L’Humanité, France, jeudi 20 décembre 2018
Entretien réalisé par Sébastien Crépel
Le secrétaire général de la CGT revient sur la mobilisation qui bouscule le pays. Pour Philippe Martinez, ce mouvement ne s’oppose pas aux luttes syndicales, mais souligne les obstacles à lever sur lesquels bute l’action collective des salariés.
L’Humanité. La crise des gilets jaunes questionne fortement la capacité des syndicats à défendre efficacement les intérêts des salariés. Leur utilité est-elle remise en cause ?
Philippe Martinez. Ce qui est intéressant dans ce mouvement, c’est qu’alors que l’action collective a été dénigrée par ceux qui nous dirigent depuis des décennies, on voit un corps social qui retrouve le chemin de la mobilisation. Mais celle-ci se construit dans un contexte de mise à l’écart des organisations syndicales par les gouvernements successifs et par le patronat. Trop souvent, quand il y a des mobilisations, ceux-ci font comme si elles n’existaient pas, ou refusent de répondre aux attentes. En 2016, par exemple, il y a eu plus de monde dans les rues pendant quasiment un trimestre entier contre la loi El Khomri qu’avec les gilets jaunes aujourd’hui. Et le soutien de l’opinion publique aux manifestations était comparable. Or qu’a fait le gouvernement de l’époque ? Il a fait le choix de jouer la carte de la division des syndicats. Cela ne veut pas dire que nous ne portons aucune responsabilité dans le fait que, parmi les gilets jaunes qui portent des revendications sociales, beaucoup n’ont jamais ou alors rarement croisé des syndicats. Dans ces conditions, il est difficile pour ces salariés de se convaincre de leur utilité. Nous sommes très en retard dans notre déploiement dans l’ensemble du monde du travail. Tant que la CGT ne rayonnera que sur 25 % du salariat, les 75 % de salariés restants ne connaîtront des syndicats que ce qu’on peut leur raconter par ailleurs. Et, en général, ce ne sont pas des compliments.
L’Humanité. Comment la CGT appréhende-t-elle ce mouve- ment sans organisation ni coordination ?
Philippe Martinez. Notre position est claire sur ce mouvement des gilets jaunes. Il est parti d’une révolte contre la hausse du prix de l’essence, que partage la CGT, mais derrière on voyait bien le risque des mots d’ordre du refus de toutes taxes, cotisations comprises. Très vite, cependant, les banderoles ont affiché des slogans pour la hausse du Smic et l’impôt sur la fortune, comme sur les tracts de la CGT. Cela montre qu’on ne prêche pas dans le désert. Même si les jonctions ne sont pas évidentes au premier abord, ce mouvement est un mouvement social, hétéroclite dans sa composition, avec l’existence qu’il faut dénoncer de certains comportements inacceptables en son sein.
Les gilets jaunes ont obtenu des concessions du président de la République que le mouvement syndical a échoué à arracher malgré ses mobilisations ces dernières années.
L’Humanité. Cela vous conduit-il à repenser votre stratégie ?
Philippe Martinez. Nous devons constamment nous interroger sur la stratégie la plus efficace pour gagner. Ce que font les gilets jaunes percute d’ailleurs nos débats dans la CGT sur l’efficacité des « journées saute-mouton » ( les journées... )
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