La crise du climat dont on parle et qui est à l’origine, le 27 septembre 2019, de la plus grande manifestation de l’histoire du Québec et qui s’est inscrite dans une perspective mondiale n’est pas seulement une crise du climat mais une crise de civilisation. Le mouvement syndical doit prendre un engagement plus ferme sur la question environnementale.
D’emblée, nous devons dire que l’intégration de la pensée écologique ne se résume pas à changer nos habitudes de vie ou de travail pour s’adapter à la réalité écologique en ce qui concerne l’alimentation, les emballages ou le recyclage. Ces pratiques sont nécessaires et importantes. Cependant, notre but est plus ambitieux.
Il s’agit de penser la pratique syndicale dans une perspective écologique qui ne se situe pas uniquement dans une posture d’habitude individuelle ou communautaire.
Pensons ici à quelques pistes de travail. Nous pourrions intégrer la question écologique dans une perspective économique en favorisant des emplois verts comme le fait un mouvement en Angleterre depuis quelques années. Il serait possible aussi de dégager des pistes écologiques en ce qui concerne l’organisation du travail au quotidien et même sur le déploiement du réseau de la santé et des services sociaux. Un point de vue écologique sur le réseau de la santé et des services sociaux serait de revendiquer un réseau à visage humain ancré dans la communauté et au service de la communauté. Ce réseau se situe à l’antipode des délires du Ministre Barette qui a créé un réseau monstrueux et dysfonctionnel qui ne sert que les intérêts du capital qui investit et récolte des dividendes dans le domaine de l’immobilier, de l’informatique et de la technologie médicale par exemple.
Tout récemment la journaliste Naomie Klein dans son livre La maison brûle révèle une idée qui devrait interpeller le monde syndical :
« S’attaquer à la crise du climat permettrait de créer des centaines de millions de bons emplois partout dans le monde, d’effectuer des investissements dans les régions les plus systématiquement marginalisées de la planète, de garantir des soins de santé à tout le monde, d’offrir des services de garde à la petite enfance et de mettre en place une myriade d’autres mesures. On créerait ainsi des économies conçues à la fois pour protéger et régénérer les écosystèmes et pour nourrir et respecter les personnes qui en dépendent. On répondrait également à une nécessité plus vague, quoique tout aussi importante : en cette époque où les gens sont de plus en plus isolés dans des bulles d’information herméneutiquement closes, où l’on ne s’entend pratiquement plus sur ce qui est vrai ou faux, un New Deal vert pourrait insuffler à la société un sentiment, une motivation à vivre ensemble et des objectifs concrets à l’atteinte desquels tout le monde contribuerait ». (Klein, 2019)
Face à la crise du climat nous devons passer à l’offensive et non pas alimenter une hystérie éco-anxieuse et imaginer la fin de notre monde qui effraie le monde au complet et en particulier nos enfants et nos personnes âgées.
Passer à l’offensive signifie de répondre aux besoins de notre communauté en renouvelant le sens du travail et en repensant les bases d’une démocratie de proximité.
L’offensive est le contraire du désespoir. Si on agit, c’est que nous avons espoir en l’avenir et sur la capacité de la société de se transformer. C’est avec cette motivation large que nous pouvons construire une pratique éco-syndicale.
Sur quelles bases pouvons-nous construire une pratique éco-syndicale qui pourrait répondre aux besoins de notre société ? Les travaux de la sociologue américaine Giovanna Di Chiro qui a enquêté dans le milieu des groupes communautaires intervenant en justice environnementale peuvent certainement nous aider à nous positionner.
Le concept de justice environnementale qui a été au centre de la pratique d’une multitude de groupes communautaires américains pourrait inspirer le mouvement syndical. Pour ces groupes qui se sont constitués au gré de luttes environnementales, en particulier dans des quartiers pauvres de villes américaines, le logement, la sécurité, l’emploi relèvent autant de l’environnement que celles des déchets dangereux, de la qualité de l’air et l’utilisation des sols. En fait, on intègre la santé communautaire dans un contexte environnemental. Pour ces organisations, les questions de justice sociale, d’économie locale, de santé et de gouvernance de la communauté relèvent toutes de l’environnement. L’environnement c’est l’espace dans lequel on travaille, on vit et on joue. (Giovanna Di Chiro, 1996)
Si on cherche à intégrer le concept de justice environnementale dans une pratique syndicale, nous devons, dans un premier temps, définir le portrait de notre communauté. Pour savoir ce que l’on fait, il faut savoir qui nous sommes. C’est une condition, selon Di Chiro, afin de définir l’engagement particulier que nous apporterons à la question environnementale.
Faisons ici un portrait sommaire des membres du syndicat de l’APTS du CIUSS Centre-Sud-de-l’île-de-Montréal [1] qui ont été consultés pendant plusieurs mois sur différentes questions concernant les dispositions nationales et locales de la convention collective. Il faut donc chercher à faire un portrait sociologique des membres de notre syndicat en dégageant les tendances en tenant compte de l’âge, de la classe sociale, du genre et de son rapport habituel à l’espace géographique et l’environnement.
Cherchons ici à dégager un « portrait- robot » des membres de notre syndicat. Nous sommes composés en majorité de femmes dans la trentaine ayant des enfants en bas âge. Elles sont fortement et rapidement endettées en raison de la conjoncture et de fortes dettes d’études puisqu’elles ont un capital symbolique assez fort. De plus, elles continuent, pour la plupart, à étudier et chercher des formations complémentaires. Indiscutablement, elles manquent de temps. Elles peuvent difficilement vaquer à d’autres activités que celles liées à leur travail ou à la famille. En ce qui concerne leur conception du travail, elles sont sensibles et éprouvent souvent de l’empathie pour le sort des communautés qui sont ébranlées sur le plan économique et psychologique. Mais non seulement elles travaillent pour les autres mais elles travaillent aussi avec les autres. Le travail en équipe est fortement valorisé puisque le climat de travail est lié à la qualité de l’intervention. Elles déplorent donc la surcharge de travail qu’elles éprouvent car elles n’ont pas le temps de travailler d’une manière adéquate auprès de la communauté. Par ailleurs, elles considèrent aussi que cette communauté ne reçoit pas les services qu’elle mérite.
Si on intègre les concepts de santé communautaire dans un contexte environnemental, comme le suggère la justice environnementale, nous sommes en mesure de définir les pistes d’action pour débuter une pratique écosyndicale dans notre syndicat :
• La libéralisation du temps pour les membres. Pour ce faire, il faut remédier à la surcharge de travail et favoriser de meilleures mesures en matière de conciliation travail- famille-études et en planification de main-d’œuvre.
• Développer une perspective féministe dans l’orientation des services de santé et des services sociaux par la diminution de l’écart salarial avec les autres composantes du secteur parapublic et de meilleures mesures en matière de conciliation travail-famille-études.
• Développer une perspective écologique dans un contexte urbain. Dans ce sens, des mesures doivent être prises afin d’améliorer le transport en commun sur l’ensemble de la région du Grand Montréal. Cette amélioration permettra aux membres d’avoir plus de temps disponible et vivre moins de stress psychologique. Le contexte urbain cause d’autres problèmes comme les ilots de chaleurs causant des problèmes énormes à la fois aux membres et à ceux et celles qui reçoivent des services. De multiples mesures doivent y être apportées.
• Intervenir sur la revitalisation des communautés qui vivent les conséquences de 25 ans de néo-libéralisme par une intervention étatique de lutte contre la pauvreté et la désaffiliation des communautés dans une perspective d’un revenu minimum stable et de développement de logements sociaux et par des pratiques d’action non punitives dans la communauté.
• Exiger le retrait du capitalisme transnational dans la planification d’un réseau de la santé et des services sociaux monstrueux et dysfonctionnels. C’est un système répondant aux besoins du capitalisme et non pas à ceux de la communauté.
• Interpeller les décideurs nationaux, régionaux et locaux qui font la promotion aujourd’hui du concept de la santé urbaine. Questionner ce concept et placer les décideurs devant leurs responsabilités en matière environnementale.
Transformer la pratique syndicale en une perspective écologique signifie que la pratique syndicale prenne une responsabilité sociale dans sa totalité. C’est-à-dire que non seulement la pratique syndicale défend les travailleuses et les travailleurs sur le plan économique mais elle visera à le faire aussi sur le plan social et environnemental. Et non seulement, les membres seront défendus d’une manière pleine et entière, mais cette défense pleinement assumée s’effectuera d’une manière solidaire et démocratique avec l’ensemble des composantes de la société.
L’avenir du syndicalisme c’est l’éco-syndicalisme !
René Charest, militant syndical
Références :
Naomi Klein, La maison brûle, plaidoyer pour une new-deal vert, Lux édition, Montréal, 2019
Giovanna Di chiro, La nature comme communauté in Emilie Hache (dir) Écologie politique, cosmos, communauté, Éditions Amsterdam, Paris, 2012.
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