Édition du 12 novembre 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Les nôtres

Paul Rose était l’un des nôtres

Paul Rose, c’était l’un des nôtres, quelqu’un dont on ne peut –quand on est à gauche— que vouloir préserver la mémoire.

Il reste à lui rendre hommage. Et quand j’écris cela, je pense aussitôt aux événements d’octobre auxquels il a été étroitement mêlé ainsi qu’à la mort de Pierre Laporte et à la loi des mesures de guerre qui s’en sont suivies. Et je n’oublie rien, absolument rien de ces événements. D’autant plus que je n’ai jamais partagé la stratégie politique qui l’avait conduit à l’époque à s’impliquer si totalement au sein du FLQ. Je n’en persiste pas moins : au fil de sa vie si intense, tous ses engagements l’ont montré, il est resté l‘un des nôtres, il appartenait à notre camp, était de nos filiations les plus profondes. Au-delà de tout !

Et quand l’un des nôtres disparaît, est frappé par la mort, ce que nous cherchons à faire, c’est à garder avec nous –nous qui restons vivants— quelque chose de lui qui devrait perdurer. Quelque chose qui pourrait rester vivant, que l’on pourrait faire vivre aujourd’hui, ici et maintenant, puis faire connaître aux générations qui viennent.

Bien sûr la grande presse, et plus particulièrement les médias de droite y sont allées de leurs jugements à l’emporte-pièce, mêlant allégrement –dans un melting pot sensationaliste—désinformation sur ces événements passés et obsession maladive pour tout ce qui de près ou de loin pourrait aujourd’hui ressembler à du terrorisme. Mais on le sait : tout cela est du ressort de leurs stratégies de puissants et de vainqueurs ; des stratégies qui visent précisément à discréditer, puis à faire taire et écraser ceux et celles qui ne se conforment pas à leurs diktats et ont été défaits. Aussi reste-t-il à retrouver –sous le brouhaha médiatique— d’autres voix, des voix qui ont choisi un autre camp précisément celui pour lequel Paul Rose avait opté.

Je n’ai connu Paul Rose que de loin, quand il était au PDS (cet ancêtre de l’UFP et par conséquent de Québec solidaire), et surtout quand, comme conseiller syndical il travaillait à la CSN. Haute silhouette, un peu voutée, toujours sur la brèche, si présente et en même si discrète et mystérieuse. À l’image sans doute de sa vie entière : car on ne sait, en toute certitude que des bribes de celle-ci tant elle a été mêlée à des événements historiques dont les enjeux restent encore lourds de conséquence, toujours traversés par le jeu cruel des rapports de force politique.

Mais quand même l’essentiel est là : il était et est resté toute sa vie un militant de gauche, c’est-à-dire quelqu’un qui avait fait le choix de s’engager dans la lutte sociale et politique de son pays, plus encore de mettre en jeu son existence même, pour qu’au Québec du “cheap labor”, progressent les idéaux de libération nationale et de justice sociale. Et pas seulement —comme tant d’autres ont pu le faire— à un seul moment de sa vie, à la manière d’un coup d’éclat vite oubliée. Non, comme le fil à plomb de toute une vie. Avec tout ce que cela peut avoir de tragique et de grand, au fil même des aléas de sa propre vie, si durement marquée par la clandestinité et la prison ! Car Paul Rose n’a jamais renié ses idéaux de jeunesse, et s’il a par la suite pu prendre distance par rapport à certains de ses gestes, il n’a jamais cédé sur le fond, ni théoriquement, ni pratiquement. Il était du camp des oubliés, des sans voix, des exploités, des petits, et avec une indéniable droiture. Il l’a été partout : quand il était bien sûr au FLQ et qu’il n’a jamais voulu se désolidariser de ses camarades, quelque soit par ailleurs son rôle exact dans la mort de Laporte, restant en cela fidèle au pacte passé avec eux. Quand il était en prison et qu’il a travaillé avec des comités de détenus. Quand plus tard dans les années 90, il a participé à la tâche de réunir la gauche politique au sein du PDS, ou plus prosaïquement d’organiser avec la CSN la résistance quotidienne des travailleurs à l’arbitraire patronal. Cherchant toujours à sa manière à combiner pour le Québec d’aujourd’hui les idéaux de l’indépendance à ceux du socialisme, à les maintenir vivants.
Et il l’a été sans compromis, sans demie mesure, voulant prendre les choses à la racine, saisissant bien comment cette double lutte s’identifiait à la survie et à l’émancipation de tout un peuple. Un peuple qui comme jamais a besoin, pour continuer son chemin et avancer, de se relier aux luttes passées et à certains personnages exemplaires qui en incarnaient à leur manière toute la richesse foisonnante et l’importance vitale. Pour le meilleur et le pire !

N’est-ce pas ce qu’il faudrait, avec la mort de Paul Rose, se rappeler ?

Pierre Mouterde

Pierre Mouterde

Sociologue, philosophe et essayiste, Pierre Mouterde est spécialiste des mouvements sociaux en Amérique latine et des enjeux relatifs à la démocratie et aux droits humains. Il est l’auteur de nombreux livres dont, aux Éditions Écosociété, Quand l’utopie ne désarme pas (2002), Repenser l’action politique de gauche (2005) et Pour une philosophie de l’action et de l’émancipation (2009).

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