De même, le processus révolutionnaire syrien s’inscrit dans les luttes anticapitalistes au niveau mondial. Les Indigné·e·s et les mouvements d’occupations ont tiré leur inspiration des révolutions arabes. Plus de 700 villes dans plus de 70 pays ont résonné et pour certains résonnent encore des mots d’ordre et des revendications d’un mouvement qui manifeste contre la précarité et le pouvoir de la finance. De même, la résistance du peuple grec contre les diktats imposés par les agences financières et de notations est également une bataille pour la dignité et la justice sociale, mais surtout l’émancipation contre l’ordre capitaliste et non sa soumission, s’inscrivant dès lors dans les luttes des peuples de la région.
Le soulèvement populaire syrien, survenant à la suite de la crise financière et économique mondiale, est également une révolte contre les politiques néolibérales imposées par le régime autoritaire, et encouragée par les institutions financières internationales, comme le Fonds Monétaire International (FMI) et la Banque mondiale (BM).
Les mesures néolibérales ont servi au démantèlement et à l’affaiblissement croissant des services publics dans le pays, à la suppression de subventions, notamment pour des biens de première nécessité, tout en accélérant les processus de privatisation, très souvent au profit des classes dirigeantes et bourgeoises liées au pouvoir politique.
Les réformes néolibérales du régime ont encouragé une politique basée sur l’accueil des investissements directs étrangers, le développement des exportations et du secteur des services, en particulier du tourisme. L’appareil répressif de ce pays a servi « d’agent de sécurité » pour ces compagnies, les prémunissant de tous troubles ou revendications sociales. Cet Etat a joué le rôle d’entremetteur pour les capitaux étrangers et les grandes multinationales, tout en garantissant l’enrichissement d’une classe bourgeoise liée au régime.
Les fléaux qu’impliquent ces politiques néolibérales sont nombreux en Syrie. Mentionnons le taux de chômage élevé, particulièrement parmi les jeunes diplômés universitaires qui ne trouvent pas de débouchés dans une économie désormais concentrée sur des emplois à faible valeur ajoutée, et où le travail qualifié se fait rare ; ou encore le sous-emploi, conséquence directe de ces mesures.
Le processus de libéralisation économique a créé une inégalité toujours plus grande en Syrie. Les plus pauvres ont du mal à s’en sortir en raison d’un manque de possibilités d’emploi, tandis que la « classe moyenne tombe » en chute libre vers le seuil de pauvreté parce que leurs revenus n’ont pas suivi l’inflation qui s’est élevée à 17 % en 2008. Il y a maintenant des taux de chômage de l’ordre de 20-25 %, atteignant 55 % pour les moins de 25 ans (dans un pays où les personnes de moins de 30 ans sont 65 % de la population totale). Le pourcentage des Syriens vivant sous le seuil de pauvreté est passé de 11% en 2000 à 33% en 2010 selon les chiffres officiels. A cela il faut ajouter d’autres 30% de la population syrienne vivant autour du seuil de pauvreté, c’est-à-dire avec moins de 2$ par jour.
Dans l’agriculture, la privatisation de leurs terres subie par plusieurs centaines de milliers de paysans dans le nord-est en raison de la sécheresse [dès 2008] ne devrait pas être considérée comme simplement une catastrophe naturelle. En effet, l’accroissement et l’intensification de l’exploitation des terres par des grands entrepreneurs agricoles (agrobusiness), y compris de terres précédemment conservées pour le pâturage, de même que le forage illégal de puits ainsi que la mise en place de conduites d’eau sélectives répondant aux exigences des nouveaux grands propriétaires – tout cela facilité par la corruption de l’administration locale – ont développé la crise agricole.
La politique de libéralisation économique du régime a presque reproduit la situation socio-économique qui prévalait avant que les baasistes prennent le pouvoir en 1963 : 5 % de la population possède plus de 50 % du Revenu national.
Les processus de privatisation ont créé de nouveaux monopoles entre les mains des proches du pouvoir faisant partie intégrante du système de corruption et profitant principalement à la classe gouvernante : la famille Makhlouf, cousin germain de Bachar al Assad. Cette dernière aurait accumulé plus de 50% des richesses économiques syriennes.
Lutte des classes prolétaires et exploité(e)s
La plus importante section du mouvement révolutionnaire syrien est celui des prolétaires ruraux et urbains et des « classes moyennes » économiquement marginalisés qui ont subi l’application des politiques néolibérales, notamment depuis l’arrivée au pouvoir de Bachar el-Assad en juillet 2000. C’est de cette composante de la révolution actuelle qui a rejoint les groupes armés de l’Armée syrienne libre (ASL).
Les travailleurs et les travailleuses ont d’ailleurs été des cibles de la répression. Au cours du mois de décembre 2011, des campagnes réussies de désobéissance civile ainsi que des grèves générales se sont déroulées en Syrie. Elles ont paralysé d’importantes parties du pays, montrant ainsi que la mobilisation de la classe laborieuse et des exploité·e·s se trouve au cœur de la révolution syrienne. C’est pour cette raison que la dictature, cherchant à briser la dynamique de la contestation, a licencié plus de 85 000 travailleurs et travailleuses entre janvier 2011 et février 2012 et fermé 187 fabriques (selon les chiffres officiels).
Les universités ont également constitué des centres de la résistance populaires. L’Université d’Alep a vu se dérouler d’importantes manifestations d’étudiant·e·s en mai et précédemment aussi. Elles ont été violemment réprimées par les forces de sécurité qui ont tué quatre personnes et arrêté des centaines d’autres. Aujourd’hui, pas une semaine ne se passe sans que les voix et les chants des étudiant·e·s de l’Université de Damas ne soient entendus au palais présidentiel, proche de quelques centaines de mètres, tandis que des manifestations quasi quotidiennes ont lieu dans les universités de Deraa et Deir Al-Zur. L’Université d’Alep a suspendu ses cours par crainte d’un soulèvement encore plus important des jeunes, tandis que les balles de fusil sont plus nombreuses que les livres à l’Université de Homs.
Les étudiant·e·s représentent un quart de tous les martyrs en Syrie depuis le début de la révolution en mars 2011, selon l’Union des étudiants libres de Syrie (SFSU). Fondée le 29 septembre 2011 pour lutter contre le régime, l’Union constitue un bastion politique et syndical de la résistance pour une société démocratique dans la vie du mouvement étudiant. Le syndicat organise des manifestations des étudiant·e·s libres et la résistance populaire dans les universités à travers tout le pays.
Le mouvement populaire est toujours actif
Le mouvement populaire en Syrie ne s’est pas retiré des rues, des universités et des places de travail malgré la répression multiforme et violente du régime, autant politique que militaire. Plus de 40 000 martyrs tombés sous la répression du régime criminel des Assad depuis le début du soulèvement, tandis que plus de 200’000 arrestations, plus 30’000 personnes se trouveraient emprisonnées et 65 000 disparu-e-s. Il faut ajouter à ces tristes nouvelles quelque 2,5 million de personnes déplacées à l’intérieur du pays et quelque 300’000 réfugié(e)s dans les pays voisins.
Le mouvement continue néanmoins sa lutte contre le régime. Les principales formes d’organisations ont été à travers des comités de coordinations populaires au niveau des villages, quartiers, villes et régions. Ces comités de coordinations populaires sont le véritable fer de lance du mouvement populaire mobilisant le peuple pour les manifestations. Ils ont aussi développé des formes d’auto gestion populaire basés sur l’organisation des masses dans les régions libérées du joug du régime. Des conseils populaires révolutionnaires le plus souvent élus sont mis en place pour s’occuper des régions libérés prouvant que c’est le régime qui provoque l’anarchie et non le peuple.
Le processus révolutionnaire syrien est un véritable mouvement populaire et démocratique qui mobilise les classes exploités et opprimées contre l’élite capitaliste liée à l’ordre mondial - très semblable à leurs homologues à travers le monde arabe. Le mouvement a commencé de manière pacifique appelant à des réformes, mais le régime a répondu par la violence et une répression tout azimut. Certains sections de la population syrienne décident alors d’organiser une résistance armée pour se défendre face aux attaques des services de sécurités et des voyous, connus sous le nom des shabihas, du régime.
La résistance armée du peuple syrien exprime le droit du peuple syrien à se défendre contre la répression du régime et a permis la continuation de la résistance populaire dans certaines régions face aux attaques du régime. Des conseils révolutionnaires ont été formés à travers la Syrie, de même que des comités de coordination des actions politiques et armées. Un code de bonne conduite, respectant le droit international et contre le confessionnalisme, a d’ailleurs été signé par une grande partie des groupes armés faisant partie de la résistance populaire armée contre le régime.
Composés de soldats déserteurs et de civils ayant pris les armes, la résistance populaire armée bénéficie de véritables racines populaires au sein de l’insurrection.
Le peuple syrien a continué de répéter son refus du confessionnalisme, malgré toutes les tentatives du régime pour allumer ce feu dangereux dont il a fait usage sous différentes formes depuis la prise de pouvoir du clan Assad en 1970. Le mouvement populaire a réaffirmé sa lutte unitaire, en développant un sentiment de solidarité nationale et sociale qui transcende les divisions ethniques et confessionnelles.
Les grandes puissances occidentales impérialistes et autres puissances impérialistes mondial, Russie et Chine, et régional, Iran et Turquie dans son ensemble et sans exception, continuent de vouloir mettre en œuvre en Syrie une solution de type yéménite, en d’autres termes sabrer la tête du régime, le dictateur Bachar Al Assad, tout en maintenant sa structure intacte– comme on a pu le constater lors des rencontres entre officiels américains et russes, ou lors de la conférence internationale le 30 juin dernier à Genève. Le seul point d’achoppement reste la position russe qui tente encore par tous les moyens de maintenir Assad au pouvoir, mais qui pourrait le sacrifier dans un avenir proche pour préserver ses intérêts en Syrie.
Les grandes puissances n’ont en effet pas d’intérêts à voir le régime s’effondrer. Ce dernier a permis de stabiliser les frontières avec Israël et a collaboré avec les puissances occidentales à plusieurs reprises dans « la guerre contre le terrorisme » lancée par l’ex-président américain George Bush, ainsi que dans les guerres contre l’Irak en 1991 et à partir de 2003 le régime a participé dans les « interrogatoires » des prisonniers par les puissances occidentales, sans oublier l’intervention militaire au Liban avec l’accord des forces occidentales et d’Israël pour mater la résistance palestinienne et la gauche libanaise en 1976. Les politique néolibérales ont connu une accélération extraordinaire depuis l’arrivée au pouvoir de Bachar Al Assad, lequel avait d’ailleurs ouvert la Syrie à de nombreux investisseurs occidentaux et du Golfe avant le début de la révolution. Ces politiques ont plongé plus de la moitié de la population dans la misère et la pauvreté.
Les pouvoirs réactionnaires régionaux, Arabie Saoudite et Qatar en tête, tentent de leur côté de détourner la révolution syrienne, pour la conduire sur la voie de leurs propres objectifs limités à leurs intérêts propres dans la région et non à ceux de peuple Syrien. Les directions réactionnaires de ces pays veulent intervenir en Syrie pour circonscrire le processus révolutionnaire et restreindre les conséquences politiques, sociales et économiques des révolutions. De même ils encouragent un discours et vision confessionnelle du conflit, tout en soutenant financièrement des groupes armés ayant un comportement confessionnel en contradiction avec le message d’unité populaire de la révolution syrienne. Ces pouvoirs réactionnaires essaient en Syrie et ailleurs d’empêcher la diffusion et l’approfondissement des processus révolutionnaires qui menacent l’ordre établi et s’emploient au contraire à y mettre fin.
Le peuple syrien, malgré tout, résiste et continue sa lutte pour construire une nouvelle Syrie. La révolution est permanente !
La révolution permanente signifie s’opposer et renverser le régime dictatorial des Assad, tout en s’opposant aux impérialismes mondiaux et régionaux, lesquels tentent de détourner le processus révolutionnaire syrien pour leurs propres intérêts et contre ceux du peuple syrien. C’est pour cette raison que nous refusons et condamnons toutes les interventions étrangères en Syrie, que ce soit de l’axe occidental et saudi qatari, tout comme l’axe irano-russe qui soutient le régime dans sa répression contre le mouvement populaire et dans toutes ses capacités militaires et financières.
La continuation de la révolution s’inscrit aussi dans la volonté de construire une Syrie Libre, démocratique, laïque et révolutionnaire qui s’emploie à éliminer toutes les inégalités et discriminations sociales, ethniques, de genres et religieuses, à appuyer le droit à l’autodétermination du peuple kurde, à respecter les minorités religieuses et ethniques, et à garantir les libertés démocratiques et politiques de tous et toutes.
La révolution sera permanente car elle s’engage également à mettre tout en œuvre pour libérer le Golan occupé, à soutenir les droits du peuple palestinien pour le retour des réfugiés et à l’autodétermination sur le territoire de la Palestine historique, et à assister les autres peuples de la région dans leurs luttes contre leurs dictateurs et l’impérialisme.
Il est nécessaire que toutes les forces progressistes et démocratiques apportent leur soutien au mouvement populaire syrien et à la gauche révolutionnaire syrienne impliquée dans sa lutte contre le régime dictatorial. C’est pour cela que nous vous invitons à exprimer clairement votre soutien et votre solidarité à la révolution syrienne et au peuple syrien révolté.
Vive la Révolution populaire syrienne
Damas, 23 septembre 2012
Courant de la gauche révolutionnaire syrienne