Édition du 17 décembre 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Question nationale

L'INDÉPENDANCE AU MUSÉE DE L'HISTOIRE ?

Bien des commentateurs blâment le gouvernement caquiste de François Legault d’avoir renoncé à l’indépendance, ne serait-ce, font-ils valoir parce qu’ainsi il prive le Québec d’un moyen de pression fondamental sur Ottawa.

Mais encore faudrait-il que cet avertissement, pour être crédible, repose sur un rapport de force en faveur de la souveraineté, ce qui n’est pas le cas du tout. Cette dernière manque d’un véhicule porteur majeur. En ce moment, seul le Parti québécois continue à la promouvoir et il est en chute libre, à 8% d’intentions de vote selon le dernier sondage en date. Le scrutin d’octobre prochain se révélera sans doute décisif pour son destin.

Québec solidaire, pour sa part, piétine à 13% des voix et même si un référendum portant sur la souveraineté fait partie de sa plate-forme électorale, elle ne représente pas un élément majeur de son discours pour l’instant.

Au Parlement d’Ottawa, le Bloc québécois défend le droit à l’autodétermination du Québec dans une optique indépendantiste mais non seulement il y a subi des déboires depuis sa fondation en 1991, mais par définition il ne peut y jouer qu’un rôle d’opposition. Donc, les indépendantistes ne disposent plus d’un véhicule politique important comme ce fut le cas au cours des années 1970, susceptible d’inquiéter Ottawa et d’amener la classe politique fédérale à faire des concessions au Québec.

D’ailleurs, tant que Justin Trudeau et sa garde rapprochée accapareront le pouvoir là-bas, on ne peut espérer d’accommodements du fédéral envers le Québec sur le plan constitutionnel. Après tout, en dépit de la montée du mouvement souverainiste durant la décennie 1970 et de l’arrivée au pouvoir du Parti québécois le 15 novembre 1976 (à la suite de la dissociation entre l’administration des affaires publiques et la tenue d’un référendum sur l’indépendance), le gouvernement libéral fédéral de Pierre-Elliott Trudeau s’est accroché à sa politique centralisatrice qui découlait de l’idéologie nationaliste pancanadienne.

La défaite référendaire du OUI à la souveraineté-association en mai 1980 ne peut expliquer à elle seule le succès de l’offensive trudeauiste pour "rapatrier la Constitution" en 1982, et ce en dépit de l’opposition forcenée du gouvernement péquiste de René Lévesque, réélu en avril 1981 avec 49% des votes et 80 députés. Le résultat de ce scrutin provincial n’a pas empêché le cabinet Trudeau d’aller de l’avant dans son projet d’imposer ses vues au sujet d’un Canada uni et relativement centralisé. Ironiquement, ce sont les premiers ministres des provinces canadiennes-anglaises qui ont refréné les penchants centralisateurs de Trudeau, afin de protéger les pouvoirs provinciaux. Ils ont fait valoir qu’eux aussi étaient élus... Ce qu’on a appelé au Québec "la nuit des longs couteaux" a tout de même préservé l’essentiel des pouvoirs provinciaux, à la grande contrariété de Pierre-Elliott Trudeau.

L’effondrement récent du Parti québécois et la montée de la Coalition avenir Québec (la CAQ), autonomiste mais non indépendantiste révèlent plus la baisse de l’appui à la souveraineté au sein de l’électorat qu’elles ne l’accentuent. La CAQ suit le mouvement. La souveraineté a perdu en quelque sorte sa capacité de séduction...
L’option indépendantiste, même sous sa forme modérée de souveraineté-association n’a jamais réussi à recueillir l’appui d’une majorité d’électeurs et d’électrices, sauf lors du référendum d’octobre 1995 lorsqu’elle a été chercher le soutien d’une légère majorité de francophones, frustrée par l’échec de l’Accord du lac Meech. Mais un nombre presque équivalent de francophones, couplé à la quasi totalité des non francophones lui a bloqué (de peu) le chemin de la victoire. Depuis, les gouvernements québécois successifs (peu importe leur couleur politique) n’ont plus guère insisté sur le thème de la souveraineté. Celle-ci a décliné dans l’opinion publique et elle est au plus bas en ce moment, au point où on peut se demander si elle va survivre.

Un sentiment de nécessité et d’urgence animait certes les militants et militantes indépendantistes à la "belle époque" de la période 1970-1980 et aussi en 1995, mais cet élan n’a jamais été partagé par une majorité de Québécois et de Québécoises, même chez les francophones (sauf brièvement en 1995, et encore). Paradoxalement, c’est l’autonomie provinciale qui a nui à l’épanouissement sans équivoque de l’indépendantisme chez eux. Le Québec dispose d’un État aux pouvoirs assez étendus qui s’appliquent aussi par le fait même aux non francophones résidant sur son territoire. Il s’ensuit que la population québécoise n’a rien contre le Canada anglais comme tel, sauf à l’occasion de crises comme celles de la conscription ou de l’échec des Accords du Lac Meech. Pour les Québécois et Québécoises, le Canada anglais ne forme qu’une majorité arithmétique, avec laquelle ils n’ont aucun contact dans leur vie quotidienne. Certes, le français recule dans la métropole où se retrouvent la plupart des non francophones mais ce problème n’est pas vu comme assez grave pour entamer un processus jugé risqué d’accession à l’indépendance. Et ils ont le droit de vote à Ottawa où ils ont l’impression (à tort et à raison en même temps) de pouvoir faire sentir leur influence.

De toutes les minorités nationales dans le monde, le Québec forme sans doute la seule qui dispose de pouvoirs aussi étendus à l’intérieur d’un cadre fédéral, un argument majeur dans l’argumentaire des fédéralistes, tant à Ottawa qu’à Québec.
Pour faire débloquer la situation, il faudrait que les sondages mettent en lumière sur une longue période un appui très majoritaire à la souveraineté. On est loin du compte. Le mouvement indépendantiste patauge dans une impasse.
Pourtant, il ressemble à un fantôme obsédant : son insaisissable présence inquiète le Canada anglais, hante l’esprit les libéraux tant fédéraux que provinciaux pour qui il représente un épouvantail et il incarne encore un rêve pour bon nombre de nos compatriotes.

En dépit des déboires qui frappent les formations politiques qui ont intégré l’indépendance à leur programme, celle-ci évoque la plus irremplaçable des promesses.

Jean-François Delisle

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