Owen Shalk, Canadian Dimension, 12 décembre 2022
Traduction, Alexandra Cyr
« La conservation de la biodiversité, l’utilisation durable des composantes de la biodiversité et le partage juste et équitable des bénéfices parvenant de l’utilisation des ressources génétiques » sont les principaux objectifs adoptés à l’époque.
Dans son discours d’ouverture de la COP15, M. Trudeau a souligné avec une emphase exagérée « l’ouverture du Canada et sa diversité, la beauté de ses paysages » : « Quand les gens pensent au Canada, partout dans le monde, ils pensent aux paysages, à la richesse et la valeur de notre nature ».
Il a été obligé de s’interrompre quand un groupe d’Amérindiens.nes qui défendent la terre, s’est regroupé au centre de la salle et ont déroulé une bannière où on pouvait lire : « Génocide envers les indigènes égale Écocide. Pour sauver la biodiversité, cessez d’envahir nos terres ». Avec les tambours en accompagnement, ils ont scandé : « Le Canada occupe les terres des Premières nations » et « Trudeau est un colonisateur ». Ils ont été expulsés par la sécurité.
Le Premier ministre a saisi cette opportunité pour vanter le Canada une fois de plus : « Comme vous le voyez, le Canada est un pays où règne la liberté d’expression où les individus et les communautés ont le droit de s’exprimer ouvertement, fortement et nous les remercions de partager leurs perspectives avec nous ».
Le non-dit dans cette rencontre, c’est que le Canada qui vante ainsi son statut de champion de la protection environnementale, est proportionnellement plus destructeur que les autres pays de G7. Cette destruction est intimement intriquée dans le processus colonial de dépossession des peuples indigènes qui sont surveillés, criminalisés et expulsés de leurs terres pour ouvrir le chemin aux industries d’extraction minières et des énergies fossiles.
Les Nations Unies ont même condamné le traitement que le Canada réserve aux indigènes qui défendent leurs terres et, à de multiples reprises, lui ont demandé de cesser de criminaliser leurs activités en défense de leur culture, de la biodiversité et de l’intégrité écologique. Il est particulièrement important de s’arrêter sur ces actions et de les considérer dans la foulée de la COP15. Les territoires indigènes comptent approximativement pour 22% des terres de la planète et contiennent 80% de sa biodiversité. C’est précisément cette biodiversité que le gouvernement canadien jure que le monde entier protège.
Des journalistes ont été détenus.es pour avoir rapporté la répression infligée au défendeurs.ses de la terre au Canada. Entre autre lors de la résistance du peuple Wet’suwet’en contre la construction d’un oléoduc dans le nord de la Colombie Britannique. Deux journalistes qui étaient présents lors de l’attaque de la Gendarmerie canadienne contre une petite maison au camp Coyote sur les terres de cette nation, ont été détenus et empêchés de rapporter les agissements de cette police sur le site. Un courriel interne a justifié l’action de la Gendarmerie par une ‘soit disant partialité’ de la part des journalistes.
Plus tard, un de ces journalistes, Amber Bracken, rappelait : « il y avait des policiers portant l’uniforme bleu normal mais il y en avait aussi qui portaient une version verte, de type militaire. Ce sont ceux-là qui étaient équipés de fusils d’assaut et de matériel tactique. Partout au Canada, cette scène est devenue notoire : des chiens policiers aboyant et gémissant pendant que les officiers entraient dans la petite structure avec des haches et des tronçonneuses pour arrêter sept personnes non armées et pacifiques ».
Les défenseurs.ses de la terre ont aussi fait face à la police durant leur protestation contre un projet minier dommageable pour l’environnement. (Il faut se rappeler) un cas fameux qui a eu lieu en 2008, seize ans après la signature de la convention de Rio par le Canada. L’État canadien a arrêté six dirigeants de la nation Kiichenumaykoosib Inninuwug (Big Trout Lake), pour avoir protesté contre une mine installée sur leurs terres. Des conflits du genre sont encore d’actualité aujourd’hui au pays ; l’État colonial et l’industrie d’extraction d’un côté et les défenseurs.ses de la terre qui demandent des consultations dignes de ce nom et le respect de la biodiversité de l’autre.
Le Ring of Fire, en Ontario est un exemple parmi d’autres. Là, les communautés amérindiennes se sont opposés à l’exploitation minière et ont accusé le gouvernement provincial de duplicité en tentant de passer outre aux mesures évaluatives de l’environnement élaborées par ces communautés et pour ne pas tenir compte de ce que la destruction de ces tourbières qui agissent comme des puits de carbone, auraient comme effet sur la crise climatique.
Au début de 2022, les chefs d’Attawapiskat, d’Eabametoong, de Fort Albany, de Kashechewan et Neskantaga, ont écrit conjointement au Ministre de l’environnement M. Guilbeault, pour lui dire : « le développement de l’industrie minière ne fera pas que détruire des puits de carbone mais il relâchera d’immenses réserves de carbone poussant ainsi les changements climatiques vers une nouvelle catastrophe ». Le chef d’Attawapiskat, M. David Nokogee a déclaré que les auteurs de la lettre « n’avaient reçu aucune réponse » de la part du ministre.
Plus tôt, ce mois-ci, une étude de Justice and Corporate Accountability Project, a fait la comparaison entre les données des Nations Unies quant à la criminalisation des défenseurs.ses de la terre au Canada. Cette étude, intitulée : The Two Faces of Canadian Diplomacy : Undermining Human Rights and Environnement Defenders to Support Canadian Mining, fait la démonstration que l’aveuglement volontaire du gouvernement canadien face aux crimes commis par l’industrie minière a mené à des menaces envers les communautés locales, à la criminalisation des peuples opposés aux projets, à des attaques, des arrestations et des meurtres. Un des co-auteurs du rapport, Charis Kamphuis déclare : « Partout dans le monde les droits humains et les défendeurs.ses de l’environnement protègent la biodiversité et cherchent des solutions à la crises écologique globale…Mais nous avons des preuves écrasantes qu’au Canada, les autorités ignorent systématiquement leurs propres politiques quand vient le temps de tenir les industries imputables et de soutenir la protection des défendeurs.ses (de la terre). Ces politiques sont donc sans effet ».
Suite à la publication de cette étude, M. Jamie Kneen de Mining Watch Canada a divulgué ses conclusions sur le sommet en cours : « Nous sommes témoins des importants engagements des représentants.es officiels.les du Canada à la COP15 sur la biodiversité. Mais ce rapport expose clairement que le Canada ne se soumet pas à ses propres politiques quand vient le temps de soutenir les peuples qui dédient leur vie à la protection de l’environnement en prenant de grands risques personnels ».
Maintenant que l’idée d’une transition vers des énergies renouvelables devient populaire dans les pays occidentaux, le gouvernement fédéral et ceux des provinces ont développé le concept de « stratégies minières critiques » qui permettra d’augmenter l’extraction dans les années à venir. Le plus récent document à ce sujet a été livré dans la foulée du sommet en cours ; il met en évidence l’importance de l’industrie minière et élargit le rôle que le gouvernement canadien va jouer pour soutenir cette industrie au pays.
Mining Watch nous donne ce résumé du document en question : « La stratégie minière critique du Canada souligne fortement la valeur ajoutée de l’industrie, les standards exigeants pour l’environnement et la protection des droits humains, ceux des Amériniens.nes et de l’économie circulaire. Et c’est bienvenu. Toutefois, ces principes ne s’appuient pas sur des propositions conséquentes de mises en action et sont presque rendues inutiles eut égard à l’exigence de confiance commune pour augmenter et accélérer l’extraction des matières premières pour le marché mondial. Il ne s’y trouve aucune reconnaissance des effets concrets des accords de Paris sur le climat, encore moins des limites planétaires déjà sous pression qui sont là derrière les grands discours sur le recyclage et l’économie circulaire ».
Depuis ses débuts, l’État canadien a toujours soutenu son industrie minière au pays et à l’étranger. Plusieurs affirment d’ailleurs que ces intérêts étaient ceux qui motivaient la création du pays. Maintenant, à l’époque des « énergies renouvelables » le soutien à cette industrie a été rebaptisée « soutenable » sans grande attention à l’exigence d’adaptation à la foule de crises écologiques auxquelles l’humanité fait face.
Le vocable « Stratégie minière critique » au Canada revient donc à dire que rien ne change. Mining Watch nous explique : « l’extraction, le traitement et l’expédition des matières premières qui limitent les processus manufacturiers des usines, reconstituent avec plus de force la valeur ajoutée des processus. (Mais) il ne permet pas de prévoir les mesures que le Canada pourrait y ajouter pour prendre en compte la crise climatique de manière pratique. De fait, il fait la promotion de mesures qui l’empireront et qui en plus, creuseront les autres crises planétaires comme celles de la biodiversité, de la politique, de l’économie, des inégalités, de la démocratie, des migrations et de la sécurité humaine ».
Pendant que M. Trudeau dit devant la COP15 que « la nature est menacée » de fait, elle est attaquée par le document diffusé par son gouvernement sur la « Stratégie minière critique » qui ne présente pas de solutions adéquates à la dégradation écologique et aux droits des défenseurs.ses de la terre. Pire encore, cette stratégie contient de nombreux cadeaux à l’industrie qui contribue aux attaques contre la nature que le Premier ministre déplore. Ces cadeaux comprennent des subsides et des réductions d’impôt comme celui de 30% du crédit pour l’exploration de minéraux critiques.
Dans ce document, le gouvernement s’engage aussi à « accélérer des projets de développement responsables », mais quelle est sa définition du mot « responsable » ? C’est plutôt mince comme définition si on se réfère à l’approbation du projet Marathon Palladium qui comporte « des impacts environnementaux significatifs » dûment mentionnés.
Mme Valérie Courtois, directrice de l’Indigenous Leadership Initiative, du Canada et membre de la communauté Innu de Mashteuiatsh au Québec, reconnait qu’au Canada, « la vaste majorité des propositions de conservation et d’initiatives de gestion (de territoires), sont dirigées conjointement avec les peuples indigènes ». Mais cela ne suffit pas. N’importe quel changement qui pourra ressortir de la COP15 devra être implanté en respectant les droits des Premières nations partout au pays, dont les régions où l’industrie minière veut avoir accès. Autrement ils n’auraient aucun sens. Tant que ces compagnies imposent leurs lois, et tant que les politiques canadiennes encouragent la dépossession sans qu’on ne le reconnaisse, les paroles de M. Trudeau à la COP15 ne seront que rideaux de fumée.
À la conférence, Ta’Kaiya Blaney, une militante de la nation Tla-Amin a interrompu M. Trudeau en lui disant : cette manifestation « était notre moyen de vous dire en tant que peuple indigène de la côte ouest du pays, que vous ne respectez pas nos lois, que vous ne respectez pas celles de la terre et que nous ne pouvons plus accepter vos promesses vides. Des promesse vides, de fausses solutions et des cibles fictives qui ne font que passer le poids des problèmes aux générations futures et que c’est inacceptable. Et elle ajoute : « je ne suis pas ici pour demander de la reconnaissance. J’y suis pour me battre pour notre souveraineté et c’est très différent. Je ne demande pas aux Nations Unies ou au Canada de nous reconnaitre en tant que nation avec tous nos avoirs et nos droits. Je leur demande de cesser de nous envahir ».
Note : Owen Schalk est un écrivain de Winnipeg. Il s’intéresse principalement aux théories de l’impérialisme, du néocolonialisme et du sous-développement engendrés par le capitalisme et à l’application de ces théories. Il s’intéresse aussi au rôle inhérant du Canada dans ce contexte.
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