Tiré de A l’Encontre
8 mars 2023
Par Oscar Rene Vargas
La dictature Ortega-Murillo a annulé le statut juridique de 18 chambres du secteur privé ainsi que celui des chefs d’entreprise représentés au sein du Cosep.
Le problème fondamental réside dans le fait que la dictature ne peut pas surmonter la crise politique par des mesures répressives, mais que ses initiatives renforcent son isolement international et accélèrent la fracture interne, l’affaiblissant au fur et à mesure que d’autres facteurs continuent à saper ses soutènements.
Le facteur social est aggravé par le chômage, le sous-emploi, les bas salaires et l’incapacité de la grande majorité de la population, y compris les propres sympathisants du régime, à s’approvisionner en produits de base. Cela affaiblit et fragilise la base sociale d’Ortega.
De plus, la vague d’émigration résultant de la répression et de l’appauvrissement de la population affecte également la composante sociale pro-Ortega, tandis que le pays continue à perdre du « capital humain », ce qui réduit sa capacité à une récupération à court terme.
Le facteur économique est primordial car il a réduit l’aptitude du régime à élargir ses soutiens clientélaires grâce à la distribution d’avantages et de primes, raison pour laquelle il a recours à la répression pour consolider son assise sociale limitée qui, selon l’enquête CID-Gallup, s’élève à quelque 15%. A en croire diverses organisations internationales, la croissance macroéconomique en 2023 se situera entre 1,8% et 2,3%. Toutefois, la situation microéconomique des ménages sera négative. L’inflation anticipée est supérieure à l’ajustement des salaires des personnes ayant un emploi formel. En même temps, compte tenu des dernières décisions du régime, y compris la fermeture de toutes les branches [elles sont au nombre de 18] qui composent le COSEP (Consejo Superior de la Empresa Privada), les investissements étrangers et nationaux seront encore plus réduits. Par conséquent, il y aura moins d’emplois, plus de pauvreté et un plus grand mécontentement social.
Un autre élément qui stimule la situation dégradée de la dictature est le facteur religieux. Depuis le second semestre 2022, le régime a entrepris une répression plus ouverte contre l’Eglise catholique. Il a fermé des stations de radio et d’autres institutions catholiques nationales et internationales, dont Caritas. Il a arrêté des prêtres, des diacres et des séminaristes, condamnant à 26 ans d’incarcération l’évêque Rolando Alvarez. Il a interdit les processions religieuses, empêché des prêtres d’entrer dans le pays, expulsé d’autres, de même que des religieuses, etc. Tout cela a eu un impact négatif sur les sensibilités religieuses de la population en général et sur la base sociale d’Ortega lui-même, ce qui se traduit par un étiolement supplémentaire de la dictature.
L’augmentation de la répression (déchéance de la nationalité de plus de 316 citoyens, expropriation de biens, bannissement de 222 prisonniers politiques, annulation du statut juridique d’associations d’entreprises, etc.) a abouti à ce que la situation au Nicaragua est devenue un sujet de préoccupation pour les gouvernements latino-américains et européens au cours des dernières semaines. A cela s’ajoute la déclaration des experts indépendants des Nations unies en matière de droits de l’homme, qui ont décrit les actions répressives de la dictature d’Ortega-Murillo comme similaires à celles menées par l’Allemagne nazie début des années 1930 [1]. Il est également important de noter que le Groupe d’experts sur les droits de l’homme du Conseil des droits de l’homme de l’ONU a appelé les pays à commencer dès maintenant à ouvrir des procédures contre les responsables de crimes contre l’humanité commis au Nicaragua entre avril 2018 et aujourd’hui. Il a également appelé les institutions financières internationales, qui continuent à fournir un soutien financier au régime, à cesser de le faire et à inclure le respect des droits de l’homme comme conditionnalité dans leurs programmes. Tous ces éléments ont encore renforcé l’isolement international du régime d’Ortega-Murillo.
En conséquence, la dictature Ortega-Murillo n’a pas la capacité d’inverser les différents facteurs qui contribuent à son affaiblissement et à sa perte de légitimité tant au niveau national qu’international. Le processus de délitement de sa base sociale s’accentuera au fur et à mesure que s’écoulera le temps politique.
Face à ce scénario, le régime Ortega-Murillo a adopté à la lettre la formule de [l’ex-dirigeant du FSLN] Tomas Borge [faite avant de mourir en 2012 et qu’Ortega a répétée lors du 10e anniversaire de sa disparition] : « Nous pouvons payer n’importe quel prix, quoi qu’ils disent, mais la seule chose que nous ne pouvons pas perdre, c’est le pouvoir. » Cependant, sa marge de manœuvre pour rester au pouvoir devient de plus en plus limitée. Il ne serait pas surprenant que dans les semaines ou les mois à venir, Ortega propose d’avancer les élections afin de tenter de maîtriser le facteur temps politique, car il considère que l’opposition est divisée, disloquée.
En prévision de cette éventuelle manœuvre du régime, la stratégie immédiate de l’opposition devrait consister à former un front uni de lutte reposant sur dix points fondamentaux. Pour cela, je recommande de relire le document présenté par la Conférence épiscopale au gouvernement en mai 2014 [voir ici le Nicaragua_dialogo1_cen2014 de ce document]. Je pense que ce serait un bon point de départ pour élaborer les points fondamentaux qui peuvent servir à la formation du Mouvement d’unité nationale.
Nous devons être clairs sur le fait que le régime est fragile, qu’il présente de nombreuses fissures internes et que le processus de décomposition se poursuit malgré la répression. Nous devons organiser un contre-pouvoir capable de conduire le pays vers la restauration de la démocratie, vers le respect des droits humains et vers la justice sociale. (Article reçu le 7 mars 2023 ; traduction rédaction A l’Encontre)
[1] Le New York Times (version espagnole) du 2 mars 2023 écrit : « Le président du Nicaragua, son épouse et des membres haut placés du gouvernement ont commis de graves violations des droits de l’homme – notamment des actes de torture et des meurtres – qui constituent des crimes contre l’humanité, a conclu une équipe d’enquête des Nations unies qui fournira des éléments de preuve pour toute tentative de les poursuivre à l’étranger [voir le communiqué de presse du 2 mars 2023 publié par Group of Human Rights Experts on Nicaragua]
Lors d’une conférence de presse jeudi 2 mars, le responsable de l’enquête a appelé à des sanctions internationales contre le gouvernement et a comparé le bilan du Nicaragua en matière de droits de l’homme à celui des nazis, affirmant que les méthodes utilisées par le régime actuel pour rester au pouvoir depuis 2018 ressemblaient à celles discutées lors des procès de Nuremberg. « La militarisation du système judiciaire contre les opposants politiques, comme c’est le cas au Nicaragua, est exactement ce que le régime nazi a fait », a déclaré Jan-Michael Simon, qui a dirigé l’équipe d’experts en justice pénale nommés par l’ONU, lors d’une interview : « Les gens sont massivement déchus de leur nationalité et expulsés du pays : c’est exactement ce que faisaient les nazis. » (Réd. A l’Encontre)
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