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Politique d’austérité

Entrevue avec Yann Tremblay-Marcotte, Coordonnateur du Front commun des personnes assistées sociales au Québec / Porte-parole de la coalition Objectif dignité

Lutte face au projet de loi 70, 623 $ ça ne se coupe pas !

Publiée jeudi 25 février 2016 | Date de l’entrevue : 15 janvier 2016
Marie-Andrée B. : rédactrice indépendante

Depuis juillet 2015, les nouvelles dispositions de la loi sur l’aide sociale accentuent davantage la pression sur des personnes qui vivaient déjà dans la misère. Les plus mal en point, comme les personnes aux prises avec des problèmes de toxicomanie, vivant dans la rue, ne peuvent même plus entreprendre de thérapie ; premier pas essentiel de toutes formes de réinsertion. Tous les prestataires subissent désormais des coupures drastiques pour la moindre infraction considérée comme une fausse déclaration par le ministère. Des pénalités sont aussi prévues envers ceux qui partagent un logement et certains devront vendre leur maison.

Le projet de loi 70 va encore plus loin avec son programme Objectif Emploi. Les dirigeants du ministère de l’Emploi et de la Solidarité sociale voudraient forcer les nouveaux demandeurs d’aide sociale à suivre des mesures d’employabilités et à accepter des offres d’emplois dits « convenables » sous peine de se faire couper jusqu’à la moitié de leur chèque ! Faire des économies de bouts de chandelles sur le dos de gens qui ont déjà un parcours de vie difficile ne représente pas un véritable projet de société quoi qu’en disent messieurs Hamad et Blais !

La coalition Objectif Dignité, composée de 20 groupes communautaires qui œuvrent avec les personnes en situation de pauvreté, dénonce vivement cette réforme. Appuyée par 200 autres organismes, cette mobilisation citoyenne demande au ministère de retirer le projet de loi 70 et de bonifier les prestations d’aide sociale pour tous. Un des porte-parole de la coalition, Yann Tremblay-Marcotte, coordonnateur du Front commun des personnes assistées sociales du Québec (FCPASQ), a accepté de répondre à mes questions.

1. Comment l’organisme vient-il en aide aux assistés-sociaux ? Que pouvez-vous faire pour les personnes qui subissent une sanction du ministère (une coupure ou une amputation du chèque) ? Peuvent-elles compter sur un représentant de votre organisme pour les accompagner dans leur démarche de demande de révision, ou de recours au Tribunal administratif du Québec (TAQ) ?

On est le plus gros regroupement de personnes assistées sociales au Québec. Nous réunissons, au sein d’une même organisation, une trentaine de groupes de personnes assistées sociales. Les salariés provenant de ces différents groupes offrent un service d’accompagnement aux prestataires. Plusieurs ont une formation en droit, mais ne sont pas nécessairement des avocats. Ils connaissent bien la loi sur l’aide sociale, souvent mieux que les agents eux-mêmes. Ces derniers ont beaucoup de dossiers, peu de formation et font souvent des erreurs. Si les prestataires ne connaissent pas les ressources qui peuvent leur venir en aide, ils peuvent difficilement réagir pour faire rectifier la situation.
La majorité des cas litigieux peuvent se régler par une demande de révision au Centre local d’emploi. Lorsque cette première démarche échoue, la personne peut faire appel au Tribunal (TAQ), et à cette étape du processus, il est recommandé d’être représenté par un avocat. Nous dirigeons les personnes à des avocats qui se spécialisent dans la défense des assistés sociaux. Nous pouvons également intervenir en appelant directement des responsables hauts placés : la Protectrice du citoyen, le sous-ministre, l’attaché politique du ministre, etc. Le poids de l’organisme peut faire bouger les choses.

2. Quel est le rôle principal du Front commun ?

Depuis 40 ans, le Front commun favorise une vie démocratique majoritairement représentée par des personnes assistées sociales. Elles peuvent prendre des décisions, choisir les orientations de l’organisation, être présentes sur la place publique et témoigner de ce qu’elles vivent.
Nous avons aussi une fonction politique, nous essayons de faire changer la loi à l’aide sociale et de réagir à ce que le gouvernement tente de nous imposer. Nous organisons différentes activités de sensibilisation : des actions dérangeantes et de visibilité dans les médias.

3- Parmi les nombreuses sanctions du ministère (coupure ou amputation du chèque) combien se révèlent-elles de véritables fraudes ?

La statistique réelle des fraudes à l’aide sociale se situe autour de 3 %. Il y a des moyens importants qui sont mis en place par le ministère pour détecter les fraudes : nombre élevé d’enquêteurs, permission d’enquêter sur la personne (comme demander les relevés bancaires des 5 dernières années). Se rajoute à ça, les dénonciations qui ont lieu, quelques fois par des proches.
Beaucoup de gens se font « pogner » pour de fausses raisons. La loi de l’aide sociale est tellement complexe et les moyens de surveillance tellement grands que l’on peut facilement poser des actes considérés comme de la fraude sans s’en rendre compte. Par exemple, j’ai eu connaissance d’un cas cette semaine, où une grand-mère donnait 50 $ par mois à son petit-fils depuis des années : le ministère demande au jeune homme de rembourser les montants reçus ! Évidemment, la grand-mère et sont petit-fils « capotent ». N’importe qui appellerait ça de la solidarité, mais pour le Ministère, c’est un revenu non déclaré.
De plus, les nombreuses erreurs des agents de l’aide sociale font gonfler le nombre de fraudes comptabilisées. Si le prestataire ne fait pas reconnaître l’erreur en faisant appel, la décision erronée du ministère est appliquée. Pour le ministère, le prestataire est coupable jusqu’à preuve du contraire.
En fait ce serait instructif de connaître le pourcentage de fraude à l’impôt et dans le milieu de la construction. Est-ce qu’il y a autant de moyens pour détecter ces fraudes-là qu’à l’aide sociale ?

4- La plupart des gens considèrent qu’il faut mettre les assistés-sociaux à contribution comme tout le monde. Y-a-t-il vraiment autant d’emplois en attente, qu’il y a de « B.S. » pour les occuper ?

Selon le Comité consultatif de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale, il y avait au Québec, en 2014, 41 700 postes vacants pour 340 300 chômeuses et chômeurs, soit un poste pour 8,2 personnes en chômage. C’est-à-dire que les personnes assistées sociales sont en compétition avec beaucoup de personnes pour les mêmes emplois. Puisque que les employeurs « ont le choix », ils demandent souvent une plus grande formation que c’est nécessaire. Presque tous les emplois demandent un secondaire 5 ! D’autre part, quel employeur est prêt à engager une personne qui a été à l’aide sociale depuis 2,5, 10 ans ? Presque personne ! C’est une discrimination basée sur la condition sociale qui existe réellement. Et là, imaginons que cette personne soit handicapée, qu’elle ait 50 ans et plus, qu’elle soit un immigrant arrivé récemment, ou qu’elle ait simplement un nom « d’immigrant »...

5. Selon les dires du ministre, le projet de loi 70 vise à permettre une meilleure adéquation entre la formation et l’emploi ainsi qu’à favoriser l’intégration en emploi. Croyez-vous que le gouvernement va payer des formations de haut niveau dans les domaines où il y a une demande ?

Il y a beaucoup d’emplois qui ne seront pas accessibles, car ils demandent un haut niveau de spécialisation. Le ministère ne va pas payer de longues formations. Ce qu’ils cherchent c’est une sortie rapide de l’aide sociale en répondant aux besoins du marché du travail. Tu veux être coiffeur ? Non, le ministère dit qu’il y en a trop dans la région : essaie plutôt d’être plombier. Alors, on oublie ça les formations de haut niveau.
Dans le documentaire Prochaines sorties barrées, un homme témoigne qu’il a un BAC en graphisme, et qu’il n’arrive pas à se trouver un emploi, car sa formation date de plusieurs années. Le ministère considère que cette personne est déjà formée et qu’elle devrait être en mesure de se trouver un emploi. Pourtant, malgré plusieurs tentatives, il n’y arrive pas.

6- Les mesures d’austérité qui ont touché l’ensemble des services de l’État ont été dénoncées par les syndicats du secteur public. Cette mobilisation va-t-elle se poursuivre pour dénoncer le projet de loi 70, lorsque chaque secteur aura réussi à négocier une entente avec le gouvernement ?

À la fin des années 1990, les syndicats nous ont appuyés de façon significative au sein du mouvement qui a mené à la Loi visant à lutter contre la pauvreté et l’exclusion sociale.
Cet automne, les syndicats ont été bien occupés avec les luttes du secteur public, mais aussi dans celle contre l’austérité avec la coalition Main Rouge. On aimerait qu’ils en fassent davantage, puisqu’ils ont plus de ressources et qu’ils ne devraient pas négliger les sans-emplois.

7- Quelles alternatives le FCPASQ propose-t-il ?

Pour le FCPASQ, la visée c’est un Revenu social universel garanti. Un revenu qui garantirait à tout le monde de sortir de la pauvreté. Nous sommes en route vers cet idéal. Nous réagissons à toutes propositions gouvernementales qui vont à l’encontre de notre projet de société. Depuis plusieurs années, nous demandons au gouvernement : un chèque par personne [pas de chèque conjoint] et une augmentation des revenus de travail permis pour les prestataires. On revendique un carnet de réclamation [gratuité des médicaments, des examens des yeux, des lunettes et des soins dentaires] pour les travailleurs pauvres. Il y en a beaucoup qui font des allers-retours entre l’aide sociale et des emplois précaires. Ceux-ci doivent refaire une demande d’aide sociale à chaque fois mais pour obtenir différents soins, il faut être prestataire depuis un certain temps déjà…

8- Comment envisageriez-vous une économie participative ?

Je ne sais pas si vous faites référence à l’économie sociale, mais nos points de vue sont mitigés à son égard. Elle permet l’inclusion sociale de personnes exclues du marché du travail privé, mais elle permet parfois aussi la création d’emplois précaires et moins bien payés.

Pour nous la priorité, c’est que toute personne, avec ou sans emploi puisse sortir de la pauvreté et qu’elle se fasse garantir des conditions de vie décentes.
L’autre point serait de reconnaître la participation bénévole des sans-emplois et des proches-aidants dans les organismes, etc. Le ministre va d’une part remercier les personnes une fois par année pour leur implication bénévole, mais de l’autre main, propager des préjugés sur elles. Les personnes participent déjà à l’économie en étant bénévoles dans de nombreux organismes. Il faut leur garantir un revenu pour que celles-ci aient l’énergie et la possibilité de s’impliquer dans des endroits qui répondent à leurs besoins et aspirations.

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