Édition du 17 décembre 2024

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alimentation

On a le droit de savoir ce que l'on mange

À M. Pierre Corbeil, ministre de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation

Monsieur le ministre,

Vigilance OGM a pris connaissance de votre réponse du 28 mars 2012 au leader parlementaire du gouvernement, monsieur Jean-Marc Fournier, concernant la pétition demandant l’étiquetage obligatoire des organismes génétiquement modifiés (OGM). Cette pétition, déposée le 16 février 2012 à l’Assemblée nationale, porte la signature de 14 454 citoyens préoccupés par la présence d’OGM dans les aliments.

Alors que de plus en plus d’études et d’information remettent en cause les supposés bienfaits des OGM dans notre assiette, notre agriculture et notre environnement, l’étiquetage des OGM nous semble être un pas dans la bonne direction. Cet étiquetage permettrait, en partie, de rassurer les consommateurs. Le droit à l’information est un droit fondamental du consommateur et devrait prévaloir sur les « attentes [...] de l’industrie et de ses partenaires commerciaux ». Nous nous désolons de constater que votre gouvernement renie sa promesse de 2003 et répond essentiellement qu’il serait « trop compliqué » d’imposer l’étiquetage obligatoire des OGM. Si ce droit fondamental vous semble si compliqué à faire appliquer, comment se fait-il qu’une quarantaine de pays à travers le monde aient déjà adopté l’étiquetage obligatoire des OGM ? De plus, l’expérience développée par l’agriculture biologique au Québec serait un atout dans le développement de la traçabilité et de l’étiquetage des OGM.

Vous évoquez également que le Québec « serait le premier et le seul en Amérique du Nord à adopter et appliquer une telle réglementation ». Pour nous, cet obstacle est au contraire une occasion remarquable pour que le Québec de se démarquer de ses compétiteurs, et que ses exportations agricoles et alimentaires puissent, justement, bénéficier de la distinction « sans OGM » quand c’est effectivement le cas. N’est-ce pas, d’ailleurs, l’une des orientations clés que vous proposez dans le Livre vert, soit « identifier et mettre en valeur les caractéristiques distinctives des produits québécois en permettant le positionnement des aliments québécois sur la base de caractéristiques distinctives et de leur apport à une saine alimentation » ?

Parmi les orientations de cette Politique, on mentionne aussi qu’elle permettra d’« assurer un développement respectant l’environnement par l’adoption, par les entreprises, de pratiques respectueuses de l’environnement, des investissements dans l’amélioration de la qualité de l’eau et l’intensification des efforts dans la réduction de l’utilisation des pesticides ».

Ces orientations détonnent avec votre position récente concernant les OGM, alors que le ministère du Développement durable, de l’Environnement et des Parcs, dans son Portrait de la qualité des eaux de surface au Québec 1999-2008, démontrait la corrélation entre la présence des cultures de maïs et soya OGM et l’augmentation des concentrations de glyphosate dans les cours d’eau. Sans compter que des études démontrent que les cultures OGM utilisent de plus en plus d’herbicides, et qu’elles en utilisent souvent plus que les cultures conventionnelles. Imposer l’étiquetage obligatoire des OGM permettra aux consommateurs d’appuyer ou non un mode de production correspondant à leur valeur.

De plus, dans votre réponse, vous faites référence à l’étude de Michaud et collaborateurs (2009) qui, sur la base de l’identification de la présence de protéines ou de gènes d’aliment OGM, indique que seulement 3% du panier d’épicerie contient des OGM. Or, sur le site Internet du gouvernement du Québec, auquel vous référez le lecteur, on indique que « les procédés de transformation et/ou de raffinage des aliments (trituration, chauffage, extraction des huiles, etc.) peuvent enlever ou détruire la nouvelle protéine ou le nouveau gène, rendant ainsi leur détection très difficile, voire impossible.

Par exemple, comme toute huile végétale, les huiles extraites des graines de canola transgénique ne contiennent habituellement pas de trace de protéines ou de gènes (pas d’ADN). On ne peut donc pas les détecter ». Dans cette perspective, le comité consultatif canadien de la biotechnologie estimait en 2002 dans un texte intitulé Améliorer la réglementation des aliments génétiquement modifiés et des autres aliments nouveaux au Canada que 75% de tous les aliments transformés au Canada contenaient des éléments provenant du maïs, du soya et du canola.

Sachant que, au Québec, ces trois cultures sont largement OGM (74% du maïs, 52% du soya et 85% du canola ; tel que diffusé sur le site du gouvernement du Québec), et que ces cultures ne sont pas traitées séparément, donc mélangées aux cultures conventionnelles, il y a fort à parier que 75% des produits transformés ont été cuisinés avec des produits provenant de cultures OGM. On vient aussi d’apprendre que du maïs sucré génétiquement modifié serait cultivé pour la première fois au Québec cette année, ce qui ne manquera pas d’augmenter le pourcentage d’aliment provenant de culture OGM dans notre panier d’épicerie.

En ne voulant pas mettre en application les multiples recommandations de la Société royale du Canada (2001), de la Commission parlementaire sur la sécurité alimentaire (2004) et du rapport Pronovost (2008), le gouvernement joue, encore une fois, le jeu de l’industrie, opposée à l’intérêt de la population et du principe de précaution.

Face au constat que nous vous présentons ici, Monsieur le Ministre, n’est-il pas normal que des citoyennes et citoyens, dont l’instigatrice de la pétition, madame Marie-Ève Boudreault, demandent de connaître ce qui se retrouve dans leurs assiettes ?

Une fois de plus, Vigilance OGM demande au gouvernement du Québec qu’il applique les recommandations du rapport de la Commission de l’agriculture de l’Assemblée nationale, intitulé La sécurité alimentaire : un enjeu de société, une responsabilité de tous les intervenants de la chaîne alimentaire (2004), qui a été adopté à l’unanimité et qui demande d’instaurer l’étiquetage obligatoire des OGM, de poursuivre l’implantation d’un système de traçabilité des aliments, de soutenir l’agriculture biologique, de faire pression sur le gouvernement fédéral pour resserrer les mesures d’approbation et de contrôle des OGM, et d’instaurer un régime de responsabilité des producteurs d’OGM en cas de contamination.

Veuillez recevoir, Monsieur le Ministre, nos sincères salutations.

*L’auteure est présidente de Vigilance OGM

Christine Gingras

présidente de Vigilance OGM

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