Résumé du livre Écologie et socialisme [1]
À une époque où l’humanité est aux prises à la fois avec des catastrophes écologiques de plus en plus visibles et la précarisation du travail, ce livre se donne comme ambitieux objectif de faire la jonction entre le socialisme moderne héritier des populations ouvrières et des révoltes de la faim du 18e siècle et le besoin de sauvegarder l’environnement naturel.
Cet ouvrage est la réflexion de sept militants écosocialistes sous la direction de Michael Löwy, directeur de recherches émérite au Centre national de recherche scientifique (CNRS) français. Bien que la coordination soit le fait d’un Français, ce livre n’est pas exclusivement hexagonal. Les auteurs, choisis pour leur réflexion sur la pensée écosocialiste, proviennent aussi bien du Canada, des États-Unis, de la Suisse que de la France. De plus, ils appartiennent à diverses sensibilités politiques. « Ce qu’ils partagent c’est une critique radicale du paradigme capitaliste/industriel moderne et l’aspiration à une alternative radicale, un nouveau modèle de civilisation, à partir des idées et pratiques écologiques et socialistes. »
Pour bien aborder ce volume, il est essentiel de comprendre ce dont nous parlons lorsque nous parlons d’écosocialisme. Pour ce faire, nous pouvons dire que les principaux éléments de l’écosocialisme se basent sur cinq éthiques : 1- Une éthique sociale (qui ne vise pas à culpabiliser les individus dans leurs comportements), 2- Une éthique humaniste (ancrée dans les valeurs humaines et anthropocentristes), 3- Une éthique égalitaire (dans un projet qui vise une redistribution planétaire de la richesse), 4- Une éthique démocratique ( pour une démocratie qui s’applique aussi à l’économie), 5- Une éthique radicale (qui va à la racine du problème, qui n’accepte pas des demi-mesures et les marchés de droit de pollution). C’est sur ces éléments que les auteurs se basent pour écrire leur contribution à cet ouvrage.
Le premier auteur, Philippe Corcuff, membre du conseil scientifique d’Attac-France [2] et provenant de la mouvance des partis verts, nous présente le projet écosocialiste comme étant une nouvelle politique d’émancipation confectionnée avec des ressources républicaines et socialistes. Corcuff présente cette politique d’émancipation comme étant globalisante, intégrant au socialisme de nouvelles ressources (la question féministe, la question individualiste et la question écologique) pour répondre aux nouvelles questions actuelles. Pour ce faire, il propose de réinvestir le terrain de la recherche et du débat intellectuel. Pour lui, il est grandement temps de passer de l’écologie scientifique à une écologie politique, qui est la seule à passer à l’action.
S’inspirant de la pensée libertaire, Corcuff critique à la fois les penseurs socialistes, trop fortement scientifiques et les penseurs écologistes trop orientés contre le progrès. Tout en critiquant ces deux courants de pensée, il s’en inspire pour nous proposer une synthèse mettant l’accent sur l’action. Enfin, pour lui le projet écosocialiste doit être un projet de la pluralité où les différents projets de libération seraient imbriqués l’un dans l’autre et non pas subordonnés l’un à l’autre.
Le second auteur, François Iselin, est enseignant d’architecture à l’École polytechnique fédérale de Lausanne (Suisse). Comme responsable de la rubrique « écosocialisme » du magazine Solidarités, il a longuement réfléchi à la question du lien entre écologie et conscience de classe. Dans cette partie du livre, Iselin se pose la question suivante : « Comment se fait-il que les travailleuses et les travailleurs, qui sont les seuls capables de s’opposer aux destructions environnementales, tardent tant à prendre les commandes du monde ? » Iselin défend la thèse que la majorité des travailleuses et des travailleurs sont entretenus dans l’ignorance qu’un autre mode de production est possible. Un autre mode de production où les biens ne seraient pas produits dans le seul but de rapporter le plus d’argent possible au détriment des populations et de la planète.
Iselin documente sa thèse par quelques exemples simples à comprendre pour les Européens et Européennes. Il nous parle, entre autre, de la contradiction entre le fait de vouloir rouvrir le plus rapidement possible l’usine AZF de Toulouse après son explosion et la sécurité des populations vivant près de cette usine. Les mêmes contradictions se retrouvent lorsqu’il est question de cultures des OGM, de la fabrication d’armements militaires ou de la poursuite du programme nucléaire. À bien y penser, nous pourrions facilement trouver autant d’exemples, ici même au Québec, qui démontrent cette contradiction dans nos façons d’agir. Loin de lui l’idée de mettre la faute sur les travailleuses et les travailleurs. Au contraire, Iselin met ces problèmes sur le dos des responsables, des PDG et des propriétaires d’entreprises qui ont une pensée productiviste et qui ne veulent pas que les classes populaires y changent quoi que ce soit. Il défend la thèse que la méconnaissance du procès de production capitaliste conduit des travailleuses et des travailleurs à limiter leurs revendications à leur contrôle illusoire, croyant ainsi pouvoir le rendre efficace. Pour Iselin, la clef se trouve dans le développement d’une conscience de classe alliée à une conscience de la nature chez les classes populaires, qui elles seules ont le pouvoir de changer le mode de production.
Le troisième auteur, Andrew Feenberg, est professeur de philosophie de la technologie à la Simon Fraser University de Vancouver. Il nous trace d’abord un portrait des deux grands courants opposés de l’écologisme nord-américain apparus lors de la scission de ce mouvement en 1971, incarnés par Paul Ehrlich et Barry Commoner. Feenberg s’est en premier lieu intéressé à comprendre la pensée malthusienne de Ehrlich et du mouvement d’écologie profonde (deep ecology) qui propose une décroissance radicale de la démographie humaine pour réduire l’impact de l’humanité sur la nature. Feenberg s’est ensuite attardé à la politique de classe de l’environnement, incarnée par Commoner et le mouvement écologiste socialiste qui accorde une importance radicale au changement de mode de production.
Feenberg démontre aussi que cette intense polémique, qu’ont mené Ehrllich et Commoner en Amérique du Nord, a eu des répercussions sur le mouvement écologiste mondial. Les différents thèmes qu’ils ont abordés reflètent, entre autres, des orientations très différentes que l’on retrouve entre des organisations écologistes intégristes telles que la Terre d’abord ! (Earth Firts !) et des syndicats à conscience écologiste telles que le syndicat des travailleuses et des travailleurs du pétrole, de la pétrochimie et du nucléaire aux États-Unis. Ces deux façons de voir sont aussi à l’origine des scissions dans les Partis Verts européens, tel que nous avons pu le voir en France (division entre les deux partis politiques se réclamant de l’écologie : Les Verts et Génération Écologie) et en Allemagne (division entre les fundis et les realos).
Le quatrième auteur, Joel Kovel, est professeur d’études sociales au Bard College (États-Unis). Tout comme dans son essai Mariage des écologies radicales, il nous trace un portrait du regroupement de différentes formes de politiques écologiques radicales qui dépassent l’écologie profonde. Il part du principe qu’une politique écologique radicale exige une conception radicale de la nature humaine. Pour Kovel il faut retourner à la signification même de nature. Il nous démontre cela en se basant, entre autre, sur des études de Noam Chomsky portant sur nos capacités langagières biologiquement programmées. Kovel va jusqu’à faire un lien avec les spiritualités mystiques chamanistes qui mettent la Terre-Mère au centre d’une politique écologique. Pour Kovel toutes ces théories (et d’autres, qu’il explique plus longuement dans sa partie) sont issues de l’écologie profonde, une des écologies politiques les plus radicales. Pour lui l’écologie profonde qui cherche à rétablir une importance du sacré et d’un lien spirituel avec la Terre-Mère porte en elle une puissante critique du système économique capitaliste. Par contre, il en fait aussi la critique, car pour lui l’écologie, bien qu’aidée par la spiritualité, ne devrait pas s’accompagner d’une attaque radicale contre l’anthropocentrisme. Pour Kovel cette attaque contre l’humanisme même prive l’humain de sa nature particulière. Pour lui l’écologisme est une dialectique, l’humain est à la fois partie prenante et séparé de la nature.
Dans sa partie, Michael Löwy, coordonnateur de cet ouvrage, nous revient plus longuement sur son questionnement du début, en se demandant ce qu’est l’écosocialisme. Tout d’abord, il fait une recension de différents écrits de socialistes au sujet de l’écologie en commençant par Karl Marx et Friedrich Engels jusqu’à Tiziano Bagarolo en passant par Walter Benjamin. Ensuite, il critique le mouvement ouvrier traditionnel qui a trop souvent défendu l’énergie nucléaire ou l’industrie automobile ou d’autres formes de productions polluantes. Löwy continue en faisant la critique des partis verts européens - France, Allemagne, Italie et Belgique- qui sont devenus de simples partenaires écoréformistes de la gestion productiviste social-libérale du capitalisme par les gouvernements de centre-gauche. Il termine sa critique par celle de l’écologie profonde et de son attaque contre l’anthropocentrisme, en posant une question lourde de sens : « Faut-il vraiment considérer que le bacille de Koch ou l’anophèle ont le même droit à la vie qu’un enfant malade de la tuberculose ou du paludisme ? »
Ainsi, l’écosocialisme puise à la fois dans les propositions du mouvement ouvrier, de l’écologie politique et de l’écologie radicale. Il s’agit d’un courant de pensée et d’action écologique qui fait siens les acquis fondamentaux du socialisme tout en le débarrassant de ses scories productivistes. Il repose sur deux arguments essentiels : 1- Le mode de production et de consommation actuel des pays capitalistes avancés ne peut aucunement être étendu à l’ensemble de la population mondiale, 2- La sauvegarde de l’environnement naturel est un impératif humaniste. La politique écosocialiste implique que l’écologie renonce aux tentations du naturalisme anti-humaniste et que le socialisme renonce aux tentations productivistes du développement. Dans sa partie, Löwy nous propose certaines demandes immédiates qui peuvent rapidement être un lieu de convergence entre le rouge et le vert. En terminant Löwy nous rappelle que concrètement, des liens se sont déjà tissés entre le rouge et le vert au Sud, entre autres avec les luttes du MST [3] brésilien et des mouvements paysans péruviens et boliviens.
L’avant-dernier auteur de cet ouvrage, Pierre Rousset, a participé au Parlement européen à la commission Environnement comme représentant de la Gauche unitaire européenne/Gauche verte nordique (GUE/NGL). Il se pose la question essentielle à laquelle les écosocialistes doivent trouver des réponses : À quel point la crise écologique conduit les socialistes à repenser le programme de transformation sociale ? Pour lui, force est de constater que la crise écologique est belle et bien visible, pourtant l’intégration de l’écologie à la politique de transformation sociale n’est encore que très partiellement réalisée. Pour Rousset, il ne s’agit pas d’ajouter un paragraphe à un programme, mais bien de penser l’écologie transversalement dans l’ensemble du programme, comme la dimension féministe ou LGBT [4] y a été intégrée. Pour réaliser cette transversalité il faut la penser globalement, il faut faire la synthèse de connaissances entre les sciences humaines et les sciences naturelles. Ce n’est que grâce à cette transversalité que les socialistes pourront dire qu’ils ont repensé le programme de transformation sociale.
Le dernier auteur, Victor Wallis, est professeur de science politique au Berklee College of Music (Boston, États-Unis). Cet auteur termine le livre Écologie et socialisme par un plaidoyer pour l’écosocialisme. Selon lui, à la crise écologique qui menace la Terre, seul l’écosocialisme offre une approche complète. Dans sa partie, Wallis ébauche les contours d’une société socialiste écologique et il réfléchit à quelques-uns des problèmes ardus de la transition. Pour lui, une société socialiste écologique est à la base une société où il n’y a pas de division de classe et où les humains vivent en équilibre avec la nature. Ces deux exigences sont, pour Wallis, fondamentales et interrelationnelles. Il s’attaque à la fois à la classe de propriétaires/gérants du capital qui cherche à maximiser la richesse qu’elle contrôle et à la consommation superflue d’énergie (il fait toute une énumération des activités surconsommatrices d’énergie). En s’attaquant à ces problèmes, une société socialiste écologique devrait à la fois servir l’humanité et la nature. Tout en faisant ce vibrant plaidoyer pour l’écosocialisme, Wallis nous met en garde : « La perspective écosocialiste doit être prête à enrichir et adapter sa vision chaque fois qu’un secteur nouveau se risque à s’ouvrir à un monde plus large. »
Les auteurs de ce livre ne voient pas l’écosocialisme comme le refus du socialisme du 20e siècle, mais bien comme son dépassement. Pour nous, lecteurs et lectrices, ce livre donne des pistes de réflexions et d’actions pour faire cette alliance radicale entre le rouge et le vert, entre l’humain et la nature. Ce petit livre de 155 pages se veut une excellente synthèse des questions que se pose l’écosocialisme à une époque où ni la lutte pour une vie digne, ni la lutte pour un environnement meilleur ne peuvent être ignorées. Notre espèce est devenue mortelle à une échéance pensable et seules des changements radicaux peuvent renverser cette dernière. Ce livre contribue à placer des jalons sur le chemin que nous devons prendre pour éviter la fin de l’humanité. Maintenant, il n’en tient qu’à nous de nous opposer à celles et ceux qui contrôlent le mode de production productiviste qui nous conduit tout droit dans un cul de sac écologique.