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Lundi noir - Avec l'Italie, la finance panique face au coronavirus

Lundi noir sur les marchés boursiers. Après avoir nagé dans l’insouciance pendant un mois, ceux-ci se sont mis en mode panique. La progression spectaculaire du Covid-19 en Italie et en Corée du Sud a fait prendre conscience que toute l’économie mondiale désormais est en risque.

tiré de : Europe Solidaire Sans Frontières, 24 février 2020
lundi 24 février 2020, par Martine Orange

Après avoir nagé dans l’insouciance pendant plus d’un mois, les marchés financiers se sont mis en mode panique. La progression spectaculaire du coronavirus en Corée du Sud, et surtout en Italie pendant le week-end, a soudain fait prendre conscience que l’épidémie était loin d’être cantonnée à la Chine, loin d’être en phase descendante comme ils l’avaient espéré.

Dès les premières ouvertures le 24 février, tous les marchés boursiers ont lourdement chuté. Séoul a perdu 1,78 %. En Europe, ils ont connu leur pire journée depuis le vote sur le Brexit en 2016. Le Dax, l’indice boursier allemand, a fini en baisse de 4,06 %, le CAC 40 de 3, 94 %. La bourse de Milan, la plus lourdement sanctionnée, a perdu 5,43 %. À mi-séance, Wall Street perdait plus de 1 000 points (− 3,70 %). En une journée, plusieurs centaines de milliards de capitalisation boursière se sont ainsi volatilisés.

« Les investisseurs semblent avoir parié sur trois choses. La première, que la contamination du virus serait endiguée dans les semaines à venir. Deuxièmement, que le gouvernement chinois allait lancer de fortes mesures de relance monétaires et budgétaires, et troisièmement, que la demande, affaiblie en raison de l’épidémie, serait différée mais pas simplement perdue. Malheureusement, aucune de ces trois conditions ne paraît assurée », note l’agence Bloomberg [1].

Sans le dire, les principaux responsables politiques faisaient jusqu’alors à peu près les mêmes paris. Au sommet du G20 qui se tenait à Riyad ce week-end, les ministres des finances et les banquiers centraux ont dû admettre qu’ils s’étaient trompés. Tous les espoirs de rebond de la croissance mondiale que les uns et les autres avaient formés après l’annonce d’une trêve dans la guerre commerciale entre les États-Unis et la Chine à la mi-janvier semblent en miettes [2]. « Le virus Covid-19, une urgence sanitaire mondiale, a perturbé l’activité économique en Chine et pourrait mettre en péril la reprise. Même en cas d’endiguement rapide du virus, la croissance en Chine et dans le reste du monde sera touchée », a prévenu la nouvelle directrice générale du FMI Kristalina Georgieva.

Peu à peu, la réalité de ce qui se passe en Chine émerge : celle d’un pays à l’arrêt, tétanisé. Malgré les tentatives du gouvernement chinois pour inciter les entreprises à redémarrer, rien ne repart [3]. Les ouvriers chinois venus de l’intérieur du pays ne sont pas revenus travailler. Le voudraient-ils que les entreprises auraient du mal à les employer si elles veulent respecter les règles sanitaires imposées. Afin d’éviter la propagation du virus, le gouvernement a ainsi imposé que chaque ouvrier ait sa chambre, alors qu’auparavant ils dormaient à huit dans la même pièce.

Le choc qui s’est abattu en Chine se lit dans tous les chiffres disponibles. C’est un choc à la fois d’offre et de demande. Les stocks des sidérurgistes et de fabricants de matériaux de construction débordent, faute de demande. La consommation de charbon et de pétrole a chuté de 25 %. Les ventes de voitures particulières ont chuté de 92 % en janvier. Selon Bloomberg, l’activité en Chine était inférieure de moitié la semaine dernière à ce qu’elle était avant les fêtes du premier de l’an chinois.

Le voile sur la réalité de la mondialisation, de la place irremplaçable qu’y a prise la Chine, tarde cependant à se déchirer, tant le gouvernement chinois entretient le brouillard, tant les grands groupes et les multinationales n’ont guère envie de faire la lumière sur les revers des délocalisations, les vulnérabilités qu’elles engendrent. Du bout des lèvres, certains commencent à avouer les difficultés qu’ils rencontrent dans leurs approvisionnements. D’autres alertent sur leurs futurs résultats. Mais aucun d’entre eux n’a encore officiellement reconnu qu’il est en risque de rupture. Pourtant, plus le temps passe, plus la probabilité d’interruptions massives se profile. Les derniers développements semblent indiquer qu’elles sont inévitables.

Tant que l’épidémie semblait pouvoir être circonscrite à la Chine avec quelques cas disséminés ici ou là, le monde financier pouvait encore se raconter des histoires. Désormais, il a le sentiment d’assister à une démondialisation qui s’accélère sous ses yeux [4].

La progression de la maladie en Corée du Sud et plus encore l’irruption spectaculaire du coronavirus là où personne ne l’attendait, en Italie du Nord, changent la donne. En quelques jours, ces deux pays ont affiché en toute transparence des chiffres indiquant une montée impressionnante du nombre de personnes touchées par la maladie. Lundi, l’Italie annonce 7 morts et plus de 200 personnes contaminées [reconnues]. Samedi, il n’y avait que 79 personnes atteintes [reconnues]. Le monde doit se préparer à une « éventuelle pandémie », a prévenu ce lundi l’Organisation mondiale de la santé (OMS).

« L’ennui, c’est que les banques centrales ne détiennent pas le vaccin contre le coronavirus »

Sans spéculer sur les risques de contagion dans toute l’Europe, les signes de paralysie et de panique qui gagnent toutes les villes de l’Italie du Nord, accompagnés de mesures de quarantaine étendues, sont autant de mauvais présages. « L’Italie représente 11 % du PIB européen, et les deux régions touchées [Lombardie et Vénétie. Depuis d’autres cas ont été signalés en Émilie-Romagne – ndlr] 30 % du PIB italien. Pour la zone euro, déjà proche de la récession, ce choc pourrait être nettement suffisant pour générer un ralentissement », constate une note de la banque Rabobank, ce lundi matin.

Le coronavirus peut-il être l’élément déclencheur de la prochaine crise financière, comme le redoute l’économiste Nouriel Roubini ? [5]

Rarement autant de voix se sont élevées ces dernières années pour souligner l’instabilité du monde, les dangers qui le menacent, la folie de la sphère financière totalement déconnectée de l’économie réelle. Plusieurs secousses sont intervenues ces dernières années pour rappeler combien la crise de 2008 n’avait pas été comprise, et les effets de bord qu’avait créés cette mauvaise gestion [6].

À chaque fois, les interventions massives des banques centrales ont permis de juguler le danger au dernier moment, noyant tout sous des flots de liquidités, des milliards d’argent magique. À Riyad, les banquiers centraux se sont dit vigilants et prêts à intervenir autant que nécessaire pour voler à nouveau au secours de l’économie mondiale.

Le doute sur l’efficacité de leurs armes plane cependant. Depuis douze ans, elles ont tout utilisé : le financement illimité des banques, le rachat de titres (quantitative easing), les taux d’intérêt bas, voire négatifs. Même lorsque l’activité économique était censée être normale, il leur a fallu maintenir les béquilles d’une politique monétaire non conventionnelle. Certains banquiers centraux reconnaissent qu’en cas de crise, ils pourraient être à court de munitions.

Alors que pourraient-ils faire de plus en cas d’embolie de l’économie mondiale pour cause de coronavirus ? C’est cette interrogation qui commence à tarauder les financiers habitués depuis des années à vivre avec l’assurance tous risques des banques centrales. « L’ennui, ironise un analyste, c’est que les banques centrales ne détiennent pas le vaccin contre le Covid-19. »

Si la crise du coronavirus se prolonge, elle risque de mettre à nu le système financier mondial, la montagne de dettes qui ont servi à sortir de la crise de 2008.

À commencer par la Chine. Déjà, les petits commerçants et entrepreneurs chinois tirent la sonnette d’alarme : très endettés, ils disent qu’ils ne vont pas pouvoir faire face à leurs échéances de remboursement si tout continue à tourner au ralenti, si les banques ne leur viennent pas en aide. Avec le risque d’un effet domino, les petites entraînant dans leur chute les plus grandes. Des rumeurs de nationalisation de grands conglomérats chinois comme HNA, présent à la fois dans l’aérien, l’immobilier et le tourisme, commencent à circuler. « Des millions d’entreprises chinoises risquent de s’effondrer », prévient Bloomberg.

Derrière les entreprises, c’est la résistance même du système financier chinois qui serait sollicitée. Les banques sont au cœur du miracle chinois, prêtant sans compter à toutes les entreprises, acceptant des effets de levier gigantesques. Avant même le Covid-19, les banques chinoises souffraient d’une sous-capitalisation chronique par rapport à leurs engagements. D’autant qu’elles portent dans leur bilan au moins 30 % de mauvaises créances, voire de créances irrécouvrables, selon les estimations

Et derrière encore, il y a cette finance de l’ombre, faite de spéculation et de paris [7]. Une pyramide de Ponzi en puissance. Lorsque le gouvernement chinois et la Banque centrale de Chine ont essayé en 2015 de la juguler, ils ont failli précipiter tout le pays dans le chaos et ont préféré y renoncer. Mais cette fois-ci, ont-ils les moyens de maîtriser la situation ?

Mais la menace de la dette est partout. Depuis la crise de 2008, l’endettement mondial a explosé : il atteint 230 000 milliards de dollars en 2019, selon les estimations de la Banque des règlements internationaux. D’année en année, cette dette croît beaucoup plus vite que la croissance mondiale.

Confortés par des taux zéro ou négatifs, les financiers ont accepté de prêter des quantités d’argent à tous, sans évaluer les risques. Dans ce nouvel univers d’argent gratuit, les taux de prêt aux junk bonds sont à peine plus élevés que ceux des grands groupes profitables, des start-up à peine lancées peuvent lever des milliards sans avoir fait le moindre bénéfice, sans même avoir prouvé le bien-fondé de leur modèle.

Le coronavirus fait un peu l’effet d’une douche glacée pour ces financiers qui depuis des années se sont engagés les yeux fermés. Tous commencent à réévaluer leurs risques. La grande révision va bientôt commencer. Les secteurs comme les exploitants de gaz de schiste ou certaines sociétés numériques, mais aussi ceux qui font du crédit automobile ou à la consommation sont en tête de liste.

Comme à son habitude, le monde financier, dès qu’il prend peur, se réfugie dans les valeurs sûres : le dollar et le franc suisse, considérés comme des monnaies refuges, les bons du Trésor américain, l’or – qui frôle la barre des 1 700 dollars l’once. La réaffectation des liquidités énormes qui encombrent les marchés financiers pourrait s’accélérer. Mais cela risque de ne pas aller sans casse. Une énorme casse même. Jusqu’à la crise financière ?

Martine Orange

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