Édition du 19 novembre 2024

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Massacre misogyne à Santa Barbara : quand le masculinisme tue

LE PLUS. Vendredi 23 mai, Elliott Rodger, 22 ans, a tué six personnes avant de se suicider, près de Santa Barbara, en Californie. Dans une vidéo postée sur YouTube, le jeune homme a justifié son acte par sa haine des femmes, qu’il souhaitait "punir" pour l’avoir "rejeté". Un massacre qui répond à une idéologie bien connue, rappelle Pauline Arrighi, militante d’Osez le féministe : le masculinisme.

Vendredi soir, Elliot Rodger, un jeune homme de 22 ans, a tué six jeunes personnes, dont deux femmes, et en a blessées sept autres. Contrairement à ce que l’on lit dans la plupart des médias, cet homme n’est pas fou, cette tuerie n’est pas un cas isolé. 
 
Tous les jours, des femmes sont victimes du masculinisme
 
C’est une manifestation parmi d’autres d’une haine contre les femmes qui répond à une idéologie largement observée et connue : le masculinisme.
 
Pourquoi un homme qui tue des femmes serait-il fou ? Il n’a jamais été démontré que le syndrome d’Asperger, dont il serait atteint, entraîne des accès de violence extrême. Et surtout, tuer des femmes est-il si exceptionnel ? Pourtant, le Conseil de l’Europe a publié des chiffres selon lesquels la première cause de mortalité pour les femmes âgées de 16 à 44 ans est d’être tuée par son conjoint, compagnon ou ex.
 
Parfois, ce massacre généralisé prend une tournure plus spectaculaire. On se souvient du massacre de Marc Lépine, en 1989, contre les élèves ingénieures qui voulaient "exercer un métier d’homme".
 
Ou du massacre commis par un élève du collège de Winnenden, en Allemagne, en mars 2009, qui a assassiné 11 élèves féminines et une professeure.
 
Il est temps de regarder la réalité en face : tous les jours, des jeunes filles et des femmes sont les victimes de la haine misogyne. Elles sont humiliées, violées, torturées. Tuées.
 
Le féminicide n’est pas un "coup de folie meurtrière"
 
Quand un homme tue des femmes par haine de leur sexe, ce n’est pas un "coup de folie". C’est un féminicide.
 
"Je massacrerai toutes les filles du bâtiment, et je prendrai un grand plaisir à le faire."
 
La raison invoquée est un sentiment d’injustice contre les femmes qui "ne veulent pas de (lui)". Elles ne veulent pas coucher avec lui, il les tue. Le tueur s’attend à ce que les femmes acceptent ses avances. C’est un du. Une femme qui refuse un acte sexuel mérite la mort.
 
Le tueur perçoit donc les femmes comme des créatures à sa disposition, disponibles sexuellement et dont le "non" n’est pas envisageable.
Et on continue de le prendre pour un fou...

Comme si les femmes étaient libres de dire "non", de choisir quand et avec qui avoir des relations sexuelles. Que dire de ces hommes qui harcèlent des femmes, qui les violent, qui les agressent, en un mot qui méprisent leur consentement et qui les considèrent comme des biens dont il faut s’emparer : tous des fous, eux aussi ?
 
Le féminicide n’est pas un "coup de folie meurtrière" : c’est la violence machiste à son stade ultime. Elle ne veut pas coucher avec moi ? Je m’en empare et je la détruis. Par le viol, par le meurtre. Une femme n’a pas le droit de dire "non".
 
Quand elle ne répond pas aux avances d’un homme, si elle quitte son compagnon ou si elle le trompe, une femme peut être tuée. On y verra toujours un "coup de folie" ou un "drame conjugal". Or les femmes sont le plus souvent tuées pour une seule et même raison : elles refusent de se laisser posséder par un homme. Elles quittent un époux, elles trompent un amant, elles fuient un ex, elles refusent des avances. Elles montrent à un homme que leur corps et leur sexe ne lui appartiennent pas, tout simplement.
 
Une domination sans partage du pouvoir masculin
 
En acceptant de vivre dans un bain culturel où les femmes sont constamment montrées comme des objets à saisir, des corps à posséder, disponibles, perpétuellement consentantes et soumises, ce n’est rien d’autre que cette idéologie meurtrière qu’on alimente.
 
Et en effet ce massacre n’est ni un acte isolé, ni un acte insensé. Il est le fruit d’un idéologie connue depuis plusieurs décennies déjà : le masculinisme. Courant idéologique connu et étudié, il a été défini ainsi par la chercheuse Michèle Le Doeuff dans les années 1990 :
 
"Un particularisme, qui non seulement n’envisage que l’histoire ou la vie sociale des hommes, mais encore double cette limitation d’une affirmation : il n’y a qu’eux qui comptent et leur point de vue." [1] 
 
Plus précisément, le masculinisme est une réaction contre le féminisme : les femmes seraient "allées trop loin", elles ont déjà acquis l’égalité, voire elles dominent la société par des moyens plus ou moins "occultes". Il faut revenir en arrière pour préserver le sort des hommes. En sachant que la condition des hommes défendue par les masculinistes est celle qui existerait sans les apports du féminisme : une domination sans partage du pouvoir masculin, avec des hommes qui imposent leur autorité sur des femmes réduites au rang d’esclave sexuelle et de mère porteuse.
 
Le masculinisme n’est pas l’équivalent du féminisme : le féminisme travaille à l’émancipation des femmes pour qu’elles atteignent l’égalité en droits et en dignité avec les hommes. Le masculinisme vise à la suprématie des hommes sur les femmes. Chaque avancée féministe vers l’égalité est dénoncée comme une injustice qu’il faut punir.
 
"Elles verront qui est supérieur, qui est le mâle alpha"
 
Elliott Rodger fréquentait assidûment une communauté masculiniste sur Internet, et y participait activement avec des écrits où il présente les femmes comme des biens à disposition, auxquelles, en tant qu’homme, il aurait droit. De façon typiquement masculiniste, il se pose en victime des femmes. Victime du fait qu’elles le rejettent, donc victime du fait que les femmes puissent formuler un refus, avoir leur propre désir sexuel, choisir leurs partenaires... C’est ce libre choix des femmes qui est vu comme un "crime" qui doit être puni de mort.

Le tueur se targue explicitement d’une supériorité sur les femmes : "Elles verront qui est supérieur, qui est le mâle alpha". Ces "salopes gâtées" prétendent choisir avec qui elles couchent et avec qui elles ne couchent pas ? Il faut les remettre à leur place : les ramener à la douce époque où le viol n’avait pas encore été criminalisé à cause de l’influence de ces féministes castratrices.
 
"Je ne peux pas tuer toutes les femmes de la Terre, mais je peux frapper un immense coup qui les laissera dévastées, atteintes au plus profond de leur cœur vicié. Je m’attaquerai précisément aux filles qui représentent tout ce que je déteste dans la féminité : je m’attaquerai à la sororité qui compte les filles les plus sexy de l’UCSB."
 
Elliott Rodger regrette de ne pas pouvoir commettre un féminicide global. Il choisit donc des femmes "emblématiques", et les tue pour que toutes les autres soient terrorisées, avec le but avoué de leur "faire peur".
 
La haine des femmes provoque aussi des massacres
 
Il tue des femmes parce que femmes, c’est donc un tueur misogyne. C’est en outre un terroriste d’un genre encore peu connu : un terroriste masculiniste.
 
Il est temps de regarder les choses en face : la haine des femmes ne provoque pas qu’une violence quotidienne et des meurtres domestiques. Elle provoque aussi des massacres de masse et des actes de terrorisme meurtrier. Et le masculinisme est le système de pensée qui légitimise cette violence extrême. Il est temps de le reconnaître pour ce qu’il est : loin du féminisme qui revendique l’égalité par des moyens pacifiques, le masculinisme est une idéologie intrinsèquement haineuse et meurtrière.
 

"Le féminisme n’a jamais tué personne. Le machisme tue tous les jours."
(Benoîte Groult)

 

Note
 
[1] Cité dans "Contre le masculinisme, guide d’autodéfense intellectuelle", par le collectif Stop masculinisme (http://stop-masculinisme.org)

Pauline Arrighi

Militante Osez le féminisme !

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