En effet, si la Chine et l’Asie continuent de tirer l’activité mondiale, il n’y a toujours pas de reprise pérenne dans les grands pays occidentaux. Le produit intérieur brut mondial devrait progresser de 3,4% cette année, selon le FMI, soit 0,3 point de moins que lors de sa précédente estimation en avril. Ce pessimisme tient à la morosité observée au premier trimestre, en particulier aux États-Unis, et à des perspectives moins optimistes de plusieurs pays émergents. Les pays de l’Union européenne ne se sortent pas de leur léthargie et en Allemagne – le champion européen selon certains – la production industrielle a même diminué de 1,8% en mai. L’investissement privé reste faible en raison d’une demande finale chétive. La progression du PIB de l’UE ne serait que de 1% en 2014 selon plusieurs instituts nationaux.
Le contraste est donc flagrant entre l’état de l’économie mondiale et le doux optimisme des marchés. A quoi cela tient-il ?
Les banques centrales aux pieds du malade
La première raison est celle de la surabondance de liquidités due aux politiques des banques centrales, notamment américaine et européenne. Pour conjurer les risques de récession, elles ont entrepris d’inonder le marché d’argent frais en rachetant des titres divers et de maintenir leurs taux directeurs au plus bas. Or, tout cela n’a pas vraiment fait bouger les activités domestiques. En zone euro, le taux d’inflation annuel poursuit son érosion à 0,5% en juin (1,6% un an plus tôt). La déflation commence à toucher certains secteurs. La BCE qui souhaiterait une inflation à 2% avant 2017 abandonne cette espérance. D’un côté une activité mondiale morose, voire désolante en Europe, de l’autre une activité financière au beau fixe. L’injection de liquidités par les banques centrales bénéficie essentiellement aux marchés de titres et aux grandes opérations capitalistiques. Pas à une reprise économique vertueuse. Danger !
Aux Etats-Unis les performances boursières sont portées par la forte croissance des dividendes versés et des rachats d’actions (plus de 500 milliards de dollars par an). Au premier trimestre 2014 cette manne s’est élevée à 190 milliards de dollars alors qu’elle était de 165 milliards au troisième trimestre 2007 juste avant le déclenchement de la crise. Un autre effet joue en faveur des performances boursières, c’est la reprise des opérations de fusions-acquisitions. La perspective de consolidation, de concentration des parts de marché et des synergies fait monter le prix de certains titres. Les niveaux effarants de certains rachats dans le secteur des réseaux sociaux ou dans les biotechs montrent que nous sommes bien en présence d’une bulle. De même sur le marché des obligations spéculatives (à haut risques). Toutes les classes d’actifs sont au plus haut et –signe de l’optimisme des marchés – les indicateurs de volatilité sont au plus bas. Le calcul des risques selon les historiques, ne prenant souvent en compte que les cinq dernières années, ne couvrent plus l’année 2008, année de la crise des subprimes.
Les autorités monétaires sont donc confrontées à un dilemme : ou bien laisser les taux directeurs au plus bas dans l’espoir que cela relance l’activité économique, mais au risque de provoquer une nouvelle bulle dangereuse si rien ne vient, ou bien remonter les taux en mettant immédiatement en péril l’hypothèse d’une reprise.
Un contexte inquiétant
A cela s’ajoute le risque de cessation de paiement de l’Argentine et les deux crises bancaires européennes dites « périphériques » de ces dernières semaines : l’effondrement de la Corporate Commercial Bank bulgare (CCB) et la cessation de paiements de la Banca Espirito Santo portugaise (BES). La crise de la banque portugaise (dont 15% appartiennent au Crédit Agricole) peut avoir des conséquences sur d’autres banques européennes et surtout conduire à un nouvel affaiblissement de l’économie lusitanienne.
Autrement dit les traces des deux crises précédentes, la bancaire de 2008 et celle des dettes publiques de 2010/12, peuvent venir se cumuler aux dangers actuels de bulle financière. Sans oublier les risques géopolitiques au Moyen-Orient, en Afrique et en Ukraine ainsi que dans les relations sino-japonaises. Toutes choses qui selon les cas peuvent peser brutalement sur les prix du pétrole, les échanges commerciaux ou les budgets militaires. Le développement des conflits face à des groupes islamistes radicaux (Nigéria, Syrie, Irak…) est en train de changer la donne de la situation politique mondiale.
Les performances boursières, l’euphorie des places, l’inflation des dividendes, la frénésie spéculative fait donc craindre un nouvel effet boomerang. L’abondance actuelle de liquidités joue plus comme un narcotique que comme un remède, et dissimule l’abondance des risques.