Tiré de Entre les lignes et les mots
Publié le 30 décembre 2021
Les femmes rurales ont d’abord perdu leurs terres, qui étaient leur ressource principale. C’est la femme qui doit produire de la nourriture pour sa famille, pour la société. Lorsqu’elle perd sa terre, elle ne peut plus pratiquer son agriculture, elle ne peut plus produire la nourriture pour nourrir sa famille, pour vendre une partie de sa production et pour avoir un peu de revenu. C’est déjà une très grosse violence pour elle parce qu’elle doit tout faire pour trouver de quoi manger et de quoi survivre avec sa famille.
Avec ses plantations, les femmes ont aussi perdu l’eau. L’eau c’est la vie. C’est dans ces eaux qu’elle’ avaient des étangs pour pêcher le poisson et c’est avec cela qu’elles pouvaient faire des économies, en les vendant pour obtenir des revenus et envoyer leurs enfants à l’école. Elles ont tout perdu, car aujourd’hui l’eau est polluée par des insecticides, des produits chimiques qui sont déversés dans les plantations, et elles ne peuvent pas la consommer. Alors qu’elles ne peuvent plus utiliser l’eau, il n’y a pas de compensation réelle. Les entreprises n’ont pas eu à créer des forages pour faire en sorte que ces femmes puissent avoir de l’eau potable, ce qui entraîne encore d’autres maladies.
Les femmes ont perdu aussi la forêt. Les plantations ont détruit toutes les forêts et c’est là qu’elles avaient des produits forestiers non ligneux qu’elles pouvaient ramasser, transformer et vendre pour gagner de l’argent. C’est vraiment là qu’elles construisaient leur économie. Elles ont aussi perdu tout ce qu’il y avait comme médicament en raison de l’installation de ces agroindustries. Tout a été coupé. Les femmes ont également perdu l’air pur pour respirer, parce qu’actuellement il est constamment pollué.
Nous sommes entrées dans une famille, nous y sommes allés pour travailler. Il y avait des grappes de fourmis, des grappes de petites mouches et des moucherons sur nous, dans nos habits, sur la nourriture. Tout cela ce sont des violences que les femmes subissent. Des problèmes causés par des entreprises capitalistes qui ont pour seul intérêt produire des bénéfices et ne veulent pas voir ce qui se passe autour d’elles. Les femmes ont aussi perdu leur liberté d’aller et venir.
Les violences de l’agroindustrie
Les entreprises ont créé de grands trous qui sont à quatre mètres de distance et de profondeur et les femmes n’ont pas le droit d’accéder aux plantations. Les entreprises ont recruté des militaires qui se sont installés partout. Quand elles sortent de leur chambre le matin, elles trouvent des militaires devant leur porte. Ces militaires viennent jusque dans les cuisines des femmes pour voir si elles ont pris des noix parce qu’ils considèrent que les noix de palmes que les femmes utilisent proviennent de leurs plantations alors que les femmes ont aussi des plantations de palmier à huile. Les femmes ont perdu des bébés dans leur ventre tout simplement parce que les militaires les ont violentées. Les femmes ont été menacées parce qu’elle était en possession des noix de palme.
Ce qui est encore le plus difficile à accepter, c’est l’accès à la plantation. Les femmes n’ont plus un autre moyen, elles n’ont pas une autre possibilité de vivre et de survivre que d’entrer dans la plantation. Pour cela, elles sont obligées de négocier l’entrée dans la plantation et lors de ces négociations elles vont jusqu’à donner leur corps, à se prostituer parce qu’elles veulent y accéder pour ramasser les champignons qui ont poussé, pour ramasser les produits forestiers. Des violences sur le plan sexuel arrivent dans certaines familles où ces femmes peuvent avoir jusqu’à huit enfants.
Elles ont reçu plusieurs hommes qui rentraient dans la plantation et même dans leur maison. Si leurs filles vont dans les plantations, elles auront la même relation avec l’homme tout simplement parce qu’elles veulent accéder à la plantation pour pouvoir survivre. C’est une immense violence et cela entraîne beaucoup de divorce dans les familles parce que les gens ne peuvent pas continuer à vivre dans une mauvaise ambiance familiale.
De la même manière, elles perdent leur dignité. Elles deviennent de voleuses à vie. Elles vont voler, leurs enfants vont voler, et leur petit-fils sont déjà en train de voler. Ceci n’est pas digne, elles perdent l’espérance. Quand on est arrivées chez elles, elle ne savaient vraiment pas quoi faire. Elles sont sans issue et ce sont aussi des violences auprès d’elles. Ce sont des violences inimaginables. Elles subissent ces violences parce qu’il faut qu’elles apportent de la nourriture à la maison. C’est leur rôle. Il faut qu’elles arrivent à envoyer leurs enfants à l’école. Elles perdent même leur culture. Des plantations ont été installées dans des sites sacrés et cela tombe là où l’on considère le plus et cela faisait partie de ces femmes. Tout a été détruit avec les plantations.
Il y a aussi beaucoup de violence physique. Elles sont menacées d’être incarcérées tout simplement parce qu’elles portent des noix dans leur sac. Ce sont des noix qu’elles doivent consommer, c’est la base de leur alimentation. Dans ces régions-là, la femme ne peut pas avoir une noix de palme chez elle. Si elle en a une, c’est parce qu’elle l’a volée et elle est susceptible d’être condamnée par la justice. Une fois que la police a arrêté l’une d’entre elles, elles sont obligées d’aller là-bas pour pouvoir négocier. Et, c’est toute la famille qui est obligée de se mobiliser, que ce soit de l’intérieur du pays ou de l’extérieur.
C’est la famille qui viendra sauver cette, envoyer de l’argent pour corrompre les agents de la police. Ces femmes n’ont pas l’aide des chefs de village, de leur administration, parce que les administrations sont aussi subordonnées à ces entreprises. La femme se trouve donc abandonné à elle-même. C’est comme ça au Cameroun, au Gabon, en Côte d’Ivoire, dans tous ces pays qui sont autour des agroindustries du palmier à l’huile et de la canne à sucre. Les femmes subissent le même sort, mais elles ne baissent pas les bras.
Stratégies féministes
Nous avons commencé à organiser ces femmes, à leur dire qu’il faut se lever pour se défendre. Elles ne vont pas continuer comme ça. Aujourd’hui ces femmes, à travers les médias, ont la possibilité de dénoncer, de mener des actions, de porter plainte, de construire des réseaux qui sont très importants. Depuis que je suis dans ce webinaire, on a parlé de ce réseautage qui doit commencer au niveau du village et on construit un réseau fort, en niveau local, qui regroupe une région et même au niveau continental. On continue à saisir aujourd’hui l’opportunité de cette rencontre et on se dit qu’un jour on aura ce réseau qui va se construire au niveau mondial et il pourra même porter plus haut à d’autres niveaux les plaintes des femmes pour qu’elles puissent être libérées des tous ces abus, des toutes ces violences.
Les femmes portent plainte, elles organisent des partenariats, des alliances entre elles et c’est cela qui fera en sorte que nous sortons de cette situation. Nous saisissons cette occasion pour dire merci à l’Alliance Informelle Contre les Plantations Industrielles de Palmiers à Huile. Petit à petit nous arriverons à construire cette pyramide de manière que le problème des femmes soit vraiment pris en compte, elles doivent être courageuses et très fermes pour finir avec toutes ces frustrations et toutes ces violences.
Marié Crescence Ngobo
Marié Crescence Ngobo fait partie du Mouvement Mondial pour les Forêts Tropicales de l’Alliance Informelle Contre les Plantations Industrielles de Palmiers à Huile. Elle coordonne le Réseau des Acteurs du Développement Durable (RADD), au Cameroun. Cet article est une transcription de son discours lors du webinaire Luttes anti-systémiques pour vivre sans violence, promu par Capire en partenariat avec la Marche Mondiale des Femmes, Via Campesina et le Mouvement Mondial pour les forêts tropicales le 18 novembre 2021.
Édition par Bianca Pessoa
Révision par Andréia Manfrin Alves
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