Tiré de Entre les lignes et les mots
Cet arrêt est une immense gifle portée à Emily Spanton, à qui nous adressons tout notre soutien, mais aussi à toutes les femmes, 51% de la population, toutes victimes directes ou indirectes de violences masculines sexistes et sexuelles.
Rappelons pourtant que la Cour Européenne des Droits de l’Homme exige des Etats membres, dont la France, de protéger de manière effective les femmes contre les violences sexuelles. Elle a récemment jugé que :
« Si cette exigence d’effectivité n’impose pas que toute procédure pénale doive se solder par une condamnation, voire par le prononcé d’une peine déterminée, les instances judiciaires internes ne doivent en aucun cas s’avérer disposées à laisser impunies des atteintes à l’intégrité physique et morale des personnes, pour préserver la confiance du public dans le respect du principe de légalité et pour éviter toute apparence de complicité ou de tolérance d’actes illégaux » (CEDH, 27 mai 2021, J.L. contre Italie, n° 5671/16, § 118).
La jurisprudence de Cour européenne oblige aussi les autorités judiciaires à tenir compte de la forte dimension psychologique qui s’attache aux violences sexuelles, des connaissances actuelles relatives tant aux réactions des victimes de viols qu’aux stratégies des agresseurs, de s’assurer que la culture du viol à savoir, les stéréotypes archaïques sur la sexualité des hommes et des femmes, l’inversion de culpabilité et l’irresponsabilité des auteurs, n’aient pas leur place ni lors de l’enquête, et encore moins dans les motivations de justice.
C’est au mépris de ces règles et aux termes d’une feuille de motivation viciée par la culture du viol, que la Cour d’assises du Val-de-Marne vient d’acquitter deux policiers de faits de viols en réunion commis sur Emily.
Cette sentence sexiste à laquelle s’est livrée la Cour d’assises proclame l’impunité des violeurs, déshumanise les femmes et se contente de juger sur des impressions, des suppositions, et des images stéréotypées de ce qu’est un « vrai viol » ou une « vraie victime de viol ».
Elle insinue par exemple qu’une victime de viol doit résister physiquement.
Et ce en totale contradiction avec les éléments constitutifs du viol que sont la violence mais aussi la contrainte (qui peut être morale), la menace ou la surprise. Mais encore au regard des phénomènes de sidération et de dissociation traumatique qui surviennent lors d’un viol, phénomènes que la science a depuis longtemps mis au jour, mais dont la connaissance fait visiblement encore gravement défaut à nombre d’expert·es, d’avocat·es et de magistrat·es.
La Cour interprète les fragilités psychologiques non pas comme les conséquences psycho-traumatiques de violences sexuelles, mais comme un motif de discrédit de sa parole. Elle accorde à des experts, un collège en l’espèce, qui pourtant ne disposent pas des compétences requises en matière de psycho trauma, un rôle décisif, presque un rôle de juge.
La Cour est guidée non pas par la recherche de la vérité mais par la stratégie des agresseurs, la stratégie de la défense, celle qui broie les victimes, celle qui impose la loi du plus fort et trahit les grands principes du procès pénal. Elle occulte les auteurs et leurs comportements, met les projecteurs sur les failles des victimes, cherche à les discréditer, invoque et mobilise les mythes patriarcaux et la culture du viol, intériorisés chez chacun·e d’entre nous pour instiller un doute, non pas forgé sur les éléments du dossier mais sur un habitus sexiste inconscient : les femmes mentent, elles affabulent, elles sont « hystériques », elles portent plainte par esprit de vengeance, elles sont fautives, elles ne méritent pas d’empathie, elles sont des tentatrices qui jouent avec le feu…
Ou encore elles sont soi-disant diagnostiquées « borderline » ou « bipolaires », à la va-vite par des experts dans le but manifeste de les discréditer. Faut-il rappeler qu’une femme, borderline ou non, a le droit de changer d’avis ? Or ici la Défense s’est appuyée sur ce pseudo-diagnostic pour invoquer une soi-disant « humeur changeante » d’Emily pour la décrédibiliser, c’est cet « argument » emprunt de culture du viol, que la Cour a choisi de retenir dans sa motivation.
Ensuite, exiger d’une victime qu’elle soit parfaitement irréprochable, qu’elle se souvienne de tout, tout le temps et dans les moindres détails (même les plus insignifiants), qu’elle ait réponse à tout et puisse même expliquer les déclarations changeantes et mensongères des agresseurs, c’est lui demander l’impossible.
Rester sourd·es aux variations dans les déclarations des accusés qui adaptent leur discours en fonction de l’évolution du dossier et des nouvelles preuves recueillies, sans questionner la façon dont ceux-ci, policiers, potentiellement armés, se seraient assurés du consentement libre et éclairé d’une femme alcoolisée ne parlant que mal français, c’est être leur complice.
Enfin, considérer qu’une femme en état d’ivresse puisse désirer des rapports sexuels avec des inconnus qui la traitent de « touzeuse » (partouzeuse), qu’elle puisse trouver du plaisir à être pénétrée sexuellement sans savoir par qui, en étant immobilisée physiquement pendant près d’une heure sur le coin d’un bureau de police et, vraisemblablement filmée par un troisième policier présent au moment des faits (cf. Feuille de motivation de la Cour d’appel de Paris du 31 janvier 2019), et puis, considérer qu’elle puisse changer d’avis sans raison c’est se référer à une image stéréotypée de LA femme et de sa sexualité, à une représentation mystifiée et archaïque.
C’est consacrer le mythe des femmes, séductrices, tentatrices, disponibles sexuellement aux hommes, soumises à leurs désirs, et qui n’attendent, ni ne recherchent aucun respect de la part de leur partenaire. C’est « raisonner » à partir d’un référentiel pornographique avilissant pour les femmes, et non pas juger en droit et en fait.
Cette décision est dangereuse car elle enseigne aux hommes qu’ils peuvent légitimement avoir des rapports sexuels à plusieurs avec une femme qui a des conduites à risque, et n’est pas en pleine possession de ses moyens.
Si violer une femme ivre c’est s’assurer l’impunité, alors les hommes ont intérêt à les faire boire, voire à leur faire consommer d’autres substances. Rappelons que la première forme de soumission chimique est l’alcool.
Cette sombre équation est malheureusement tout à fait intégrée et mise en œuvre par beaucoup d’hommes qui profitent de la liberté et de l’insouciance festive des femmes pour trouver des proies faciles et font des bars des terrains de prédation. C’est d’ailleurs ce que dénonce la vidéo de 2014 du Youtubeur états-unien Stephen ZHANG . C’est également le thème du film de Promissing Young Women sorti en 2020.
La Justice ne peut se rendre complice de ces hommes et de leur stratégie.
Au-delà de l’émotion, ce sont ces arguments, qui exigent que le Parquet Général se pourvoie en cassation contre l’arrêt rendu par la Cour d’Assises du Val de Marne le 22 avril dernier.
Au nom de l’égalité entre les hommes et les femmes, au nom de la protection des femmes et de leur dignité, au nom du respect par la France de ses engagements internationaux, au nom du droit.
Pétition initiée par Les effronté-es et Osez le féminisme !
Signataires :
Associations, collectifs et organisations syndicales :
Zahra Agsous, Maison des femmes de Paris
Pauline Baron, journaliste et militante féministe #NousToutes
Flor Beltran, Las Rojas
Fatima Benomar, membre de la coordination nationale #NousToutes
Sonia Bisch, Stop aux Violences Obstétricales et Gynécologiques @StopVOGfr
Claire Charlès, porte-parole Les effronté-es, association féministe et LGBT+
Julie Ferrua, secrétaire nationale de l’Union Syndicale Solidaires Aurélie Gigot, Collective des Mères Isolées
Murielle Guilbert, co-déléguée de l’Union Syndicale Solidaires Ursula Le Menn, porte parole d’Osez le féminisme !
Anne Leclerc, syndicaliste et féministe Collectif National Pour les Droits des Femmes
Nelly Martin, Marche Mondiale des Femmes France
Christiane Marty, Fondation Copernic, ATTAC
Yuna Miralles, militante féministe et lgbtqia membre de la coordination nationale #NousToutes Imane Ouelhadj, présidente de l’UNEF
Véronique Poulain, secrétaire nationale de l’Union Syndicale Solidaires
Suzy Rojtman, porte parole du Collectif National pour les Droits des Femmes
Laure Salmona, cofondatrice de Féministes contre le cyberharcèlement
Laetitia de Tugny, agent d’artistes et membre de la coordination nationale #NousToutes Céline Verzeletti, responsable CGT
Collectif des Mères Isolées
Collectif féministe Les Dionysiennes (Saint Denis – 93) Fédération SUD Santé sociaux
Héro•ïnes 95
TJK-F, mouvement des femmes kurdes
Un rêve de Farfadet
Union des Femmes Socialistes (SKB)
Personnalités publiques et militantes :
Claudine Cordani, autrice et artiste écoféministe
Amandine Cormier, enseignante, militante syndicale
Typhaine D artiste féministe
Sarah Dumont, oncologue, écofeministe
Lysia Edelstein, psychologue, syndicaliste et féministe
Jacqueline Francisco, éducatrice, syndicaliste féministe
Mathilde Larrère, historienne
Malka Marcovich, écrivaine, historienne
Michèle Moreau, militante féministe
Muriel Salmona, psychiatre, Présidente de l’Association Mémoire traumatique et victimologie
Nora Tenenbaum, médecin, membre de la Cadac
Partis et élu-es :
Hélène Bidard, Parti communiste français
Manon Coléou, secrétaire nationale du Parti de gauche
Marie-Charlotte Garin, co-responsable de la commission Féminisme d’EELV
Annie Lahmer, Conseillère Régionale Écoféministe
Marie Coiffard, co-responsable de la commission Féminisme d’EELV et élue de Saint Martin d’Hères
Sabrina Nouri, syndicaliste féministe, membre du parlement de l’Union Populaire
Danielle Simonnet, conseillère de Paris La France Insoumise
NPA,
Dominique Tripet, Conseillère départementale PCF
Aline Chitelman, Ensemble ! 44
Collette Corfmat Ensemble ! Paris13
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