Édition du 12 novembre 2024

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Livres et revues

Les usurpateurs, ou comment les entreprises transnationales prennent le pouvoir

Ce livre traite de la manière dont les entreprises s’organisent pour prendre le pouvoir, les outils qu’elles utilisent et comment elles matérialisent leur projet.

Susan George, Ed du Seuil, 2014

Présentation

Suzan George précise d’emblée qu’il ne s’agit pas d’un complot mais bien d’actions délibérées et de plans d’actions structurés pour atteindre des objectifs précis. Elle utilise le mot transnationale plutôt que multinationales. Elle rappelle que les Nations Unies ont adopté ce terme officiellement et que d’autre part, elle le trouve plus significatif que « multinationales » qui a pour effet de cacher l’origine géographique des entreprises alors qu’elles ont une origine et des attaches nationales même si elles fonctionnent partout dans le monde.

Le premier chapitre sert à marquer sa thèse de fond : démontrer que l’idéologie qui leur sert de base est l’idéologie néolibérale qui plus ou moins explicitement, leur donne un pouvoir totalement illégitime et antidémocratique. Suzan George parle de « corporocratie » qui s’arroge les pouvoirs jadis réservés aux élus. Les gouvernements sont de plus en plus au service des entreprises transnationales plutôt qu’au service du peuple. Elle souligne qu’il y a un jargon néolibéral qui masque leurs opérations réelles. Dans la régression néolibérale, on arrive à dire que, puisque le privé est forcément plus performant et plus rentable que l’État, « privatisons ! »

Ce qui amène à réduire les gouvernements au plus strict minimum : rembourser la dette, combler le déficit au plus vite à coups de mesures d’austérité pour la population (p 20).

Le projet d’austérité repose sur de fausses croyances. Notamment sur le fait que seul le capitalisme est créateur de valeurs et d’emplois ; le travail et la nature n’y sont pour rien. Suzan George appelle les gens qui tiennent ce discours les « théolibéralistes ». Les pires d’entre eux s’obstinent à appliquer leurs théories malgré des bilans désastreux. L’austérité est illégitime. Elle vise l’abolition de toute forme de coopération connue et citoyenne.

Elle précise : « L’organisme auto désigné pour procéder à ce remplacement des gouvernements par les entreprises est plus connu sous le toponyme de Davos et son programme s’intitule, en toute modestie, Initiative de restructuration mondiale (Global Redesign Initiative ou GRI) » p.26. Dans les autres chapitres, elle parle des moyens que les transnationales prennent pour arriver à appliquer leur programme.

1. Ils mettent sur pieds des méga lobbies qui servent à faire adopter des lois ou à en retirer.

Ils luttent contre les réglementations qu’ils désignent les « tue emplois ». Ils présentent leurs projets comme des activités de modernisation. Dans les faits, ce sont eux qui régentent les gouvernements et non l’inverse. Les lobbyings sont des industries à part entière. Et aussi une science et un art.

Les lobbyistes prennent le contrôle dès le début d’un débat, l’orientent de façon à imposer les arguments de leurs clients qui sont les entreprises. Pour les produits dangereux, ils vont mettre l’accent sur les emplois créés et de la croissance escomptée mais pas sur l’environnement. Ils ne parlent jamais de citoyens mais toujours de consommateurs, de contribuables, même de victimes. Ils ignorent ou déforment la science et vont dans les conférences et les congrès pour soulever leur point de vue mais sans dévoiler leur statut véritable. Ils inventent des noms avec une présentation plus intéressante, par exemple « les Québécois pour…ceci ou cela… » Ils créent des instituts, des fondations, des conseils, les mettent en commun et s’en servent pour augmenter leur force de frappe mondialement.

Les lobbyistes arrivent à se faire nommer dans les agences officielles chargées de régler l’industrie pour laquelle ils travaillent. On nage en plein conflit d’intérêt ! Par exemple, ils ont joué un rôle dans la création du Bureau international des normes comptables qui entre autres, a servi à ce que les transnationales ne soient pas soumises à des normes comptables et déclarations fiscales pays par pays. Les profits sont déclarés dans les juridictions à faible taux d’imposition ou sans impôts du tout et les pertes dans celles à haut taux d’imposition…

Le 2e outil : les traités internationaux.

L’ OMC défend les intérêts des transnationales et leur ouvre de nouveaux horizons. Comme un seul accord mondial n’était pas atteignable, tout ce beau monde s’est rabattu sur les accords bilatéraux.

Les accords sont négociés en secret où les entreprises sont représentées et où souvent elles sont en majorité. Les traités sont dits de « libre échange ». En fait, ce sont des organisations politiques antidémocratiques. Suzan George nous rappelle qu’en 1969, il y a eu une convention signée à Vienne, sur le droit des traités. On a adopté un accord qui reconnaît que les traités priment sur le droit national y compris la constitution.

Le Canada a signé mais n’a jamais ratifié cette entente. Dans tous ces traités, il y a le fameux règlement des différends entre les investisseurs et les États. Il est présenté sous le terme de « protection des investissements ». C’est le fameux chapitre 11 de l’Aléna.

Les entreprises transnationales se servent de multiples organismes dont les Chambres de commerce, plus ou moins publiques, pour participer à l’élaboration des traités.

Suzan George écrit un long chapitre qui porte sur les négociations du traité entre Europe et les États-Unis ( TTIP). Officiellement, ces négociations visent à harmoniser les 2 systèmes de règlements Mais l’enjeu réel est la dérèglementation.

Elle nous parle de subterfuges de la part des entreprises pour arriver à leurs fins. La déréglementation ne sera pas mentionnée dans le texte du traité, cela soulèverait trop d’opposition. Elle sera été transférée dans un autre organisme. Ce qui permet de nier publiquement l’effort de déréglementation et de renforcer la manière dont sont rédigées les réglementations européennes. La Commission européenne s’incline devant le secteur privé et leur délègue du pouvoir juridique. Le traité devient ainsi un attentat à la démocratie qui est fomenté par la classe de Davos avec la complicité de la classe politique. Il n’y a aucune prise en compte des préjudices causés aux citoyens Il n’est même pas question de ce que les économistes appellent les « externalités négatives ». Mais les contribuables paient les dégâts….

Un projet mondial qui passe par les Nations Unies

Le travail des entreprises transnationales pour atteindre les pleins pouvoirs ne se limite pas aux pays individuels et à leurs gouvernements. Elles ont réussi à avoir leurs entrées agissantes aux Nations Unies. Elles ont commencé par se coller aux conférences internationales sur des problématiques vitales comme l’eau, l’alimentation etc. C’est Kofi Annan qui leur ouvert les portes un peu plus grandement en créant le Pacte mondial destiné à promouvoir la coopération de l’ONU avec le secteur privé. Ce pacte, « n’exige pas de preuve de progrès et ne procède à des radiations que si une entreprise omet de s’acquitter de sa contribution… », l’auteure ajoute qu’il sert surement à « cimenter la classe de Davos » (p.143). Toutes les agences onusiennes ont été ensuite appelées à déléguer des représentants-es de haut niveau aux rencontre de ce pacte. Ces partenariats public-privés entrainent des conflits d’intérêts irréconciliables. S. George en donne de nombreux exemples tous aussi édifiants les uns que les autres.

Elle pose la question de savoir si nous nous laisserons gouverner par Davos.

Conclusion

J’avoue que lire cet ouvrage donne un sentiment de dépassement et même de découragement. Ici je n’en ai donné qu’un aperçu. L’auteure nous assure toutefois que savoir est l’antidote à la manipulation et au sentiment d’impuissance. Personnellement, j’y ai beaucoup appris et je me targuais d’en savoir passablement. Elle nous demande de répandre ces connaissances pour tenter de changer des situations qui demandent à l’être. Elle reconnait, par exemple que « l’emprise des transnationales sur les Nations Unies et l’ingérence de Davos dans tous les problèmes de l’humanité sont difficiles à contrer ». (p.182).

Elle croit aux actions de soutient à des organisations comme Les amis de la terre qui luttent internationalement, scrutent les transnationales et introduisent des campagnes contre certains de leurs agissements les plus répréhensibles. Elle se réjouit de constater qu’autant de jeunes se rallient dans ce combat contrairement à ce qu’était le cas dans les années quatre-vingt. Elle souligne que c’est toujours dans « les minorités militantes qu’on a trouvé les gens les plus intéressants, qui ont le courage de penser, d’agir, d’espérer et d’aimer ». (p.183).

Alexandra Cyr

Retraitée. Ex-intervenante sociale principalement en milieu hospitalier et psychiatrie. Ex-militante syndicale, (CSN). Ex militante M.L. Actuellement : membre de Q.S., des Amis du Monde diplomatique (groupe de Montréal), animatrice avec Lire et faire lire, participante à l’établissement d’une coop. d’habitation inter-générationnelle dans Rosemont-Petite-Patrie à Montréal. Membre de la Banque d’échange communautaire de services (BECS) à Montréal.

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