13 juin 2022 | tiré de mediapart.fr
La satisfaction d’avoir infligé une défaite, sans pour autant crier victoire. Après l’annonce des résultats du premier tour des élections législatives, le 12 juin, Jean-Luc Mélenchon est apparu devant les caméras vers 20 h 30, l’air grave : « La Nupes [Nouvelle Union populaire, écologique et sociale – ndlr] est fière d’avoir rendu possible son programme. Elle regarde le peuple français avec la tranquillité du travail accompli et d’une perspective radieuse qui se présente à lui », a-t-il affirmé, appelant le peuple à « déferler avec ses bulletins de vote » dimanche prochain.
La Nupes n’a en effet pas à rougir. Pour son « premier test », elle devient, malgré une abstention tenace, la première force politique du pays avec 25,2 % des suffrages exprimés au niveau national. Pour la première fois depuis l’inversement du calendrier électoral en 2002, le parti présidentiel n’est pas en tête. « Le parti présidentiel est battu et défait », a commenté Jean-Luc Mélenchon.
Si la perspective d’une majorité de la gauche semble difficilement envisageable, comme l’a rappelé le socialiste anti-Nupes Stéphane Le Foll –« Jean-Luc Mélenchon premier ministre, au vu des premiers résultats, ça ne passera pas », a maugréé l’ancien ministre de François Hollande sur France 2 –, la gauche et les écologistes participent en tout cas à empêcher Emmanuel Macron d’obtenir une majorité large, voire la majorité absolue. Et ont, a minima, toutes les chances de s’imposer comme la principale opposition en nombre de sièges au Palais-Bourbon.
Un affrontement gauche/majorité présidentielle presque partout
Le duel installé avec soin par la Nupes pendant la campagne, entre Jean-Luc Mélenchon et Emmanuel Macron, a porté ses fruits dans les urnes. La gauche, qui était arrivée, derrière le leader de La France insoumise et l’Union populaire, en troisième position au premier tour de la présidentielle, s’impose à égalité avec la majorité sortante.
L’union de la gauche dès le premier tour permet de « booster » spectaculairement les qualifications au second : la Nupes sera ainsi présente le 19 juin (en général contre Ensemble, la coalition de la majorité présidentielle) dans plus de 400 circonscriptions sur 577, alors que la gauche n’était présente que dans 180 circonscriptions en 2017. C’est donc globalement un affrontement gauche/droite macroniste qui se profile. « Grâce à l’union de la gauche, on aura des duels gauche/droite dans l’essentiel des circonscriptions », se félicite la numéro 2 du Parti socialiste (PS), Corinne Narassiguin, qui pense possible d’« empêcher Macron d’avoir une majorité ».
La Nupes pourrait par ailleurs l’emporter sur des circonscriptions emblématiques. Dans l’Essonne, le socialiste Jérôme Guedj rassemble ainsi 40 % des suffrages exprimés, devant la ministre Amélie de Montchalin qui serait, en cas de défaite, obligée de quitter le gouvernement. Tout comme Clément Beaune, ministre délégué à l’Europe, dépassé par Caroline Mecary dans la 7e circonscription de Paris.
À Grenoble, le ministre délégué chargé des relations avec le Parlement, Olivier Véran, arrive en tête (40,5 %) mais il est talonné par la candidate de la Nupes Salomé Robin (36,86 %), âgée de tout juste 19 ans.
Néanmoins, il faut noter que l’union de la gauche n’a pas généré, en soi, une surmobilisation de l’électorat, la participation ayant globalement baissé par rapport au scrutin présidentiel. On observe un maintien de son étiage entre la présidentielle – où les scores cumulés de La France insoumise (LFI), du PS, des écologistes et du PCF avaient atteint 32 % –, et le premier tour des législatives où la Nupes arrive à 25 % des voix - et à un peu plus de 30 % si l’on compte les dissidents et « divers gauche », qui totalisent 4,5 % des suffrages. Pour autant, le total gauche est légèrement supérieur à celui en 2017.
Le député insoumis Éric Coquerel constate que « l’addition des électorats s’est faite, ce qui n’était pas forcément gagné ». « La stratégie du rassemblement permet de faire jeu égal avec Macron, souligne l’eurodéputé écologiste David Cormand. Les forces de gauche ont fait le job, maintenant, il faut que les gens qui ont voté pour la gauche à la présidentielle se bougent pour le second tour des législatives. »
Dans certains territoires, la Nupes sera confrontée au Rassemblement national (RN). C’est le cas dans la Somme où François Ruffin obtient 40 % des suffrages exprimés, contre 22,6 % pour la candidate RN Nathalie Ribeiro-Billet. De manière résiduelle, certaines circonscriptions verront s’affronter deux nuances de gauche, comme la 15e circonscription de Paris, où l’Insoumise Danielle Simonnet (47,9 %) devance largement la socialiste Lamia El Aaraje (17,5 %). De même, dans le Béarn, le candidat de la Nupes Jean-François Baby (20,63 %) fera face au socialiste dissident David Habib (36,61 %).
Carton plein pour les députés sortants
Si l’on zoome dans les circonscriptions, on observe des scores spectaculaires pour les députés sortants, qu’ils soient insoumis, socialistes ou communistes, du fait de l’absence de concurrence à gauche. Alexis Corbière l’emporte ainsi dès le premier tour avec 63 % des suffrages exprimés sur sa circonscription très à gauche de Montreuil-Bagnolet - ce qui en faisait, à l’heure de la publication de cet article, le député le mieux élu de France –, de même que Danièle Obono, dans le nord de Paris.
Les autres députés sortants de Seine-Saint-Denis, Éric Coquerel, Clémentine Autain et Bastien Lachaud, frôlent ou dépassent les 50 % - sans être pour autant élus dès le premier tour du fait de la règle des 25 % des inscrits. De même que le député de Lille, Adrien Quatennens, qui avait été élu d’un cheveu (à cinquante voix près) face à La République en marche (LREM) en 2017, et qui totalise aujourd’hui plus de 53 % des suffrages exprimés dès le premier tour. Son acolyte, Ugo Bernalicis, arrive lui aussi en tête.
Toujours dans le Nord, au PCF cette fois, Fabien Roussel, l’ex-candidat communiste à la présidentielle, arrive largement devant le RN dans sa circonscription, gagnant 12,5 points de plus qu’en 2017. Quant à Olivier Faure, le premier secrétaire du PS, il obtient près de 47 % des suffrages exprimés dans sa circonscription de Seine-et-Marne, soit 20 points de plus qu’en 2017. Les socialistes devraient eux aussi reconduire l’ensemble de leurs sortants.
La poussée historique de l’extrême droite contenue par la Nupes
Si l’extrême droite obtient un résultat historique, sa progression a cependant été limitée du fait de l’existence de la Nupes. Le sociologue Ugo Palheta, auteur de La Possibilité du fascisme et membre du parlement de la Nupes, estime ainsi que « le fait que ce bloc de gauche existe et qu’il ait un programme de rupture a permis d’affronter le RN et son prétendu discours antisystème. La situation politique est radicalement différente de ce qu’on pouvait craindre il y a six mois ».
Ce fait électoral est d’autant plus saillant que si la Nupes n’avait pas existé et que deux pôles de gauche s’étaient affrontés (l’Union populaire d’un côté et une alliance du PS, d’EELV et du PCF de l’autre), sans compter les divers gauches, « la gauche aurait été laminée », souligne-t-il.
À titre d’exemple, dans la 6e circonscription du Gard, où le RN était en tête au premier tour de la présidentielle, il est éliminé ce 12 juin, alors que le candidat de la Nupes, Nicolas Cadène, est en tête avec 26 % des suffrages exprimés. « Voilà ce qui arrive quand la gauche s’unit, y compris dans des territoires où le RN est fort : ça fait la différence », se félicite Chloé Ridel, directrice adjointe de l’Institut Rousseau, et membre du parlement de la Nupes, pour qui cela « confirme la stratégie d’union et de politisation des législatives avec l’idée du “troisième tour” ».
De « nouveaux visages » s’installent dans le paysage
Si la gauche était représentée par une soixantaine de députés lors de la dernière législatures, leur nombre pourrait tripler au second tour le 19 juin, ce qui annonce une arrivée massive de nouveaux visages au Palais-Bourbon. Ce sera le cas des Insoumises Sophia Chikirou et Sarah Legrain, élues dès le premier tour dans le nord-est parisien alors que, dans le sud de la capitale, la révélation de la primaire des écologistes, Sandrine Rousseau, a des chances de l’emporter face au député marcheur.
Sans sortants à l’Assemblée, les Verts sont assurés d’avoir des représentants au Palais-Bourbon et sans doute un groupe. Julien Bayou, secrétaire national d’Europe Écologie-Les Verts (EELV), qui avait échoué face à Benjamin Griveaux en 2017, a manqué de peu d’être élu dès le premier tour dans la 5e circonscription de Paris, et Sandra Regol, numéro 2 du parti, arrive en tête à Strasbourg (Bas-Rhin).
Les « parachutés » insoumis semblent, eux aussi, atterrir sans encombre. À Roubaix et Wattrelos (Nord), David Guiraud rassemble 40 % des suffrages exprimés, l’eurodéputé Manuel Bompard frôle l’élection dès le premier tour sur l’ex-circonscription de Jean-Luc Mélenchon à Marseille (Bouches-du-Rhône), et Raquel Garrido a de bonnes chances de battre le patron de l’UDI Jean-Christophe Lagarde, en Seine-Saint-Denis.
L’objectif que s’était assigné l’Union populaire de faire émerger des nouveaux visages venus de la société civile et des mouvements sociaux – via notamment son Parlement de l’Union populaire (PUP) – est en passe d’être rempli. Plusieurs personnalités nouvelles en politique, pour la plupart issus du PUP, arrivent en effet en très bonne position au premier tour et pourraient être élues dimanche prochain.
C’est le cas de Stéphane Ravaclay, boulanger à Besançon (Doubs), qui arrive en tête en ayant rassemblé plus d’un tiers des suffrages. L’écologiste Alma Dufour, venue des Amis de la Terre, arrive aussi première dans sa circonscription de Seine-Maritime. De même qu’Aymeric Caron dans la 18e circonscription de Paris.
La femme de chambre de l’hôtel Ibis, Rachel Kéké, arrive en tête dans sa circonscription du Val-de-Marne, quant à l’ancienne présidente d’Attac, Aurélie Trouvé, président du Parlement de la Nupes, elle obtient plus de 50 % des suffrages exprimés dans la circonscription de Seine-Saint-Denis de l’Insoumise sortante Sabine Rubin, qui ne se représentait pas.
Mathieu Dejean et Pauline Graulle
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