Tiré du site des Éditions Syllepse.
Cette opération n’est probablement qu’une étape dans l’accaparement par Vincent Bolloré des moyens de communication et de diffusion des idées et leur soumission à une idéologie nauséabonde. Rappelons la captation de la chaîne iTélé, devenue Cnews, qui avait conduit à sa normalisation idéologique et au départ contraint d’environ cent journalistes qui refusaient la mise au pas. S’en était suivie la même prise en main d’Europe 1, se traduisant là aussi par le licenciement et le départ de 80 journalistes, où désormais des idéologues d’extrême droite sont à l’antenne quotidiennement. Ajoutons à ce panorama les exemples de Paris Match et du Journal du dimanche, où les sociétés des journalistes ont manifesté leurs craintes de ne plus pouvoir exercer correctement leur métier et à l’égard des synergies avec CNews.
Ce Vincent Bolloré, au sujet duquel Eric Zemmour déclarait récemment : « Je sais que, pour en avoir discuté avec lui, Vincent Bolloré est très conscient du danger de civilisation qui nous guette, de remplacement de civilisation… Il a un sentiment de mission, absolument. C’est très noble chez lui. » Cette « mission » est clairement l’installation d’un pôle dominant de diffusion de l’idéologie d’extrême droite en France et la construction de son hégémonie culturelle.
Mais elle comporte également des conséquences économiques dramatiques pour la chaîne du livre. Avec l’opération d’acquisition en cours, la nouvelle entité deviendra le principal distributeur et diffuseur de livres. On peut craindre que, confrontées à cette position dominante, les librairies subissent une réduction drastique de leurs marges, qu’elles se voient également limiter leur liberté et imposer la mise en vente d’ouvrages qu’elles n’auraient pas souhaité voir sur leurs présentoirs.
Face à ces risques de régression culturelle, des auteur·trices publié·es par des maisons d’édition appartenant à ces deux groupes en cours de fusion ont réclamé le droit à la clause de conscience. Un droit déjà reconnu pour les journalistes. Un droit légitime eu égard à l’involution potentielle de leurs maisons d’édition. Les éditions Syllepse reconnaissent déjà ce droit à leurs auteur·trices et exigent son extension à tous les auteur·trices.
On peut également s’inquiéter de l’avenir des salarié·es des deux groupes, notamment ceux et celles qui travaillent dans les plates-formes logistiques. En effet, des opérations capitalistiques de cette ampleur ont souvent conduit à des licenciements mais également à une maltraitance sociale des salarié·es, Vincent Bolloré étant connu pour être un adepte des « mutualisations » et « synergies » tueuses d’emplois.
Dans ce paysage à terme dévasté, dans cette bataille contre la pieuvre financière combinée à une idéologie antidémocratique, le groupe Gallimard[1], aux côtés de diverses maisons d’édition indépendantes, apparaît comme le vaisseau amiral de la résistance à la bollorisation, de la résistance démocratique.
La défense de l’édition indépendante constitue désormais un enjeu démocratique.
Les éditions Syllepse s’associeront à toute initiative qui ira dans le sens de la défense d’une édition pluraliste et indépendante.
Le 19 février 2022
[1] Les ouvrages des éditions Syllepse sont diffusés et distribués par la Sofedis et la Sodis, liées au groupe Gallimard.
Ce n’est pas aux lecteur·trices de payer la lutte contre Amazon
Le 30 décembre 2021, la loi « visant à conforter l’économie du livre et à renforcer l’équité et la confiance entre ses acteurs » a été promulguée. Elle entend imposer aux lecteur·trices des frais de port pour tour achat en ligne de livres. Ces frais seront arrêtés par décret qui n’a pas été publié à ce jour.
Géraldine Bannier (MoDem), rapporteure de la loi, a reconnu qu’« Il est [...] possible que cette mesure [les frais de ports] conduise à des ventes moindres [de livres] ou à des reports vers d’autres marchés ». On appréciera le terme « marchés ». La rapporteure ajoute que la mesure devra faire l’objet d’une évaluation dans deux ans pour bien mesurer ses « répercussions sur la vie réelle ». Et surtout sur le pouvoir d’achat des lecteur·trices.
Au même moment, nous apprenions, grâce en partie aux révélations du syndicat Sud-PTT, auteur de Syllepse, que la Poste, dont l’État est le principal actionnaire, avait passé un accord commercial secret avec Amazon, lui accordant des tarifs postaux avantageux. Face à ces révélations, la Poste, quant à elle, invoque la loi Macron du 30 juillet 2018 sur le secret des affaires. Et quelles affaires alors qu’une centaine de salariés sans papiers qui travaillent pour Chronopost à Alfortville (Val-de-Marne) via ses sous-traitants, et qui ont été exploités pour des salaires de misère durant des mois, se battent pour leur régularisation.
Au secours Molière, Tartuffe est de retour !
Côté cour, LREM, alliée aux Républicains, accable donc les lecteur·trices de frais postaux au prétexte de lutter contre Amazon, côté jardin, elle accorde à l’ogre de la vente par internet ses faveurs financières avec la Poste, sans parler de sa grande tolérance à l’« optimisation fiscale » du géant numérique. Comble, la loi adoptée précise que l’arrêté tient compte des tarifs proposés par les prestataires de services postaux sur le marché ». À quels tarifs postaux fait-on référence : ceux de l’accord secret avec Amazon ou ceux qui sont appliqués au plus grand nombre ?
Pour leur part, les éditions Syllepse exigent :
La levée du secret commercial qui lie la Poste à Amazon ;
Plus généralement, la mise en place d’un tarif postal particulier pour l’envoi de livres qui permette aux libraires d’assumer ces frais de port et ne pénalise pas les lecteur·trices.
Nous n’oublions pas non plus les salarié·es d’Amazon qui se battent pour l’amélioration de leurs conditions de travail et la reconnaissance de leurs droits élémentaires face à une entreprise qui fait montre en permanence d’une rare violence anti-sociale. Le dernier exemple en date étant les manœuvres éhontées dont elle a fait preuve contre les travailleur·euses de son dépôt dans l’Alabama (États-Unis) pour les décourager de se syndiquer.
Paris, le 16 février 2022
Les éditions Syllepse
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