Jamais la gauche québécoise n’avait acquis une telle crédibilité et une telle visibilité. Plusieurs parmi eux, sans perdre espoir, considéraient gravement la montée de la droite conservatrice et l’ampleur du rôle que Québec solidaire sera appelé à jouer dans les prochaines années.
Les Verts
La suite de l’évolution dépendra d’abord de la capacité de cette jeune formation politique à faire alliance avec les progressistes qui ne se sont toujours pas joint au mouvement. Même si la direction du Parti vert se défend d’être de « gauche », la majeure partie de son électorat est bel et bien progressiste. Fort de l’appui de près de 10% des QuébécoisEs, Québec solidaire et le Parti vert ont eux aussi changé le panorama politique québécois lundi dernier.
Le Parti vert est une organisation légitime. Toutefois, le refus catégorique maintes fois réitéré par sa direction d’envisager une quelconque forme d’alliance avec Québec solidaire ne l’est pas. Les Verts ont montré qu’ils sont capables d’idées brillantes mais, à la manière d’un hypothétique « Parti de la Santé », ils n’ont toujours pas fait la preuve qu’ils ne seraient pas plus efficaces en groupe de pression. À l’heure d’un important débat sur l’avenir du Québec, celui qui s’est largement mené autour d’une opposition entre « lucides » et « solidaires », le Parti vert et le pragmatisme dont il se targue ne saurait offrir à notre collectivité un projet de société surpassant l’amalgame de gadgets ingénieux mais fragmentés qu’il propose aujourd’hui.
À cet effet, l’immense vague de sympathie qu’a reçu Québec solidaire suite au passage de son porte-parole Amir Khadir à l’émission « Tout le monde en parle » est révélatrice. À l’antipode du ressentiment adéquiste, le docteur Khadir, un peu à la manière de Jean Lesage lors du premier débat télévisé en 1962, rayonnait parce qu’il portait une vision pour le Québec. Oui, il s’est montré visionnaire et inspirant devant un peuple qui se cherche un destin. À l’opposé, le pragmatisme des Verts n’est pas un défaut, mais il demeura insuffisant.
Et est-il simplement réel ? Sans candidat vert dans la circonscription de Mercier, Amir Khadir aurait probablement été élu et l’Assemblée nationale compterait aujourd’hui au moins un écologiste. Le choix de la direction des Verts est compréhensible dans l’optique d’une organisation qui pourra augmenter son financement. Si l’on considère toutefois l’avancement de la cause écologiste, ce choix est une aberration.
Les syndicalistes
L’échec cuisant d’André Boisclair est aussi celui des grandes centrales syndicales et du club politique « Syndicalistes et Progressistes pour un Québec Libre » (SPQ-Libre). Ce dernier est depuis un bon moment l’objet d’une marginalisation lorsqu’il n’est pas carrément victime de « maccarthysme » ! Rappelons-nous les supplications d’une Rita Dionne-Marselais implorant les délégués d’un congrès péquiste de ne pas appuyer la proposition de nationalisation de l’énergie éolienne puisque, ce faisant, on transformerait le Québec en « Venezuela du Nord » !
Cette gauche au Parti québécois est sans résonance et elle ne parvient même plus à remporter ne serait-ce qu’une investiture. En effet, le secrétaire du SPQ-Libre Pierre Dubuc a été défait dans Groulx alors que son président Marc Laviolette, qui pour sa part n’avait pas d’opposition interne dans Soulanges lorsqu’il a soumis sa candidature, a été battu le jour de l’élection du 26 mars à la fois par les candidats du PLQ et de l’ADQ. Au moment où les bases syndicales remuent déjà, est-ce que ce club politique persistera à appuyer coûte que coûte des gens qui ne veulent manifestement plus d’eux ? Chose certaine, les syndiquéEs du Québec méritent d’avoir l’heure juste.
Pour un Québec « libre », les syndicalistes ? Et bien Québec solidaire aussi. C’est cette nouvelle formation qui, dans sa plateforme, a lié « assemblée constituante » à l’engagement de tenir un « référendum », ce même « référendum » qui a été biffé par l’équipe de communication péquiste. C’est aussi Québec solidaire et non pas le Parti québécois qui s’est engagé à abroger les mesures anti-syndicales du gouvernement Charest, devant lesquelles André Boisclair s’est sans doute retenu pour ne pas applaudir.
Malheureusement, commentant la progression de Québec solidaire, l’attitude du SPQ-Libre n’a pas été exempte de dédain. Monique Richard n’avait pas eu de scrupule à qualifier de « gérants d’estrades » les 800 délégués réunis au congrès de fondation du plus grand parti de gauche de l’histoire du Québec. Dans l’édition de mars de son organe de presse « L’Aut’Journal », le collectif expédiait sommairement la question de Québec solidaire : « Une coalition de souverainistes et de fédéralistes qui volera en éclats à la première crise d’envergure ».
Il s’agit d’une drôle d’affirmation à trois égards. D’abord, le PQ est lui-même né d’une grande coalition et même s’il n’est plus l’ombre de ce qu’il a déjà été, il a survécu à bien des « crises d’envergures », dont les deux référendums qu’il n’a pas été capable de gagner. Ensuite, il est utile de rappeler une autre prédiction du SPQ-Libre à l’époque où il s’était pointé le bout du nez dans les premières discussions devant mener à la création d’un nouveau parti de gauche au Québec. Le club politique avait soudainement tourné les talons et réaffirmé sa confiance dans le PQ en lui prédisant une victoire certaine étant donné la médecine de cheval appliquée par le gouvernement Charest lors de la première moitié de son mandat. On voit à présent comment ce calcul était erroné. Enfin, plus simplement, Pierre Dubuc et Marc Laviolette ne saisissent-ils pas que la gauche est bel et bien en ascension et que le déclin du Parti québécois s’accélère maintenant qu’il a fini de « scier la branche historique qu’il l’avait vu naître », c’est-à-dire son lien de proximité avec le peuple québécois ?
Il y a de ces signes qui ne trompent pas. Comme lorsque Diane Lemieux qualifie de « faux pli » le comportement pourtant foncièrement démocratique des membres du Parti québécois qui contestent la hiérarchie existante plutôt que de se taire servilement. Comme lorsque Nicolas Girard, candidat dans Gouin, téléphone à ma grand-mère en lui agitant l’épouvantail de la division du vote pour toute argumentation (une campagne de peur qui n’est pas sans rappeler certaines techniques fédéralistes) et alors que les résultats ont prouvé que la candidate libérale n’était pas dans la course. Comme lorsque que le chef André Boisclair affirme sans broncher ne se sentir aucunement lié au programme voté par ses membres ou encore comme lorsqu’on met du vert dans un logo uniquement pour suivre la mode, c’est qu’il n’y a plus rien à faire et que cette organisation jadis audacieuse est aujourd’hui devenue tout à fait stérile.
Pendant que cette élite péquiste ne se définit plus que dans sa fascination pour la puissance et la richesse que dégage le Parti libéral, les bases du Parti québécois sont aisément fascinées par Québec solidaire, un parti indépendantiste mais qui plus est démocratique et à la défense de « ceux d’en-bas ». Quant à eux, est-ce que Pierre Dubuc et compagnie parlent toujours au nom des syndicalistes et progressistes ou se sont-ils convertis en jusqueboutistes du « péquisme dans un seul pays » ? Est-ce qu’ils verront que le PQ, membres et appareil confondus, ne les entendra plus quoiqu’il advienne ? Mais surtout, comprendront-ils que la gauche aurait bien besoin de leur aide dans l’aventure qu’elle a entreprise ? Parce qu’être fidèle à l’esprit qui avait insufflé la montée du jeune Parti québécois, c’est rejoindre aujourd’hui Québec solidaire. Les nombreux péquistes qui prennent courageusement cette décision le répètent sans cesse.
Pendant ce temps, à Montréal-Nord…
Québec solidaire a montré qu’il n’est pas un parti montréalais en réalisant de bonnes campagnes locales dans plusieurs régions du Québec. Mais les solidaires ont une autre particularité, ils savent qu’ils peuvent s’implanter dans des quartiers tel que Montréal-Nord où le PQ ne fait pas opposition à un Parti libéral qui s’est vu réélu par défaut depuis plus de vingt ans.
La dernière campagne électorale aurait démontré selon certains qu’il y a rupture entre les régions et la métropole, ou encore entre Québec et Montréal. La situation semble bien plus complexe, surtout lorsque l’on constate la diversité de Montréal, celle du West Island, certes, mais aussi celle des « quartiers nords » où l’on habite un univers social distinct à la fois du Plateau, de la banlieue lavaloise ou de Rivière-du-Loup. À tort ou à raison, on parle de plus en plus de gangs de rue dans les médias québécois. L’environnement social qui les abrite peut sembler silencieux mais il ne l’est aucunement. Ça gronde dans l’underground… Les Français l’ont appris à leurs dépens. Et une offensive de droite peut être un détonateur. Et que dire du refrain du Voyou, rappeur de St-Michel : « Il faut comprendre ce que la rue nous ramène,
Si tu nous empêches de manger, on va te faire mal man ».
La jeune candidate de Québec solidaire dans Bourassa-Sauvé (Montréal-Nord) n’aura amassé que 3,4 % des voix mais le curieux amalgame de citoyens et de citoyennes qui s’y sont rencontrés est devenu un noyau dynamique qui pourrait faire long feu dans une périphérie urbaine qui a soif de politique, de rapport de force. Les incorruptibles défenseurs de toutes les causes sociales se unis aux vieux militants de terrain et leurs renforts altermondialistes. Bref, toute la force de conviction et d’enracinement avec laquelle travaillent les mouvements politiques de gauche. Dans ce terreau du nouveau Québec métissé où la politique se chante souvent dans le rap, la gauche québécoise pourra s’y abreuver d’internationalisme et le marier avec ce que les Québécoises et les Québécois ont de meilleur.
Oui, la gauche aurait souhaité un autre scénario lundi le 26 mars. Ceci dit, elle a toutes les raisons de se sentir d’attaque, jusqu’à la prochaine fois. De fait, elle s’est déjà remise au travail.
Guillaume Hébert