Tiré de À l’encontre.
La résistance civile armée se développe
Après que le gouvernement civil parallèle (Gouvrnement d’unité national-GUN) ait annoncé la formation d’une Force de défense du peuple pour combattre la junte, le régime militaire a déclaré que les PDF (People’s Defence Forces) et les forces alliées étaient des organisations terroristes. Dans un avis publié samedi dans les médias d’État, le Comité représentant le Pyidaungsu Hluttaw [Assemblée de l’Union dissoute par la Junte], le gouvernement d’unité nationale, les PDF et « tous leurs subordonnés » ont été officiellement qualifiés de groupes terroristes. L’avis les accuse d’inciter le Mouvement de désobéissance civile (CDM) à commettre des « actes violents », notamment des émeutes, des attentats à la bombe, des incendies criminels et des « assassinats ».
Le GUN, quant à lui, a une nouvelle fois rejeté la possibilité de pourparlers avec le Tatmadaw [forces armées de la junte], montrant que les deux parties ne sont pas plus proches du dialogue. « La voie des négociations convenue lors du sommet de l’ASEAN ne correspond pas à ce que veut le peuple du Myanmar », a déclaré samedi le vice-président Duwa Lashi La [il est aussi le président de la Kachin National Consultative Assembly].
Les civils ont de plus en plus pris à cœur les appels à l’autodéfense, des affrontements ayant été signalés cette semaine dans l’État Chin et dans les régions de Sagaing et de Mandalay. Les forces de la junte ont finalement pris le contrôle de la Force de défense du peuple myingyan [district important] à Mandalay, après plusieurs jours d’escarmouches dans le secteur du village de Talokmyo. Sagaing est resté le cœur de la résistance, avec des combats signalés dans les districts de Kani, Taze et Tamu. Dans chaque cas, les combattants civils ont affirmé avoir infligé des pertes importantes aux forces ennemies, mais il est impossible de le vérifier. En tout cas, les rumeurs selon lesquelles les civils de Tamu étaient plus lourdement armés que ce qui avait été initialement rapporté semblent se confirmer, car des photos circulent montrant des combattants armés de fusils d’assaut.
La junte a placé le district de Mindat, dans l’État de Chin, sous la loi martiale après que
que des combats ont à nouveau éclaté entre les troupes de la Tatmadaw et les forces de défense civiles dans la nuit de mercredi 12 à jeudi 13 mai, marquant la fin d’un bref cessez-le-feu. Les militaires n’auraient pas donné suite à leur promesse de libérer cinq prisonniers, n’en libérant que quatre. « Il n’y aura plus de pourparlers. Nous allons protéger notre ville du mieux que nous pouvons », a déclaré l’un des résistants.
Mauvaises nouvelles pour la presse libre
Trois journalistes du média interdit Democratic Voice of Burma (DVB) ont été arrêtés en Thaïlande après avoir fui le Myanmar, tandis qu’un de leurs collègues a été condamné à trois ans de prison par les tribunaux contrôlés par la junte. Selon une déclaration de DVB, trois reporters et deux militants ont été arrêtés à Chiang Mai et accusés d’« entrée illégale en Thaïlande ». « DVB demande instamment aux autorités thaïlandaises de ne pas les expulser vers la Birmanie, car leur vie serait gravement menacée s’ils devaient y retourner », a déclaré ce média dans un communiqué, dans lequel il a également demandé au Haut-Commissaire des Nations unies pour les réfugiés d’« intervenir pour assurer leur sécurité ».
Soulignant les dangers de l’expulsion, le reporter de la DVB Min Nyo a été condamné à trois ans de prison, soit la peine maximale autorisée par l’article 505A du Code pénal, une accusation qui a été portée contre des dizaines d’autres reporters dont les procès n’ont pas encore été entendus. Si les trois journalistes présents en Thaïlande étaient renvoyés dans leur pays, ils risqueraient presque certainement d’être emprisonnés, voire pire.
Les autorités thaïlandaises ont laissé entrevoir l’espoir d’une résolution qui respecte les droits de l’homme. « Les autorités thaïlandaises concernées se coordonnent pour trouver une ou plusieurs solutions humanitaires ayant trait au cas récent des journalistes du Myanmar », a tweeté le porte-parole du ministère thaïlandais des Affaires étrangères. Le porte-parole de la police, le colonel Krishna Pattanacharoen, a eu des mots encore plus prometteurs, déclarant que « pour le moment, nous n’envisageons pas encore de les expulser. » Pourtant, aucun des deux responsables n’a pris l’engagement de leur permettre de rester. Ils restent donc dans une position extrêmement précaire et la situation demeure très préoccupante.
Les mauvaises nouvelles ne se sont pas arrêtées là sur le front de la liberté de la presse, puisque deux journalistes basés à Rakhine et deux journalistes basés à Mandalay ont également été inculpés en vertu de l’article 505A. Deux reporters de DMG (Development Media Group) à Rakhine ont appris cette semaine qu’ils avaient déjà été inculpés en vertu de l’article 505A, après l’avoir été en janvier dernier en vertu de l’article 66d de la loi sur les télécommunications. Deux autres journalistes de Voice of Myanmar à Mandalay, dont le rédacteur en chef, ont été inculpés des mêmes chefs d’accusation et placés en détention provisoire par un tribunal lors d’une audience mercredi 12 mai.
Le seul point positif est que la junte a annoncé qu’elle allait libérer le journaliste indépendant japonais Yuki Kitazumi, bien qu’il ait « enfreint la loi », en signe de bonne volonté envers le Japon. C’est toujours un pas en avant et dix pas en arrière.
La CBM remet ça
La Banque centrale du Myanmar (CBM) continue de proférer des menaces et d’édicter de nouvelles règles dans sa quête, apparemment futile, visant à rétablir la confiance dans les institutions financières du pays et prévenir une crise économique majeure.
Vendredi 7 mai, elle a annoncé qu’elle réduisait les réserves obligatoires des banques nationales de 3,5 % à 3 % [de leurs fonds propres], en raison du besoin désespéré de liquidités des banques. Le taux de réserves obligatoires était auparavant de 5 %, mais il a été ramené à 3,5 % pendant la pandémie du Covid-19. Le gouverneur adjoint de la CBM, Win Thaw, a pris la parole lors d’une conférence de presse organisée par l’armée ce jour-là. Il a tenté de minimiser les inquiétudes concernant le système bancaire en assurant au public que la junte n’avait « aucun plan pour dissoudre les banques » et que « les dépôts des gens dans les banques ne seront pas perdus pour quelque raison que ce soit ». Il a ensuite défendu les limites de retrait imposées par la CBM, affirmant qu’elles avaient été mises en place pour « maintenir la stabilité du secteur bancaire » et prédisant que « la confiance et la coopération du public » résoudraient rapidement la crise actuelle. Cependant, les limites de retrait n’ont fait qu’aggraver la situation, car les longues files d’attente dans les agences et aux guichets automatiques et les difficultés générales pour obtenir de l’argent créent une nouvelle panique.
Il a ensuite donné une interview exclusive à la BBC birmane mardi, qui n’a probablement fait qu’accroître l’inquiétude de la population. Il a commencé par accuser le mouvement pro-démocratie d’inciter à une campagne de « retraits massifs » dans le but de briser le système financier, ajoutant que les limites de retrait mises en place par la CBM sont nécessaires pour stabiliser le secteur bancaire. Il a déclaré que les banques ne sont pas des « coffres-forts » desquels les déposants peuvent retirer autant d’argent qu’ils le souhaitent, ce qui pourrait être une nouvelle information pour les titulaires de comptes. Mais il a également admis une autre raison pour les limites de retrait : « pour éviter que des milliards d’argent ne soient retirés et canalisés vers le mouvement CDM (Civil Disobedience Movement) ». Win Thaw a également déclaré que « garder des réserves d’argent liquide à la maison est illégal car cela perturbe l’économie nationale » et a menacé de poursuites judiciaires toute personne qui possède plus de 10’000 dollars en devises étrangères.
Mais Win Thaw n’avait pas que les clients dans sa ligne de mire. Il a également prévenu que la CBM infligerait des amendes aux banques qui ne respecteraient pas le plafond de retrait et permettraient au contraire à leurs clients privilégiés de retirer des centaines de millions de kyats à la fois. Il a déclaré avoir dit aux banques, lors d’une récente réunion, qu’elles devaient « servir l’intérêt de la nation » et améliorer la qualité de leurs services afin de rétablir « la confiance du public ». Nous doutons quelque peu que la crise de confiance ait quelque chose à voir avec la qualité du service.
Enfin, et c’est peut-être le plus inquiétant, une déclaration de la CBM a circulé mercredi 12 mai, ordonnant aux banques de soumettre une liste détaillée des transactions, y compris les retraits, les transferts et les dépôts effectués dans les agences et les distributeurs automatiques par des particuliers, des entreprises et des organisations entre le 1er février et le 7 mai. Quel qu’en soit l’objectif, il s’agit d’une violation alarmante de la vie privée qui ne fera qu’ébranler davantage la confiance, déjà plus que faible, dans le système bancaire. Plus inquiétant encore, la junte pourrait tenter de retracer les fonds qui ont été donnés pour soutenir les fonctionnaires en grève ou le gouvernement civil parallèle (GUN). Il pourrait également s’agir d’une tentative de surveiller et de punir les banques elles-mêmes, étant donné la menace précédente de prendre des mesures contre les banques qui autorisaient leurs clients privilégiés à retirer de l’argent au-delà de la limite imposée par l’État.
Petit remaniement ministériel
La junte a procédé à un remaniement de certains fonctionnaires de haut niveau cette semaine, dans ce qui semble être une tentative de renforcer les positions des loyalistes à des postes importants, mais elle n’a fourni aucune explication officielle.
Le lieutenant-général Yar Pyae a été nommé ministre du Bureau du gouvernement de l’Union, occupant un poste qui était vacant depuis le coup d’État. Yar Pyae était à la tête du Comité de solidarité nationale et de rétablissement de la paix de la junte, chargé de mener des actions de sensibilisation auprès des organisations armées ethniques. Il semble cumuler les deux fonctions. Le major-général Soe Tint Naing, qui occupait le poste de ministre adjoint au ministère du Bureau du gouvernement de l’Union, a été transféré au ministère de l’Intérieur, où il occupera le poste de ministre adjoint – le même poste qu’il occupait avant le coup d’État. Il est possible que Soe Tint Naing n’ait fait que remplacer le ministre en attendant que la junte trouve un fonctionnaire à long terme pour diriger ce ministère.
Pendant ce temps, le vice-ministre de la Défense, le contre-amiral Myint Nwe, a été relevé de ses fonctions et réaffecté à ses « fonctions militaires initiales ». Il avait été nommé en 2018 sous le gouvernement civil, lorsque le ministère de la Défense était l’un des trois ministères sous contrôle militaire (et non pas tous). Cela complète un nettoyage au ministère de la Défense, puisque l’ancien ministre, le lieutenant-général Sein Win, a été remplacé immédiatement après le coup d’État.
Myint Nwe a été remplacé par le major-général Aung Lin Tun, qui travaillait auparavant au bureau du commandant en chef. Il est donc possible qu’il soit considéré comme un fidèle de Min Aung Hlaing. Aung San Suu Kyi a clairement fait des efforts pour s’attirer les faveurs de certains membres du cabinet militaire et, étant donné que les ministres de la Défense et des Affaires frontalières ont tous deux été rapidement écartés après le coup d’État (et que le ministère de l’Intérieur a été remplacé au début de 2020), Min Aung Hlaing pourrait ne plus leur faire entièrement confiance, ni à leurs subordonnés.
Lettre d’information du site Frontier Myanmar pour la semaine du 7 au 14 mai 2021 ; traduction rédaction A l’Encontre.
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