Édition du 17 décembre 2024

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Naomi Klein et la quête pour la justice environnementale

Plus qu’un programme de renouvellement économique et écologique, l’ouvrage de Naomi Klein No Is Not Enough : Resisting Trump’s Shock Politics and Winning the World We Need (Dire non ne suffit plus : Contre la stratégie du choc de Trump) analyse en profondeur la façon dont la politique en est arrivée là. Cet essai rigoureux mais facile à comprendre se lit d’une traite. Il n’épargne personne, ni les lecteurs, ni les médias, ni même l’auteure elle-même. Ce livre peut déclencher le type d’activisme réfléchi dont nous avons désespérément besoin.

Tiré de Ritimo.

Aussi répugnantes que soient ses pratiques, Trump n’est pas à l’origine de tous nos maux. Il n’est qu’un symptôme du capitalisme néolibéral dans ce qu’il a de pire. Trump bénéficie principalement des revenus qu’il obtient en prêtant son nom à des entreprises internationales, comme Nike, leur épargnant ainsi d’assumer la responsabilité de leurs pratiques de travail inhumaines.

Son poids économique aussi bien que politique, a été sublimé par les grandes sociétés de médias . Au cours des primaires, les médias se sont servis de Trump comme d’un faiseur d’audimat, mais ces mêmes médias en avaient déjà fait une superstar à travers les émissions de télé-réalité qu’il produisait.

Qui doit-on blâmer pour le triomphe de Trump ? Certains ont mis en cause l’obsession de la politique identitaire et suggéré qu’une meilleure stratégie aurait consisté à mettre l’accent sur les inégalités et l’insécurité. Mais Klein reconnaît que la discrimination et même la violence à caractère racial ou sexuel existent bel et bien dans la vie de beaucoup d’entre nous et sont tout aussi importantes que les problèmes économiques. J’ajouterais également qu’aucun démocrate n’est susceptible de l’emporter sans un soutien substantiel des communautés afro-américaines et latino-américaines. Klein, qui a soutenu Sanders, critique à juste titre sa réaction plutôt modérée vis-à-vis de la question de la réparation pour l’esclavage. Interrogé, il a répondu qu’il s’agissait d’un problème trop « clivant », comme si sa campagne n’était pas elle-même en grande partie clivante. Ce que Sanders aurait pu dire pour élargir sa base démocrate, c’est qu’il fallait que ce soient à ceux qui avaient le plus tiré profit de l’esclavage et du racisme qu’incombe la plus grande part du financement des programmes compensatoires. Klein résume bien les raisons d’une telle réflexion intersectorielle : « A Standing Rock, il était tellement évident qu’il s’agissait d’un tout, d’un système unique. Un capitalisme écocide déterminé à imposer la construction de l’oléoduc dans la rivière Missouri – sans tenir compte du consentement ni du changement climatique. C’est un racisme exacerbé qui a permis de faire à Standing Rock ce qui a été jugé impossible à Bismark... Le capitalisme moderne, la suprématie blanche et les combustibles fossiles sont aussi inséparables que les mèches d’une même tresse. Et tous ces éléments se sont entremêlés ici, sur ces parcelles de terre gelées. »

Klein souligne que le capitalisme aux États-Unis a commencé par l’exploitation et l’expropriation des Amérindiens. En les diabolisant, on a justifié leur expropriation et leur destruction. J’ajouterais que la relation de cause à effet a aussi fonctionné en sens inverse. Le concept de supériorité morale de la propriété privée a été renforcé lorsqu’on a dépeint ceux qui avaient un idéal de gestion des terres plus communautaire comme des « sauvages ». Présenter toute alternative à la propriété privée et aux marchés des affaires comme de dangereux phénomènes venant de l’étranger a été, depuis les premiers temps, l’instrument brandi pour faire taire les critiques sur cette économie de marché.

Le néolibéralisme est en grande partie responsable de la condition sociale et économique de la classe ouvrière. Klein reconnaît l’importance du néolibéralisme mais l’assimile trop facilement à de la simple avidité. La foi néolibérale dans les marchés, la volonté de les étendre à tous les domaines de la vie et de les imposer si besoin, et la croyance en une nature au service de l’humain ont contribué à façonner et à alimenter nombre de pratiques de la vie quotidienne. Nous nous considérons comme des curriculums ambulants. Pourtant, non seulement nos emplois et nos retraites sont devenus instables, mais la protection sociale s’est affaiblie et ses défenseurs, traditionnellement démocrates, ont pratiquement déserté la cause. Dans un tel climat, certains choisissent de s’identifier à l’entrepreneur de l’émission de télé-réalité The Apprentice, ou de faire cavalier seul dans leur monde imaginaire. L’agenda néolibéral a favorisé la consolidation des médias et la concentration des richesses, ce qui, à son tour, a permis aux riches d’ignorer les problèmes environnementaux.

Les préoccupations concernant le néolibéralisme ne datent pas d’hier. À la fin des années 90, elles ont provoqué des mouvements sociaux contre le commerce et l’exploitation de l’environnement, mais ces mouvements ont été étouffé par le 11 septembre qui dans son sillage a entraîné la diabolisation de tout ce qui pouvait être considéré comme radical. Il y a une leçon à en tirer. Klein soutient qu’il est dans l’intérêt des entreprises d’exploiter ou même de fabriquer des catastrophes pour imposer des politiques qui, autrement, ne seraient pas acceptées par l’électorat. Comme Klein l’a fait remarquer dans un article récent, Trump essaie déjà de profiter des ouragans Harvey et Irma pour accélérer l’adoption d’importantes réductions d’impôt pour les riches.

Quelle est l’urgence ? Nous vivons déjà dans la réalité du réchauffement et de la crise climatiques. L’auteure aurait peut-être pu encore renforcer son argument en considérant l’environnement comme un acteur dynamique à part entière et pas totalement prévisible. Cela ne signifie pas que les humains ne comptent pas, mais plutôt que le cosmos n’est pas là pour satisfaire leurs besoins, et que l’humilité et la retenue sont encore plus nécessaires si l’on ne veut pas déclencher d’autres de ces détonateurs imprévisibles.

Dire non ne suffit plus parce que le problème est urgent et qu’il y a beaucoup à faire pour imaginer et mettre en œuvre de façon constructive des alternatives au néolibéralisme.

En ce qui concerne le néolibéralisme, il est important de se rappeler qu’il fut un temps où certains travailleurs étaient protégés contre les fluctuations du marché. Néanmoins, Klein, et c’est tout à son honneur, ne s’engage pas dans un rappel nostalgique de cette période et reconnaît qu’il y avait déjà des exclusions raciales et sexuelles à l’époque de l’« âge d’or » du capitalisme.

Si la classe, la race, le genre, et l’exploitation ont interagi pour déclencher cette crise, une riposte doit s’organiser au-delà de nombreuses frontières pour construire un programme égalitaire et écologique. À la fin du livre, on trouve le Manifeste Leap (bond en avant), issu d’une initiative démocratique de base. Le manifeste fait écho au conseil avisé que Klein donne aux militants de ne pas rester cloisonnés dans leurs propres problèmes et de ne pas diaboliser ceux qui mettent sur le tapis des préoccupations différentes. En guise de critique amicale, j’ajouterais une dernière chose : le manifeste pourrait évoquer davantage la question de la régulation bancaire, compte tenu du rôle que les méga banques ont joué dans la déstabilisation de l’économie et le financement des géants du pétrole. Nous pouvons construire un avenir non seulement plus sécurisé mais aussi plus satisfaisant, loin des cages à rats dans lesquelles beaucoup d’entre nous sont actuellement prisonniers.

Commentaires

Cet article de John Buell a été traduit de l’anglais au français par Françoise Vella et Virginie de Amorim, traductrices bénévoles pour Ritimo. Retrouvez l’article original publié le 12 septembre 2017 sur le site de Common Dreams : Naomi Klein and the Quest for Environmental Justice.

John Buell

Collaborateur au site Common Dreams.

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