Édition du 17 décembre 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Québec

Lutte climatique et convention collective du secteur public

Y intégrer des clauses GES mais surtout en faire un outil pro-climat

À sa dernière assemblée générale, les Travailleuses et travailleurs pour la justice climatique (TJC) ont d’entrée de jeu fait un post-mortem de la grève-manifestation du 23 septembre et ont terminé par un échange au sujet de la COP15 sur la biodiversité. Toutefois le plat principal de la réunion se concentrait sur les négociations du secteur public dans le sens de formuler des clauses environnementales de négociation assez larges à travers un cahier de demandes pouvant être adapté à des milieux différents dans le cadre du Front commun

Concernant la COP15, l’assemblée a fait le constat qu’existaient deux coalitions aux buts contradictoires : l’une, Fuck la COP anticapitaliste, organisant des manifestation les 7, 9 et 10 décembre et le Collectif COP 15 composé surtout de centrales syndicales et d’une partie des principales ONG environnementales, et soutenu par les gouvernements en tant qu’observateurs, qui organisent une marche le 10 décembre en plus de tenir des activités durant la COP. Estimant manquer d’informations et sans mandat des syndicats membres, l’assemblée en est restée là. Constatant cependant une semblable paralysie lors de l’occupation du terminal pétrolier de Valero par le collectif Antigone d’Extinction Rébellion, elle a mandaté « le comité exécutif pour qu’il soutienne activement les actions de désobéissance civile qui sont en lien avec nos revendications » tout en envisageant de bâtir une structure de communication afin de mobiliser les membres de manière pyramidale.

Concernant la manifestation de la fin septembre, il a été constaté d’une part que celle-ci pourrait devenir rituelle et de ce fait aller à l’encontre de son but initial soit être un élément d’un plan d’action pour construire un rapport de forces. À l’opposé de ce constat, il a été dénoté un durcissement du gouvernement qui pourrait interdire les fermetures accommodantes de l’employeur direct tout en sévissant contre les personnes participant à cette grève hors convention collective. Quant à la coalition étudiante-populaire, elle paraît vouloir se maintenir, quitte à bien préciser les critères d’adhésion et ses buts tout en notant que le milieu étudiant est en restructuration vers peut-être une nouvelle ASSÉ style 2012 dont l’horizon serait potentiellement une grève générale illimitée (GGI) en 2024.

La carboneutralité pour 2040 serait une clause globale mais complexe et récupérable

Le fil à plomb de l’assemblée a cependant été la discussion d’une stratégie pour les prochains mois soit se concentrer sur les négociations du secteur public. Il s’agit de formuler des clauses environnementales assez larges par un cahier de demandes qui peut être adapté à des milieux différents tout en s’assurant que ces demandes environnementales soient une priorité et non une monnaie d’échange. Ainsi, il deviendrait possible de faire une grève (légale) pour des buts écologiques dans le cadre de la convention collective. Les demandes générales du Front commun, dont celles salariales, étant déjà adoptées, ce qui disqualifie la proposition salariale écologique émanant du syndicat des professeurs de Sherbrooke (Marc Bonhomme, L’audacieux amendement salarial du syndicat des profs du Cégep de Sherbrooke, Presse-toi-à-gauche, 1/11/22), il faut se rabattre sur les demandes sectorielles qui devront être finalisées en février prochain.

L’assemblée, à la suggestion de son comité de mobilisation interne, a particulièrement examiné une clause qui permettrait la création d’un comité paritaire et d’une obligation d’atteindre la carboneutralité d’ici 2040, clause qui de facto s’ajuste à divers milieux. On note qu’une telle clause convient aussi au secteur privé. La carboneutralité pour 2040 et non 2050 est justifiée par le principe de « responsabilités communes mais différenciées » adopté par le Canada au moment de la signature du protocole de Kyoto. En vertu de ce principe, les pays riches doivent adopter des cibles plus ambitieuses que le reste du globe. Les cibles actuelles du Canada et du Québec (carboneutralité en 2050) ne tiennent pourtant pas compte de ce principe.

Cependant, pour ce genre de clauses globales le diable est dans les détails d’autant plus qu’il faut un accord patronal-syndical. Le patron sera-t-il d’accord pour une échéance en 2040, quel mécanisme et fréquence de reddition de compte ? Quelles activités la carboneutralité doit-elle couvrir ? Habituellement celles-ci se subdivisent en trois niveaux : le niveau 1 correspond aux émissions provenant directement des installations et des véhicules de l’entreprise, le niveau 2 inclut les émissions provenant de l’énergie achetée pour ses propres besoins et le niveau 3 inclut également les émissions indirectes après production telles celles émises pour la distribution des produits, leur usage et disposition mais aussi le transport de la main-d’œuvre, les investissements et activités des franchises. Les émissions de niveau 3 représentent généralement la majorité des émissions d’une entreprise et sont celles dont le patronat dit vert cherche à se déresponsabiliser (Adam Lowenstein, How a top US business lobby promised climate action – but worked to block efforts, The Guardian, 19/08/22).

Les patrons voudront-ils reporter à la fin de la période le gros des efforts alors que l’urgence climatique requiert qu’ils soient faits au début ? Last but not least, que faire si le patron ne respecte pas l’entente ? Il y a une possibilité de report mais aussi d’achat de droits de polluer au prix fixé par le marché québécois ou par la taxe canadienne sur le carbone. En un mot, la complexité de l’affaire permet difficilement d’échapper à l’insertion du processus dans la mécanique officielle des gouvernements quel qu’en soit son bien-fondé vis-à-vis l’urgence climatique. Cette souque-à-la-corde entre patronat et syndicat sera à la fin une question de rapport de forces.

Vers une conception climatique de la convention collective incluant son noyau dur

Toutefois la complexité du processus invite à le mettre à la queue des priorités à négocier telles les salaires et conditions de travail. Ne vaudrait-il pas mieux des clauses plus simples et concrètes quitte à ce qu’elles soient partielles telle par exemple la gratuité du transport en commun tant pour le personnel salarié que pour les personnes usagères comme la gent étudiante. Ce pourrait être aussi l’énergie utilisée par la climatisation si elle est fossile, ou pour le processus de production dans le cas des manufactures, ou encore pour les approvisionnements. En cas d’échec à vérifier annuellement pourquoi ne pas prévoir un droit de grève durant la convention collective ?

Plus profondément, n’y aurait-il pas derrière ce processus une conception certes valide mais trop étroite de la lutte climatique ? La proposition de Sherbrooke limitant les hauts salaires pour affecter la partie épargnée de la masse salariale à la lutte climatique avait l’avantage de lier le noyau dur de la convention collective à cette dernière. Si l’on anticipe la société pro-climat comme une société écoféministe de prendre soin (care) non seulement de la terre-mère mais aussi des gens qui l’habitent — peut-on imaginer l’un sans l’autre —, plus prosaïquement de justice climatique et de justice sociale, la bonification et l’amplification des services publics se substituant à la société marchande en devient le fondement. D’autant plus que les services publics requièrent d’abord de l’énergie humaine et non fossile et que leur enrichissement des rapports sociaux sont créateurs de solidarité par définition anticonsumériste.

C’est la globalité de la lutte du Front commun qui est à comprendre comme lutte climatique. Cette liaison doit toutefois être explicitée pour qu’elle imprègne la conscience sociale. En retour cet approfondissement de la conscience sociale pousserait les priorités de la convention collective, par l’intermédiaire du renforcement des conditions de travail, davantage vers l’amélioration des services (ratios, soutien, services complémentaires) dont les salaires seraient partie prenante mais non dominante. Dans cet esprit, il serait ensuite plus logique d’inclure dans la convention collective de nouveaux services en lien direct avec la réduction des GES.

Voilà tout une terrain nouveau à explorer et à populariser. L’assemblée générale des TJC et ses comités annexes en sont certainement des lieux centraux qui méritent d’être investis pour ce faire. Ils le sont en particulier pour les travailleuses et travailleurs syndiqués et encore plus pour celles et ceux qui font partie du Front commun ou tout au moins des services publics. Il n’est pas sorcier de s’y joindre (ici).

Note : ce texte emprunte certains passages au compte-rendu de la réunion

Marc Bonhomme, 19 novembre 2022

www.marcbonhomme.com ; bonmarc@videotron.ca

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