Édition du 17 décembre 2024

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Europe

Nous devons mettre fin à l’héritage du thatchérisme

Margaret Thatcher est morte. La politique qu’elle a menée comme premier ministre a ruiné les vies de millions de personnes. Maintenant, ses héritiers politiques tentent d’étendre les dégâts qu’elle a provoqués d’une manière dont elle a seulement pu rêver. La grande tâche politique qui est devant nous tous est de nous assurer qu’ils échouent. Nous devons faire en sorte que l’héritage de Thatcher meure avec elle.

Tiré du site d’Avanti.

Parmi ceux qui pleurent la mort de Margaret Thatcher, il y a les banquiers et les spéculateurs en recherche du coup fumant qui peuplent la City. Elle a été la pionnière du "capitalisme de casino" néolibéral qui les a enrichis. Parmi ceux qui la pleurent, on trouve aussi les journaux de Rupert Murdoch, qui ont tant fait pour défendre ses valeurs pourries. Et les parasites à la tête des grandes entreprises qui se sont enrichis par la privatisation des services publics se souviendront sans aucun doute d’elle avec tendresse.

Beaucoup d’entre nous par contre ne pleurerons pas la mort de Thatcher. Les millions de personnes qui ont perdu leur emploi au fur et à mesure que l’industrie se décomposait, que des secteurs entiers de celle-ci finissaient en ruine et que le chômage augmentait ne pleureront pas. Les ex-mineurs, leurs familles et leurs communautés qui ont combattu le gouvernement de Thatcher au cours de la grande grève de 1984-85 ne pleureront pas. Les familles de Liverpool qui ont combattu pendant 23 ans contre les silences et les dissimulations de l’establishment pour que justice soit rendue aux victimes de Hillsborough [1] ne pleureront pas.

Beaucoup d’autres - tous ceux qui rejettent l’idéologie de la concurrence où l’homme est un loup pour l’homme, le nivellement par le bas des salaires et des conditions de vie et la politique vicieuse du "diviser pour régner" qui les accompagne - ne pleureront pas plus le passage de vie à trépas de Margaret Thatcher.

La guerre de classe de Thatcher

La gauche est parfois décrite par les journaux de droite comme claironnant des appels à la « guerre de classe ». La vérité est que Thatcher a mené la guerre de classe pour les riches et les puissants, qu’elle a été la plus grande "guerrière de classe" de sa génération. Dès l’élection de son premier gouvernement en 1979, sa mission était de déplacer l’équilibre de la répartition de la richesse et du pouvoir, au détriment de la grande majorité de la population et au profit d’une élite fortunée. Elle a fait passer en force des politiques de privatisation et de déréglementation, elle a utilisé la peur du chômage pour mettre au pas ceux qui travaillaient et elle a fait entrer le marché dans les services publics.

Thatcher a attaqué toute une série de groupes de travailleurs et de leurs syndicats - depuis les sidérurgistes au début des années 1980 jusqu’aux ambulanciers à la fin de cette décennie, en passant par les mineurs, les imprimeurs et bien d’autres encore, dans un effort concerté visant à détruire la résistance de la classe ouvrière à son programme de droite. Elle voulait "libérer" les services publics afin que les riches amis des Conservateurs puissent en tirer profit. Elle a cherché à supprimer tous les obstacles à l’accumulation des richesses dans les mains de quelques-uns.

Thatcher a été plus qu’une simple figure de la politique nationale britannique. À l’échelle mondiale, elle est devenue - aux côtés du président américain Ronald Reagan - une icône pour le modèle néolibéral. Son amitié avec le général Pinochet - qui a supervisé le massacre de milliers de militants de gauche afin que les sociétés multinationales puissent piller les ressources de son pays et exploiter ses travailleurs - était célèbre. Thatcher était une porte-parole enthousiaste pour les programmes du FMI imposés aux pays en développement, ouvrant leurs marchés aux puissantes multinationales occidentales et vendant aux enchères leurs ressources publiques.

Thatcher était profondément attachée à l’OTAN et en particulier à l’alliance avec l’impérialisme américain. Ses gouvernements ont gaspillé des milliards de livres en armes nucléaires et ont travaillé en étroite collaboration avec la Maison Blanche et le Pentagone. Elle a utilisé sans vergogne la guerre des Malouines pour stimuler une cote de popularité en déclin dans le pays.

Tout en sapant systématiquement la notion d’un État-providence qui se préoccupe des gens du berceau à la tombe, Thatcher a renforcé le pouvoir répressif de l’État. Cela a été particulièrement évident lors de la grève des mineurs, quand elle a caractérisé les mineurs comme « l’ennemi intérieur » et déclenché une brutalité policière massive contre les villages miniers, et dans son approche de l’Irlande du Nord où elle a diabolisé la résistance à l’Etat impérialiste britannique et renforcé la discrimination contre les catholiques. Elle a laissé mourir les prisonniers républicains en grève de la faim dans les prisons d’Irlande du Nord. En Angleterre même, à la même époque, la police a attaqué ceux qui avaient le culot de déclencher des émeutes dans des conditions de pauvreté, de désespoir, de racisme et d’aliénation.

Le vent tourne

C’est la Poll Tax [2] qui a défait Thatcher. Peu de temps avant que Thatcher soit évincée en tant que Premier ministre, en 1990, le journaliste socialiste Paul Foot écrivait :

« La colère a éclaté contre la Poll Tax détestée, qui s’attaque à tout le monde sauf aux riches et qui a réussi à unir l’opposition au gouvernement Thatcher pour la première fois. Depuis le nord de l’Ecosse jusqu’à l’île de Wight, le plus grand mouvement de désobéissance civile que la Grande-Bretagne a connu au cours de ce siècle a convaincu des centaines de milliers de personnes de résister à cette taxe en ne la payant pas... Mais cette colère nouvelle ne s’arrête pas à la Poll Tax. Elle est devenue le symbole de tous les autres plans et politiques des Conservateurs."

Le vent avait tourné. Les conservateurs ont continué au pouvoir tant bien que mal pendant plusieurs années, avec John Major comme dirigeant et avec une majorité très réduite après les élections de 1992, mais le mythe de l’invincibilité des Conservateurs avait été détruit. Dans les années 1990, il y eut un changement décisif dans les sondages d’opinion, qui se traduisit par un raz-de-marée en faveur du Parti Travailliste en 1997. Un grand nombre de travailleurs n’ont jamais accepté le thatchérisme ; beaucoup plus encore se sont retournés contre lui, à mesure que les dures réalités du chômage, des récessions à répétition, des inégalités croissantes, du chaos et des gaspillages qui suivirent les privatisations et des injustices de la Poll Tax se faisaient sentir.

Mais, tandis que le raz-de-marée de 1997 en faveur du Parti Travailliste reflétait un rejet populaire des valeurs de Thatcher, le blairisme était un signe de l’héritage politique de Thatcher : celle-ci a réussi à déplacer les grands courants politiques vers la droite, entraînant avec elle les directions successives du Parti Travailliste et insistant sans relâche sur sa devise « Il n’y a pas d’alternative ». L’acceptation du néolibéralisme par toute la classe politique parlementaire, qui s’est traduite dans les politiques du New Labour au cours des 13 années de mandat de Blair, puis de Brown, est le reflet de la réussite des thatchériens.

Malgré tout cela, les enquêtes d’opinion ont montré à maintes reprises qu’une forte majorité de la population s’opposait aux privatisations et qu’il y avait une haine généralisée envers l’héritage de Margaret Thatcher et un courant puissant d’opposition à la politique de l’establishment. Ce n’est donc pas que la population travailleuse a été convaincue par le thatchérisme. Notre faiblesse est du domaine de l’organisation. Les syndicats ont été assommés par les défaites, le Parti travailliste s’est déplacé vers la droite et la gauche radicale organisée est faible.

La lutte contre les héritiers du thatchérisme

Nous faisons maintenant face à un gouvernement dirigé par les Conservateurs qui vise à s’appuyer sur l’héritage de Margaret Thatcher et à l’étendre. Cameron et Osborne veulent affaiblir l’Etat-providence d’une manière plus profonde que tout ce que les gouvernements de Thatcher pouvaient espérer. La série de « réformes » sociales de ce mois - qui inclut la nouvelle Bedroom Tax [3] - représente une attaque en règle contre les pauvres alors que les millionnaires vont obtenir une nouvelle réduction d’impôt. Thatcher a laissé le Service National de Santé (NHS) en grande partie intact, mais maintenant le gouvernement est en train de le dépecer.

Le gel des salaires et les coupes dans les pensions de millions de travailleurs du secteur public représentent un assaut soutenu sur le niveau de vie. Les lois anti-syndicales restent en vigueur, la police est utilisée pour limiter les protestations et la presse de droite diabolise ceux qui ont besoin de la sécurité sociale.

Les Conservateurs et leurs idées ne sont pas populaires. Notre défi est de mobiliser l’opposition qui existe dans tous les domaines et de la réunir en un mouvement de masse organisé qui puisse en finir avec l’austérité et faire tomber le gouvernement. Des dizaines de milliers de gens ont rejoint les manifestations pour la défense du NHS et, dans les dernières semaines, il y a eu des dizaines de manifestations locales contre la Bedroom Tax. Un certain nombre de syndicats envisagent une reprise d’actions de grève bien nécessaires pour faire face aux attaques contre les salaires, les pensions et les services publics.

L’Assemblée Populaire contre l’austérité [4] - qui se tiendra à Westminster Central Hall le 22 juin - peut connecter et coordonner les luttes contre les coupes dans les budgets publics et planifier des actions de masse contre le gouvernement des enfants de Thatcher. L’héritage de Margaret Thatcher vit. Mais vit aussi l’héritage des idées d’opposition, de résistance et d’alternative qui dessinent le genre de société dont nous avons besoin. Notre tâche est de le transformer en une force sociale organisée capable d’enterrer pour de bon le thatchérisme.

Inscrivez-vous à l’Assemblée du peuple : http://thepeoplesassembly.org.uk/

Article paru sur www.counterfire.org

Traduction pour avanti4.be : Jean Peltier

Notes d’Avanti

[1] Le 15 avril 1989, une demie-finale de la Coupe d’Angleterre de football entre Liverpool et Nottingham Forest se disputait au stade de Hillsborough à Sheffield. Six minutes après le coup d’envoi du match, une tribune s’est écroulée, provoquant la mort de 96 personnes et faisant 766 blessés, dont une partie sont morts étouffés dans de terribles bousculades après avoir été guidés par la police vers des tunnels de sortie déjà totalement encombrés. Dès les premières heures après le drame, les responsables de la police ont reporté la faute sur les supporters de Liverpool. Cela est resté la version officielle des autorités pendant vingt ans. Il a fallu attendre le rapport d’une Commission indépendante d’experts en septembre 2012 pour qu’il soit enfin reconnu que la moitié des morts auraient pu être évitées si la police et les services d´urgence n’avaient pas commis de "multiples erreurs".

[2] La Poll Tax était une nouvelle taxe sur les habitations d’un montant égal pour tous les contribuables, quelle soit la taille et l’état de leur logement - et donc extrêmement inégalitaire. Une campagne massive s’est développée contre cette taxe, incluant un appel au non-paiement, qui a rencontré un énorme succès, au point qu’au plus fort de cette campagne, un quart des foyers britanniques ne l’avaient pas payée.

[3] C’est le surnom donné à la nouvelle loi sur les allocations de logement qui s’applique aux logements sociaux. Elle prend désormais en considération le nombre de pièces du logement et le nombre de gens qui l’occupent. Elle limite le paiement de l’allocation à une chambre à coucher par personne ou par couple. Si le nombre de pièces est jugé trop élevé pour le nombre d’occupants, l’allocation sera diminuée de 14% s’il y a une pièce en trop et de 25% s’il y en a deux ou plus. A noter que la loi considère aussi que tous les enfants de moins de 10 ans doivent partager la même chambre et qu’il en va de même pour tous les enfants de même sexe en dessous de 16 ans.

[4] People’s Assembly (Assemblée Populaire) est le nom donné à un grand forum de débats que la Coalition of Resistance (le principal regroupement de syndicats et d’initiatives locales contre les coupes dans les budgets publics) organise à Londres le 22 juin et qui devrait déboucher sur des propositions d’actions contre l’austérité en Grande-Bretagne et en Europe.

Alex Snowdon

Collaborateur au site www.counterfire.org

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