Ce mur, c’est la crise qui nous est tombée dessus. Cette crise, on nous l’a présentée comme un simple accident de parcours, le résultat d’erreurs commises par quelques institutions ou individus : certaines banques un peu trop rapaces, quelques prêteurs immobiliers aventureux, etc. Encore là, on nous a menti !
En fait, la crise actuelle est le résultat de dynamiques inhérentes au système capitaliste et plus particulièrement, des contradictions de la finance internationale au 20e siècle. Elle est symptomatique de l’échec d’un système qui repose sur l’exclusion des travailleurs et des travailleuses des processus décisionnels politiques et économiques. Un système qui n’en a que pour les profits d’une poignée qui s’enrichit continuellement sur le dos des autres, qui voient de leur côté leurs conditions de vie se durcir sans cesse.
En jonglant avec les statistiques et en les citant hors contexte, on commence ces jours-ci à nous parler d’une supposée « relance » et d’une sortie de crise prochaine, comme si celle-ci n’avait été qu’un mauvais moment à passer. Mais de quelle relance parle-ton ? Certainement pas celle de l’emploi ou des salaires ! La seule relance envisagée par les grands bonzes qui mènent le pays et leurs économistes de service, c’est celle des profits, de la consommation tous azimuts et de l’endettement : on espère que la machine va simplement « repartir comme avant ».
Pour les chômeuses et chômeurs, pour les milliers de travailleuses et de travailleurs qui ont perdu et perdent leur emploi, la crise n’a fait qu’empirer une situation déjà difficile. Elle signifie une plus grande pauvreté et une augmentation de la précarité du travail.
Déjà, avant la crise, une majorité de travailleuses et travailleurs n’avait pas accès aux prestations d’assurance-chômage en cas de perte d’emploi. Présentement, ce sont pas moins de 56% des chômeuses et chômeurs qui sont excluEs du régime ; cela, alors que la crise nous rentre dedans et que les surplus à la caisse de l’assurance-chômage se comptent en milliards de dollars !
Depuis 20 ans, les gouvernements ont tout fait pour détruire le régime d’assurance- chômage que nous avions obtenu au milieu du siècle dernier grâce à de dures luttes. Au début des années 1990, au moment de la dernière récession d’envergure, il y avait encore 83% des chômeuses et chômeurs qui avaient droit aux prestations. Mais d’un système censé être universel, les conditions d’admissibilité et les règles du régime font désormais en sorte que la majorité des cotisantes et cotisants est laissée sur le pavé. Et la minorité qui réussit à avoir accès au régime doit composer avec une durée des prestations réduite, un montant insuffisant, des délais interminables et toutes sortes d’embûches administratives.
La crise actuelle fait ressortir encore plus clairement les déficiences du régime et la nécessité d’une réforme en profondeur, et pas seulement quelques petites « réformettes » temporaires qui sont là pour donner l’impression qu’on s’intéresse aux chômeuses et chômeurs. Ce n’est pas notre crise, mais c’est nous qui la payons !
Les effets de la crise se font sentir au Canada comme dans le reste du monde. Partout, ce sont les travailleuses, les travailleurs, les sans-emplois et les plus pauvres qui écopent. À l’échelle planétaire, le Bureau international du travail estime le nombre de chômeuses et de chômeurs à plus de 240 millions. Le même organisme calcule que le nombre de travailleuses et travailleurs pauvres, qui rapportent moins de 2$ par personne et par jour dans leurs familles respectives, pourrait bientôt atteindre 1,4 milliard, soit près de 45% de la population active mondiale ayant un emploi.
Au Canada, le nombre de prestataires d’assurance-chômage se chiffrait à près de 800 000 en novembre 2009 - une augmentation de près de 75% sur 18 mois. Il s’agit du nombre le plus élevé depuis que le gouvernement compile ce type de données (1997). Et là, on ne parle que de celles et ceux qui ont réussi à en avoir…
Les pertes d’emplois dans le secteur privé, en particulier dans les secteurs de la fabrication et la construction qui offrent souvent les meilleurs jobs, ont pris l’allure d’une hécatombe. D’octobre 2008 à juillet 2009, ce sont pas moins de 436 000 emplois qui y sont disparus. La seule « création d’emplois » qui se fait, ce sont des jobs comme travailleurs autonomes ou à temps partiel, précaires et moins payants, dans des secteurs comme les services.
Pour les travailleuses, les travailleurs et les sans-emplois, la crise se fait sentir de bien d’autres façons. Partout, on exige de nous des reculs salariaux, des coupures dans les fonds de pension, et encore plus de flexibilité. Celles et ceux qui restent après une vague de mises-àpied doivent travailler pour deux. Il faut être prêt à travailler n’importe où, n’importe quand, n’importe comment - cela, pour des salaires toujours plus bas ! Et pendant ce temps, le coût de la vie ne cesse d’augmenter, quoiqu’en disent ceux qui nous parlent de « déflation ». Ainsi, depuis le début de la crise en septembre 2008, le coût du panier d’épicerie a augmenté de plus de 4%. Pas étonnant que l’endettement des ménages atteigne un sommet historique et qu’il y ait de plus en plus de gens contraints de faire appel aux banques alimentaires.
Tout cela contribue à accroître les inégalités qui existaient déjà. Plus personne n’est à l’abri du chômage et de la précarité. Bref, on se retrouve dans une situation où bizarrement, ce sont ceux et celles qui ne sont pas responsables de la crise qui doivent en porter le plus lourd fardeau. Il y a quelque chose de profondément vicié dans un système où celles et ceux qui produisent toutes les richesses sont celles et ceux qui écopent le plus, alors que les autres qui se contentent d’engranger leurs bénéfices trouvent le moyen de s’en sortir.
Des « solutions » qui ont l’air de tours de passe-passe
Avec leurs plans de relance, l’objectif des gouvernements est de revenir au plus vite à la situation qui prévalait avant la crise, au même vieux système qu’on a toujours connu, alors que c’est justement ce système-là qui l’a produite. Pour sortir de la crise, les gouvernements ont décidé de venir en aide à ceux-là même qui l’ont créée, plutôt qu’à celles et ceux qui la subissent. Alors que pendant des années, on nous a dit qu’il n’y avait pas d’argent pour investir dans les services publics comme la santé et l’éducation, il n’y a maintenant plus de limite à l’utilisation des fonds publics pour venir en aide au grand capital. C’est drôle, mais il n’est plus question de « déficit zéro » quand vient le temps de sauver la peau des bandits à cravate et de leurs institutions ! Les gouvernements veulent maintenir le statu quo, mais pas nécessairement pour tout le monde. Le statu quo qu’ils privilégient, c’est celui des plus riches. Pour ces derniers, l’après-crise, ce sera business as usual. Mais pour la majorité de la population, on réserve les pires attaques aux conditions de vie et de travail. On l’a bien vu avec le plan de relance des trois grands de l’auto, où le gouvernement conservateur de Stephen Harper a profité du fait qu’il allait accorder des sommes faramineuses à GM pour exiger des syndicats qu’ils renégocient à la baisse leurs conventions collectives - cela, deux fois plutôt qu’une.
En ce qui concerne l’assurancechômage, c’est la même logique qui prévaut. Après des décennies de coupures, le gouvernement Harper a annoncé de petits assouplissements, des mesures temporaires et spécifiques comme la prolongation de cinq semaines de la durée des prestations ou encore l’aide à la formation, mais qui ne règlent en rien le problème d’accessibilité au régime. Le projet de loi C-50, adopté l’automne dernier avec l’appui honteux du NPD, est même venu accentuer les déficiences du régime, en renforçant notamment les préjugés contre les « mauvais chômeurs » - ceux et celles qui ont été victimes du chômage trop souvent au cours des cinq dernières années et qui n’ont pas droit à la prolongation des prestations.
Même si certains ténors du patronat ont évoqué l’idée que le régime devrait peut-être être bonifié afin que les centaines de milliers de gens qui perdent leur emploi puissent quand même participer au cycle de la consommation et contribuer à une éventuelle relance, les conservateurs ne veulent pas en entendre parler. Harper et sa bande savent que le régime actuel d’assurancechômage a fort bien servi les intérêts du grand capital, en forçant les travailleuses et travailleurs à accepter des conditions de travail à la baisse, et ils tiennent à ce que ça reste comme ça une fois que la crise sera passée. De son côté, l’opposition libérale a organisé un gros « show de boucane » au printemps dernier en exigeant du gouvernement Harper l’établissement d’une norme unique d’admissibilité pour toute personne ayant accumulé 360 heures assurables. Le chef du Parti libéral, Michael Ignatieff, ne l’a toutefois proposé que comme une mesure temporaire, qui ne devrait rester en vigueur que pour la durée de la crise. Mais alors qu’il était en position de faire tomber le gouvernement Harper et d’obtenir gain de cause pour les sansemplois, le chef libéral s’est finalement écrasé, en troquant sa revendication déjà insuffisante contre la mise sur pied d’un comité bipartite, où libéraux et conservateurs étaient supposés s’entendre sur une proposition de « bonification » du régime. Sauf que pendant ce temps-là, le temps a passé, la crise s’est poursuivie, le nombre de chômeuses et chômeurs a continué d’augmenter, mais la majorité se voit toujours exclue du régime. Il est clair que la solution aux problèmes que l’on vit ne se trouve pas du côté des partis politiques qui se font la lutte pour obtenir nos votes. C’est à nous de déterminer quels sont nos besoins, nos revendications et de s’organiser pour les gagner. Ce pourquoi nous luttons À chaque fois qu’un groupe social, que des travailleuses, des travailleurs, des étudiantes, des étudiants ou des sans-emplois se battent pour faire valoir leurs droits, les gouvernements et les chefs d’entreprise répondent que la rivière est à sec, que l’État n’a pas assez d’argent pour satisfaire leurs revendications et qu’il ne faut surtout pas encourir de déficit (sic). Avec la crise, on voit bien que tout ce discours était de la frime : les gouvernements savent toujours où trouver l’argent quand ils en ont besoin. De f a i t , ils n’hésitent jamais à fouiller dans nos poches pour subventionner les banques et les grandes entreprises. Celles-ci ne se gênent pas pour exiger de l’aide, alors pourquoi nous on se gênerait pour exiger le droit de travailler et de vivre dignement ? La crise actuelle nous touche de multiples façons. Il faut donc mettre de l’avant des revendications qui répondent à nos besoins à toutes et à tous. Nous avons le droit de vivre, et non seulement de survivre ! C’est pourquoi nous devons lutter immédiatement pour :
o Un revenu décent pour tout le monde, et sans condition. Cela inclut l’augmentation immédiate des prestations de tous les régimes de soutien du revenu pour qu’elles atteignent au moins le seuil de pauvreté. Les reculs salariaux, c’est assez ! Luttons pour la pleine indexation au coût de la vie de tous les salaires ouvriers !
– o Pour une éducation publique, gratuite, laïque, de qualité, accessible et non-discriminatoire. Nous nous opposons notamment à toute hausse des frais de scolarité et des frais afférents imposés par les institutions scolaires.
– o Un logement pour toutes et tous ! Le logement est un droit inaliénable. Non aux expulsions de locataires, luttons pour un réinvestissement massif dans le logement social !
– o Le droit à un travail épanouissant, qui nous permette de vivre décemment et qui réponde à nos aspirations. Et à défaut d’un tel travail, un régime d’assurance-chômage universel et complet, qui réponde aux besoins de toutes les personnes sans emploi. Pour ce faire, le MASSE (Mouvement autonome et solidaire des sans-emploi) propose :
– o Un seuil unique d’admissibilité de 350 heures.
– o Un plancher minimum de 35 semaines de prestations.
– o Un taux de prestations d’au moins 60%.
– o L’abolition des exclusions de plus de six semaines.
L’heure est à la solidarité et à la lutte !
Il est temps que l’on rompe avec le pessimisme et le fatalisme qui caractérisent trop souvent les divers mouvements sociaux.
Quand on ne fait rien, on ne gagne rien, et cela ne profite qu’à ceux qui en ont déjà bien assez ! On a besoin d’un mouvement qui prenne l’offensive et qui se batte pour les besoins des travailleuses, des travailleurs et des sans emplois.
Ça ne sert à rien d’espérer que d’autres le fassent à notre place : c’est à nous de prendre notre sort en mains et de construire notre propre mouvement de lutte pour faire avancer nos revendications, comme l’ont fait les milliers de chômeurs qui se sont joints à la Marche sur Ottawa il y a 75 ans. C’est ce que propose le Mouvement autonome et solidaire des sansemploi.
Que dans cette année 2010 où l’on nous promet la « fin de la crise », et toute l’année durant, nous manifestions notre solidarité, entre toutes celles et tous ceux qui en sont victimes : les travailleuses et travailleurs que l’on disait « privilégiéEs » parce qu’ils avaient des jobs qu’on pensait stables et plus payantes ; les femmes qui se tuent à l’ouvrage et les jeunes qui sont « barouettés » d’un emploi précaire à un autre ; les chômeuses, les chômeurs et les personnes assistées sociales, qu’un certain discours ose encore présenter comme des « profiteurs », alors que les vrais profiteurs, qui sont parfois aussi de vrais bandits, se pavanent dans leurs restaurants de luxe et leurs bureaux feutrés.
On a besoin de tisser des liens de solidarité durables entre tous les groupes qui défendent nos intérêts. Il faut unir nos forces, au Québec et dans l’ensemble du Canada, occuper toutes les tribunes pour promouvoir nos revendications, sortir dans la rue, se faire voir et se faire entendre et pourquoi pas ?, ébranler le train-train quotidien de ceux pour qui la crise n’est qu’une autre bonne « opportunité d’affaires ».
Aucune solution durable ne peut venir du pouvoir capitaliste en place. C’est à nous d’agir pour prendre en main le contrôle de l’économie et de ce qui nous appartient. Plutôt que d’attendre un salut qui ne viendra jamais lors d’une prochaine élection, on doit mettre de l’avant nos revendications et agir maintenant.
Les actions que nous mènerons donneront le signal, à toutes celles et tous ceux qui voudront bien l’entendre, à l’effet que le temps de mordre est arrivé et qu’on a bien l’intention de se battre pour vivre et travailler dignement ! Leur crise, on ne la paiera pas !