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Europe

Podemos à l'assaut de la rue

Une semaine après la victoire d’Alexis Tsipras en Grèce, les Espagnols de Podemos organisent une « marche pour le changement » samedi à Madrid. Sans véritable mot d’ordre, mais avec un objectif officieux, pour le mouvement anti-austérité de Pablo Iglesias : donner des gages aux mouvements sociaux.

31 JANVIER 2015 | TIRÉ DE MEDIAPART.FR

Podemos devait rassembler samedi dans les rues de Madrid des dizaines de milliers de personnes lors d’une « marche pour le changement », contre la « caste » des politiques au pouvoir. C’est une première pour le mouvement de Pablo Iglesias, surgi il y a un an dans un petit théâtre de Madrid (le 17 janvier 2014), aujourd’hui donné favori, selon certains sondages, pour les législatives de la fin d’année 2015.

« Nous serons à l’étroit à Puerta del Sol », a pronostiqué Iñigo Errejón, numéro deux de Podemos, en référence à cette place au cœur de Madrid, qui avait servi de décor à la naissance du mouvement « indigné » en 2011. D’après lui, il s’agit « non pas de la mobilisation d’une formation politique, mais d’une mobilisation populaire et citoyenne, autour d’une nouvelle majorité ». Quelque 260 bus partis de province devaient converger vers le centre de la capitale. Sur le site conçu pour l’événement, des photos noir et blanc d’une foule rappellent – sans le dire explicitement – l’imaginaire de la République espagnole.

(Vidéo de Podemos, annonçant la manifestation )

Comme le laissent entendre les deux vidéos qui circulaient cette semaine en amont de la mobilisation (ci-dessous), les revendications de cette marche sont pour le moins floues. « C’est une démonstration de force sans revendication précise, pour prouver que Podemos est capable de rassembler dans la rue, alors que l’on reproche souvent à Podemos de ne pas avoir de véritable base sociale », commente François Ralle Andreoli, un élu Front de gauche des Français de l’étranger, à Madrid, qui suit de près les évolutions de la gauche espagnole.

Parmi les personnalités qui devaient participer à la marche, Jean-Luc Mélenchon, du Front de gauche, l’eurodéputée portugaise de Bloco de Esquerda Marisa Matias, ou encore Ada Colau, cette activiste catalane qui s’est lancée dans la course à la mairie de Barcelone, en mai prochain, à partir d’une coalition de mouvements et partis anti-austérité, avec le soutien de Podemos (lire notre reportage à Barcelone à l’automne 2014). Quelques élus de l’aile gauche du PSOE, le parti socialiste, devaient aussi y participer à titre personnel.

L’année 2015 sera décisive pour la sortie de crise en Espagne, avec une batterie de scrutins électoraux tout au long de l’année. « La série "Crise" approche de son dénouement », ironise l’écrivain Isaac Rosa. Voici le calendrier : des régionales anticipées en Andalousie dès le mois de mars (qui seront difficiles pour Podemos), puis des municipales et d’autres régionales en mai, les régionales en Catalogne en septembre (en partie sur l’enjeu de l’indépendance) et enfin, a priori en novembre, des législatives (la date n’est pas encore fixée).

Alors que la gauche radicale s’est emparée du pouvoir en Grèce dimanche 25 janvier, beaucoup s’interrogent sur les capacités de Podemos de tenir la distance, et remporter les législatives de la fin d’année. Le mouvement de Pablo Iglesias devra d’abord limiter la casse lors des scrutins locaux et régionaux. Surtout, il devrait rester fidèle à sa stratégie d’absorption tous azimuts, par-delà l’échiquier gauche-droite, qui met mal à l’aise une partie de la gauche « indignée ».

Un an après sa naissance, le mouvement a beaucoup évolué. Soutenu à l’origine par les activistes d’un petit parti confidentiel, Izquierda Anticapitalista (IA, la gauche anticapitaliste), organisé autour de centaines de « cercles » à travers le pays (des assemblées qui rappellent celles du mouvement indigné), Podemos s’est « normalisé » lors de son congrès d’octobre, adoptant les structures de fonctionnement d’un parti politique assez vertical, au service de Pablo Iglesias et de ses proches (lire notre enquête sur Podemos publiée en octobre).

À gauche, nombreux sont ceux qui critiquent cette « Realpolitik électorale ». Ils s’inquiètent de voir le parti tourner le dos aux mouvements sociaux du pays, des « marées » (ces mobilisations anti-austérité dans les secteurs de la santé ou de l’éducation) aux mouvements très actifs contre les expulsions immobilières (comme la PAH, lancée par Ada Colau). Teresa Rodriguez, une eurodéputée Podemos plutôt critique de la ligne majoritaire, avait mis en garde Iglesias et ses proches (la plupart sont des professeurs d’université), contre le risque de réduire Podemos à une « expérience universitaire ».

Dans un entretien récent à Mediapart, le député Alberto Garzon, d’Izquierda Unida (les écolo-communistes, alliés du Front de gauche), redoutait l’effet démobilisateur de l’ascension de Podemos : « Pour Pablo (Iglesias), l’essentiel, c’est de gagner les élections. Mais les transformations sociales ne peuvent pas se produire uniquement par la victoire dans les urnes. Le problème de Podemos, c’est qu’ils sont en train d’envoyer un signal qui consiste à dire aux gens : arrêtez de descendre dans la rue, votez pour nous, et l’on s’occupe de tout. Pour la gauche, c’est un problème énorme. Si tu te centres uniquement sur les élections, tu démobilises les citoyens. Les marées disparaissent, il n’y a plus de syndicats, plus d’activisme social. C’est très dangereux. » S’il ne le dit pas, la survie politique d’Izquierda Unida est aussi en jeu.

C’est dans ce contexte tendu qu’il faut comprendre la marche du 31 janvier de Podemos : une manière de mettre en scène le « protagonisme » du « peuple » souverain et d’envoyer des signaux à la gauche, pour la rassurer. Mais l’objectif d’Iglesias reste, plus que jamais, de remporter les législatives de la fin d’année, coûte que coûte. Pourrait-il passer quatre années comme député dans l’opposition, si d’aventure, Podemos devait perdre les élections ? Voici ce que Pablo Iglesias répond, dans un entretien fleuve à InfoLibre (site partenaire de Mediapart en Espagne) :


Traduction de l’entrevue avec Pablo Iglesias : « Nous sommes conscients d’être des outsiders. Il s’est ouvert une fenêtre d’opportunité, et cette opportunité, c’est aujourd’hui. Cela ne veut pas dire qu’en politique, il ne peut pas encore se passer beaucoup de choses. Mais disons que ce serait cohérent si l’on gagnait les élections fin 2015 ou janvier 2016, par rapport à notre parcours, par rapport à un phénomène politique extérieur au système. Dans quatre ans, ou dans huit ans, il est toujours possible qu’une formation politique qui se nomme Podemos remporte des élections, ou joue un rôle d’opposition de premier plan, mais alors, dans ce cas-là, nous serons devenus autre chose. Cette autre chose peut être excellente, mais disons que les moments d’ouverture, d’opportunité, les moments de crise d’un régime comme celui que nous vivons aujourd’hui, durent un laps de temps précis. Quand je dis (que je ne sais pas si je siégerai quatre ans dans l’opposition, ndlr), c’est que la personne qui peut contribuer à précipiter ce moment de rupture, n’est pas forcément la personne la plus utile, en période de stabilité politique. »


Plutôt épargné par la presse et par la classe politique à ses débuts, Podemos, victime de son succès, fait désormais l’objet de nombreuses critiques de la part de la classe politique et d’une partie de la presse. Mariano Rajoy, le chef conservateur du gouvernement, a exhorté les Espagnols à ne pas « jouer à la roulette russe » en soutenant Podemos, qui « promet la lune et même le soleil ».

Surtout, des proches d’Iglesias pourraient être déstabilisés par des informations de la presse. Principale cible : Juan Carlos Monodero, « mentor » intellectuel d’Iglesias, numéro trois du mouvement, venu d’Izquierda Unida, est accusé par certains journaux, dont El País, d’avoir falsifié son CV d’universitaire. Il doit surtout se justifier sur une paie de 425 000 euros, touchée en 2013, pour des services de conseil effectués en 2010 auprès des gouvernements d’Équateur, de Bolivie, du Venezuela et du Nicaragua, et qu’il n’aurait pas, selon certains, déclarés auprès de son université madrilène. Une « anecdote » comparée au scandale Barcenas, cette affaire de corruption interne au PP, évacue-t-on du côté de Podemos.

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