief de Marion Maréchal-Le Pen, la candidate frontiste ne fait pas un tabac (46,5% contre 53,4% à Macron). La mobilisation du FN s’est donc révélée moins forte que prévue, ce qui peut démontrer que le message « social » de Marine Le Pen ne passe pas de façon optimale auprès des frontistes du sud.
Dès lors, la présidente du FN ou de sa nouvelle mouture devra équilibrer savamment les investitures de candidats en vue des législatives pour colmater les brèches. Pour l’instant, Marion Maréchal-Le Pen et ses partisans se tiennent sur la réserve. En cas de résultats décevants aux législatives, les couteaux seront dégainés au sein du parti. Et de la famille Le Pen.
Jean-Noël Cuénod
Cet article a paru dans une version plus courte dans la Tribune de Genève et 24 Heures de mardi 9 mai 2017.
[1] A Yerres, près de Paris, fief du député-maire Nicolas Dupont-Aignan, Marine Le Pen réalise un score inférieur (31,5%) à celui qu’elle a obtenu sur le plan national (33,9%).
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