18 janvier 2013 | Mediapart.fr
Ces déclarations d’un des plus hauts responsables du pays qui a fait de la lutte contre le terrorisme une de ses priorités politiques majeures depuis douze ans sont attendues, mais elles sont relativement isolées. Barack Obama, par exemple, est resté en retrait sur ce sujet depuis une semaine. Quant aux actions américaines sur le terrain, elles demeurent éminemment discrètes. Ce qui ne veut pas dire qu’elles sont inexistantes.
Après une décennie qui nous avait habitués à voir Washington intervenir aux quatre coins de la planète, qu’il s’agisse d’envoyer des dizaines de milliers de soldats au Moyen-Orient ou de procéder à des tirs de missiles depuis des drones, la première mandature d’Obama a marqué un changement de cap. Si le recours aux forces spéciales et aux engins aériens sans pilote sont toujours d’actualité, les expéditions sous la bannière étoilée semblent des reliques. L’intervention en Libye l’a illustré : après la destruction des capacités anti-aériennes du régime de Mouammar Kadhafi à distance grâce à des moyens essentiellement américains, les États-Unis se sont mis en retrait, laissant le soin à d’autres d’effectuer une partie des bombardements, leur guidage au sol, et la liaison avec les rebelles. C’est ce qu’Obama avait qualifié de « leadership depuis l’arrière ».
Aujourd’hui, au Mali, les Américains ont approuvé l’opération déclenchée depuis une semaine par Paris, mais ils ne se sont pas montrés particulièrement enthousiastes et n’ont officiellement mis à disposition de la France que deux avions de transport et des « moyens de logistique et de renseignements ». On sait également que des avions ravitailleurs américains ont appuyé les missions de bombardement des chasseurs français. Ostensiblement, Washington semble dire : « Ce n’est pas notre guerre. » Pourtant ce n’est pas tout à fait le cas.
Quand on soumet à un conseiller de l’Élysée, informé heure par heure de la crise malienne, l’idée que les Américains semblent se laver les mains des opérations françaises, il réagit immédiatement : « Non, ce n’est pas vrai. Ils nous soutiennent à cent pour cent. Voyez les déclarations de Leon Panetta ! » Puis, après une courte pause : « Il y a d’autres moyens d’aider qui sont plus efficaces que des soldats au sol. » Et enfin : « L’intervention des États-Unis n’est pas forcément souhaitable. » Autrement dit : les Américains assistent les Français, mais il vaut mieux ne pas en faire trop de publicité.
Drones et forces spéciales américaines sont bien présents
C’est également l’approche souhaitée par Obama. Le retrait des soldats d’Irak et bientôt d’Afghanistan, de même que la position de recul en Libye, correspondent au souhait du président américain de réparer les erreurs commises par son prédécesseur, mais aussi de remiser au placard cette image de « gendarme du monde ». Ainsi que le répètent à l’envi les responsables de l’administration Obama, comme ce diplomate en poste en Europe : « Nous ne nous retirons pas de deux conflits longs, violents et compliqués en terre musulmane, pour en reprendre un autre en charge dans le même genre de pays. On a déjà donné ! » De plus, les États-Unis sont toujours la cible privilégiée de tous les djihadistes de la planète, et Washington a enfin compris, après les années Bush, que ce n’était pas la peine d’en rajouter.
Dans le même temps, il est difficile de croire que les États-Unis souhaitent s’abstraire de ce qui se passe au Mali. L’Africa Command (AFRICOM), la branche du Pentagone en charge du continent, a été spécifiquement créée en 2007 pour surveiller et s’occuper de la menace d’Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI) et consorts. Elle supervise également l’Initiative trans-saharienne de contre-terrorisme, financée à hauteur de plus de 500 millions de dollars par le Congrès depuis 2005, dont la branche militaire est intégrée à l’opération Liberté immuable.
L’opération Enduring Freedom-Trans Sahara a consisté à former (et équiper) les troupes de neuf pays de la région aux méthodes de contre-terrorisme et de sécurisation des frontières, mais elle a également déployé de 130 à 170 soldats américains des forces spéciales dans le désert sahélien. Il s’agissait, selon un colonel de l’AFRICOM interrogé en 2010, « de petites unités (moins de douze personnes), parlant les langues locales et vivant sur le terrain, souvent dans des villages au cœur du Sahel, des mois durant. Elles effectuent un travail de renseignement, forment des soldats ou des milices locales, financent des projets de développement (puits, routes, vaccinations...) et s’efforcent de contrebalancer l’influence des réseaux terroristes ».
Selon le New York Times, ces efforts sont aujourd’hui sérieusement questionnés, car le Mali était considéré comme un partenaire exemplaire de ce programme. Or de nombreux soldats maliens d’origine touareg, formés par les Américains, ont fait défection pour rejoindre les rebelles, et le coup d’État du 22 mars 2012 fut mené par le capitaine Sanogo, ancien élève du programme... Il n’empêche : depuis cinq ans, l’AFRICOM a développé des réseaux de renseignements dans le Sahel et dispose de moyens toujours actifs : la très grosse centaine de forces spéciales et plusieurs drones d’observation et de combat.
Un porte-parole de l’AFRICOM n’a pas souhaité répondre aux questions de Mediapart « conformément à notre politique de ne jamais divulguer d’informations sur les activités des forces spéciales ». Impossible également de connaître le nombre de drones affectés à cette région, mais sachant que l’armée américaine possède plus de 7 500 engins aériens sans pilote (moins de 200 sont des Predators ou des Reapers, capables de tirer sur des cibles), on peut facilement imaginer que plusieurs dizaines opèrent au-dessus du Sahel. Le conseiller élyséen ne veut pas en donner le nombre, mais il ne réfute pas leur présence.
« Appui logistique et de renseignements » : la terminologie employée par les Français et les Américains pour évoquer le soutien des seconds aux premiers est bien commode. Elle permet de donner l’impression que les États-Unis ne sont pas aussi présents que les contingents africains prévus, et à peine plus que les autres Européens, alors que leur appui est important, surtout en matière de drones, dont l’armée française manque cruellement. Cette discrétion arrange tout le monde quand il s’agit d’éviter la notion d’une guerre de l’Occident en Afrique qui ferait des miracles en matière de propagande.