Édition du 12 novembre 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Éducation

Pourquoi l'ASSÉ aurait dû participer au Sommet sur l'enseignement supérieur

Plus de sept mois après la fin du Sommet sur l’enseignement supérieur, il peut apparaître étrange de revenir sur les conséquences du boycott de l’ASSÉ. La plupart diront en effet que c’était avant la tenue du sommet qu’il s’agissait de s’interroger là-dessus et ils ont en grande partie raison. Néanmoins, disposant aujourd’hui du recul nécessaire pour mesurer les conséquences de cette décision, en tirer un premier bilan s’avère nécessaire. De fait, si plusieurs textes ont été écrits avant le boycott du Sommet, aucun, à ma connaissance, n’a été écrit à sa suite.

L’auteure est étudiante en doctorat de philosophie à l’Université de Montréal.

Les arguments en faveur du boycott

Quels ont été les principaux arguments mis de l’avant en faveur du boycott et pourquoi se sont-ils révélés inopérants ?

Participer au sommet, c’est cautionner son résultat

La participation de l’ASSÉ au Sommet aurait signifié son accord avec ses conclusions, soit l’indexation. Mais pourquoi, l’ASSÉ, à la suite du Sommet serait devenue incapable d’exercer un point de vue critique, quelque chose qu’elle a pourtant l’habitude de faire ? Il semble même, au contraire, que c’est en y participant qu’elle aurait pu acquérir davantage d’outils critiques. À l’inverse, on pourrait se demander, si le fait de ne pas y aller, soit de laisser faire les conclusions, n’est pas une attitude qui in fine favorise le résultat final.

La place de l’ASSÉ est dans la rue

En tant qu’organisation étudiante défendant les intérêts de ses membres, il est évident qu’elle se doit d’être mobilisatrice quand ces derniers sont bafoués. C’est en ce sens que l’organisation de la manifestation durant le Sommet était une bonne chose afin de signifier son opposition à l’indexation. Néanmoins, en tant qu’organisation étudiante justement, sa place n’était-elle pas aussi au sein d’un sommet portant sur l’enseignement supérieur afin d’y défendre les positions de ses membres et leur retransmettre la nature des délibérations à l’intérieur ? Bref, n’avait-elle pas un rôle de défense de ses positions et de transmission de l’information ?

Participer au Sommet diminuera la mobilisation durant la manifestation ainsi que le nombre d’étudiants en grève

Cet argument s’est révélé faux quelques jours après l’annonce du boycott puisque plusieurs associations membres de l’ASSÉ (des cégeps essentiellement) ont voté contre la tenue d’une journée de grève et des menaces de désaffiliation ont même surgi. Penser que le boycott allait favoriser la mobilisation, c’était ne pas prendre en compte le contexte, soit celui d’un épuisement post-grève légitime.

Les conséquences néfastes à long terme

Au-delà de l’interrogation sur la pertinence des arguments développés en faveur du boycott, il est frappant de voir qu’ils portaient essentiellement sur les conséquences néfastes possibles à court terme au niveau de la mobilisation contre l’indexation, mais aucunement sur les conséquences néfastes possibles à long terme au niveau du poids futur de l’ASSÉ face aux enjeux reliés à l’enseignement supérieur. Autrement dit, ils ne se sont pas interrogés sur la possibilité pour l’ASSÉ de maintenir dans le domaine de l’éducation une voix critique conséquente suite à ce boycott. Ces conséquences néfastes se déploient à deux niveaux.

La participation future de l’ASSÉ aux rencontres portant sur l’enseignement supérieur

Alors que l’ASSÉ/CLASSE reprochait aux libéraux de ne pas l’inviter, elle ne s’est pourtant pas questionnée sur ce qu’impliquerait un boycott du Sommet au niveau de sa participation future à des rencontres gouvernementales portant sur l’enseignement supérieur. En fait, en boycottant, l’ASSÉ a même facilité le travail du Parti québécois : ce dernier n’a en effet plus besoin de justifier pourquoi l’ASSÉ n’est pas invitée à telle rencontre ou de subir sa présence dérangeante, elle s’est désinvitée elle-même.

De la même façon, depuis son refus de participer au Sommet, toute dénonciation publique de sa part de non-invitation à telle rencontre, comme cela a pu être le cas récemment, ridiculise l’ASSÉ qui, il y a sept mois auparavant, annonçait publiquement pourquoi elle boycottait une rencontre gouvernementale faite derrière des portes closes. Cela la ridiculise d’autant plus quand elle invoque le fait que le ministre se prive de la présence d’une organisation qui représente 70 000 étudiant-e-s, cette même organisation qui n’a pas jugé bon de cette représentation lors du Sommet.

Or, c’est pourtant lors de ces rencontres gouvernementales que l’ASSÉ peut avoir accès, autrement que par médias interposés, à des informations concernant les orientations et politiques à venir au niveau de l’enseignement supérieur et ainsi elle-même se préparer à répliquer de façon adéquate.

La prise critique de l’ASSÉ face aux enjeux reliés à l’enseignement supérieur

En décidant de boycotter le Sommet, l’ASSÉ s’est fermée la porte d’une participation aux chantiers issus de ce dernier et portant sur des points cruciaux reliés à l’enseignement supérieur : aide financière aux études, financement des universités, offre de formation au collégiale, création d’un Conseil national des universités, loi-cadre sur les universités. Ne participant pas à l’élaboration des Rapports post-chantiers et ne pouvant avoir connaissance des enjeux internes, l’ASSÉ est mise hors-jeu des débats et ne peut exercer de pression politique pour que sa voix soit entendue.

Ses dernières sorties médiatiques à propos des Rapports sur le Conseil des universités ou la loi-cadre témoignent par ailleurs d’une difficulté à articuler son discours, le rendre compréhensible ainsi que saisir les enjeux de ces Rapports. Si par exemple, la création d’un futur Conseil national des universités n’est pas chose sans conséquence quant à l’avenir de nos universités, elle peine à élaborer une position claire. L’ASSÉ est ainsi aujourd’hui incapable de développer un point de vue critique cohérent et constructif face aux orientations futures de l’enseignement supérieur qui la concernent pourtant au premier plan. Bref, alors même qu’il s’agit d’une organisation étudiante nationale, les enjeux propres à l’éducation semblent lui échapper.

De façon plus générale, ce boycott illustre une difficulté de l’ASSÉ à s’emparer des questions de fond reliées à l’enseignement supérieur, à en faire un objet de débat au sein de ses Congrès ainsi qu’à porter des revendications constructives. Or, si cette dernière souhaite maintenir son statut d’organisation étudiante militante défendant âprement l’intérêt des étudiants et leur place au sein de l’enseignement supérieur, un recentrement autour des enjeux académiques serait nécessaire.

Sur le même thème : Éducation

Sections

redaction @ pressegauche.org

Québec (Québec) Canada

Presse-toi à gauche ! propose à tous ceux et celles qui aspirent à voir grandir l’influence de la gauche au Québec un espace régulier d’échange et de débat, d’interprétation et de lecture de l’actualité de gauche au Québec...