Tiré du blogue de l’auteur.
Informées des violations graves et systémiques des droits fondamentaux à Mayotte, nous, avocates (1), nous sommes rendues sur place du 11 avril au 3 mai dernier.
Les constats faits nous imposent d’alerter sur ce qu’il se passe à Mayotte, et ce y compris en dehors de toute opération de « reprise » (Wuambushu) du territoire.
Nous y avons constaté des difficultés majeures d’accès aux avocats, aux juridictions, laissant 80% de la population de l’île non informée de ses droits et totalement isolée quand elle se trouve être la cible des méthodes expéditives, fréquemment illégales de l’Etat.
Nous y avons ressenti le danger que représente l’exercice de la défense des plus précaires et des étrangers. Mayotte, bien que délaissée par la Métropole, a vu son électorat voter, aux dernières élections présidentielles, à près de 60% pour le Rassemblement National, en faisant LE vivier électoral à séduire pour 2027.
Le climat de haine entre ressortissants français et étrangers (ou perçus comme tels) est permis, voire entretenu par l’Etat.
Climat de haine entretenu d’abord par la création de « sans-papiers ». Sur une île où 40% de la population vit dans des habitats précaires, l’accès à la carte de séjour est, en pratique, extrêmement compliqué. Dématérialisation de la procédure, obligation de produire des justificatifs impossibles à avoir (ex : justificatif de domicile pour une case en tôle) sont d’autant d’entraves à l’obtention de la carte qui matérialiserait un droit au séjour pourtant bien acquis.
Climat de haine entretenu ensuite par des contrôles d’identité à toute heure et en tout lieu, menant à des enfermements et éloignements sans étude préalable de la nationalité (française), du droit au séjour, sans accès à un avocat ni, a fortiori, à un juge. Bien que déjà condamnée par la Cour européenne des droits de l’Homme, la France s’entête et éloigne aveuglément.
Climat de haine entretenu également par la destruction, sans validation préalable par un juge, de quartiers entiers dont certains existent depuis plus de 40 ans. Sans proposition de relogement, sans endroit pour stocker leurs meubles (souvent, leur seule « richesse » économique), des familles se retrouvent mises à la rue, entraînant perte d’emploi et déscolarisation.
Climat de haine entretenu aussi en ne permettant pas un accès égalitaire à la justice. Avec seulement 27 avocats pour plus de 300.000 habitants, les avocats de Mayotte ne peuvent répondre aux demandes de tous. En outre, alors que 80% de la population vit en situation de pauvreté, l’aide juridictionnelle n’est que très difficilement accessible, notamment en raison de sous dotations du tribunal pour le traitement desdites demandes.
Climat de haine entretenu, enfin, par les menaces publiques et la diffusion de discours de haine contre les étrangers, les avocats défenseurs de droits humains, de magistrats rendant des décisions non conformes aux desiderata des extrémistes. Ces appels haineux envers les étrangers ou perçus comme tels, couplés à l’amalgame tant répété de « l’étranger-délinquant », ont mené à l’appel public au meurtre formulé par le vice-président du conseil départemental de Mayotte. Les discours xénophobes se banalisent et sont diffusés sans crainte ni filtre sur les médias de l’île.
Ne nous y trompons pas, l’opération Wuambushu n’a pas créé une période exceptionnelle. Elle n’est qu’une loupe de ce qu’il se passe habituellement à Mayotte. La seule réponse sécuritaire apportée par l’Etat français ne fait que scinder et opposer la population entre elle. De cette manière, « l’ennemi à combattre » étant trouvé, sont laissées à l’abandon les questions des moyens donnés à la santé, à l’éducation, à la justice dans ce département qui demeure le moins doté de France malgré les enjeux majeurs que présente Mayotte.
Signataires
Mihidoiri ALI (Saint-Denis de la Réunion),
Yseult ARNAL (Nantes),
Jean-Marie BIJU-DUVAL (Paris),
Anna BLANCHOT (Brest),
Marjane GHAEM (Avignon),
Agathe JOUBIN (Toulouse),
Stéphanie LEFEVRE (Lyon),
Camille MAGDELAINE (Paris),
Fanny SARASQUETA (Toulouse),
Flor TERCERO (Toulouse).
(1) Avocates adhérentes au Syndicat des avocats de France (SAF) et/ou à l’Association de défense du droit des étrangers (ADDE)
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