Dans quelle république de bananes, un milliardaire peut-il prendre le téléphone, évoquer son désir pour un poste de prestige et se faire offrir prestement la présidence de la plus grande entreprise publique de l’État ?
Aujourd’hui, on est bien obligé de dire que c’est le Québec que semble dessiner le Parti Québécois, sur les lignes laissées par le Parti libéral. Après la découverte que le Québec est un quasi-comptoir colonial avec notre loi des mines, au moment où la Commission Charbonneau nous démontre comment les amis du pouvoir nous roulent dans la farine, voilà que nous assistons à une nomination à la tête d’Hydro-Québec qui pourrait faire l’envie de l’Italie de Berlusconi.
En effet, quelle république de bananes veut-on s’offrir comme pays quand les leaders indépendantistes, plutôt que de répondre aux besoins des gens ordinaires pour les inspirer et les mobiliser, préfèrent apaiser l’angoisse fiscale des riches et s’allier à un magnat de la presse dans leur stratégie pour se maintenir au pouvoir ?
Le cynisme au pouvoir
Mais cet allié politiquement volage pourrait décevoir le PQ aussi cruellement que le PQ déçoit ses électeurs actuellement. En effet, Pierre-Karl Péladeau – dont on parle ici - qui dans le passé donnait d’importantes sommes au PLQ et même à l’ADQ, n’a délié les cordons de sa bourse pour le PQ qu’en 2010, année où débutait d’ailleurs son offensive pour obtenir le financement public de son amphithéâtre, prélude à l’achat d’une équipe de hockey. Financer tous les partis en fonction de leur proximité avec le pouvoir– n’est-ce pas le comportement cynique et opportuniste de certains entrepreneurs et firmes d’ingénieurs qui se trouvent aujourd’hui dans le collimateur de la Commission Charbonneau ?
Au fait, que pense de cette nomination l’ex-journaliste Pierre Duchesne devenu ministre ? Lorsqu’il était le président de la Tribune de la presse parlementaire, il avait tenu tête à PKP qui voulait imposer des briseurs de grève à l’Assemblée pendant le lockout au Journal de Québec. À l’époque, M. Duchesne m’avait demandé mon aide parce que le PQ et les autres partis ne voulaient pas s’en mêler.
M. Duchesne et Bernard Drainville, lui aussi ex-journaliste devenu ministre péquiste, trouvent-ils, comme le président de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec, que cette nomination « entretient une désagréable impression de proximité entre les pouvoirs politique et médiatique » ? Je regrette qu’aujourd’hui, eux aussi donnent l’impression de ne pas vouloir s’en mêler…
C’est triste parce que j’ai l’intime conviction que la très grande majorité des députés du PQ vivent le même malaise que moi. Mais hélas, on sait depuis La Rochefoucauld que trop souvent « les vertus se perdent dans l’intérêt comme les fleuves dans la mer »…
Un adversaire acharné des droits des travailleurs
Depuis une quinzaine d’années, Pierre-Karl Péladeau est l’ennemi le plus farouche du syndicalisme et des droits des travailleurs au Québec. Et voilà que Mme Marois lui confie la destinée d’un des plus grands employeurs du Québec juste pour lui faire plaisir !
Pour avoir une idée de ce qui peut attendre les employés d’Hydro-Québec, employeur exemplaire dans le paysage industriel québécois, voici un florilège des faits d’armes antitravailleurs les plus récents de PKP (répertorié par Michel Rioux, dans un article de novembre 2010 de l’Aut’Journal intitulé : Doctor Pierre et Mister Karl Péladeau) :
– Vidéotron -2003 : lock-out de dix mois pour casser les reins des 2 200 travailleurs à l’aide de Me Lucien Bouchard, meilleur exécuteur de basse besogne au service des patrons québécois depuis 40 ans. Résultat : des centaines de travailleurs transférés à des sous-traitants sans protection syndicale, gel des salaires et augmentation de 2h30 d’heures de travail, sans compensation.
– Imprimeries Quebecor USA – 2004 : Fred Ascarate, président de Jobs for Justice dénonçait à Montréal les agissements antisyndicaux de Quebecor dans ses imprimeries aux États-Unis.
– Journal de Québec – 2008 : 16 mois de lock-out, retour au travail douloureux avec des reculs ruineux sur les conditions de travail.
– Journal Le Réveil de Jonquière – 2009 : 50 semaines de lock-out, 1 employé sur 5 seulement a retrouvé son travail. Tactique : aucune indemnité de départ s’ils n’acceptaient pas l’« offre » empoisonnée de PKP.
– Au Journal de Montréal – 2009 : PKP exigeait le départ de quatre lockoutés sur 5 avec une clause de réserve de six mois interdisant aux journalistes remerciés d’offrir leur services ailleurs. Ah ! oui, outre la fermeture de Rue Frontenac, il a aussi obtenu le silence assourdissant du PQ, du PLQ et de l’ADQ. Il ne restait que QS et Jean Cournoyer, ministre du Travail sous Robert Bourassa, pour protester. Cournoyer avait dit : « Quebecor transgresse l’esprit de la loi » et « ça ferait un bon moment qu’il serait réglé, le lock-out au Journal de Montréal, si le gouvernement avait modifié la loi antiscabs ».
Donner à un grand patron un immense instrument pour influencer l’avenir du Québec, briser les syndicats et appauvrir les travailleurs — surtout ceux qui ont de bons emplois – et de s’en glorifier dans ses journaux… est-ce vraiment digne du Québec ? Non, c’est digne d’une république de bananes !