Tiré de Equal Times.
À présent, les jeunes militants aux quatre coins du monde appellent les travailleurs à se joindre à eux les 20 et 27 septembre prochains pour un troisième round de grèves mondiales pour le climat. Alors que certains syndicats ont répondu à l’appel en projetant des actions autour de la pause de midi et des assemblées au travail sur le thème du climat, la plupart d’entre eux ont les mains liées par des restrictions légales nationales relatives au droit de grève. Les syndicats et leurs dirigeants étant passibles de dommages et intérêts et leurs membres individuels de sanctions ou de licenciement, la défiance aux obligations légales dans la poursuite d’une action pour le climat peut ne pas constituer une option viable pour nombre de syndicats en difficulté à travers le monde.
Une grève est généralement formulée dans la législation nationale comme un droit positif ou une exonération de responsabilité pouvant autrement être invoquée par un employeur, par exemple en matière contractuelle ou délictuelle.
Toutefois, dans de nombreuses juridictions, ce droit ne peut être exercé que dans le contexte de la négociation collective et/ou d’un litige commercial. Les syndicats qui opèrent dans de telles juridictions seront en peine de se joindre formellement à la Grève mondiale pour le climat dès lors que l’objectif de l’action échappe au champ des négociations collectives ou d’un litige commercial stricto sensu. Bien que les syndicats portent de plus en plus des revendications environnementales à la table des négociations, notamment l’inclusion de clauses d’écologisation ou de transition juste, ces efforts se sont, jusqu’ici, limités aux stratégies d’atténuation et d’adaptation à l’échelle du lieu de travail et manquent de couvrir des engagements plus larges sur le changement climatique.
Même dans les pays où les grèves à des fins socioéconomiques sont autorisées, il s’agira néanmoins pour les syndicats de s’imposer dans le débat selon lequel le changement climatique constitue un enjeu socioéconomique et pas seulement un enjeu environnemental ou politique.
À cette fin, nous pouvons et nous devons nous appuyer sur le droit international.
Comité de la liberté syndicale
Le Comité de la liberté syndicale (CLS), organe tripartite de l’Organisation internationale du travail (OIT), définit depuis près de 70 ans la portée du droit de liberté syndicale, y compris le droit de grève. Le CLS a toujours soutenu que les travailleurs peuvent prendre part aux actions collectives, y compris aux manifestations et aux grèves en dehors du processus de négociation collective et sur des questions qui dépassent le cadre traditionnel des salaires et des conditions de travail.
Tant que la grève n’est pas de nature « exclusivement politique », par exemple dans le cas d’une insurrection, le CLS déclare : « Les organisations chargées de défendre les intérêts socio-économiques et professionnels des travailleurs devraient en principe pouvoir utiliser la grève pour appuyer leur position dans la recherche de solutions aux problèmes posés par les grandes orientations de politique économique et sociale, qui ont des répercussions immédiates pour leurs membres, et plus généralement pour les travailleurs, notamment en matière d’emploi, de protection sociale et de niveau de vie. »
Par le passé, le CLS a accordé son aval à des manifestations et des grèves portant sur un éventail d’enjeux tels les accords commerciaux, la réforme du droit du travail, les pensions, la politique fiscale, la protection sociale et d’autres revendications similaires. Bien qu’il n’ait pas encore eu l’occasion d’envisager une grève pour le climat, il devrait se prononcer en faveur de la protection d’une telle grève.
En effet, il n’y a pas aujourd’hui d’enjeu qui ait une incidence plus directe, plus immédiate et plus sérieuse sur le monde du travail que l’urgence climatique.
Déjà, l’OIT a expliqué que le changement climatique, s’il n’est pas traité, aura des répercussions sérieuses sur l’emploi dans tous les secteurs et dans toutes les régions. Parmi ces répercussions, on peut citer d’importantes migrations pour le travail liées au climat, des conditions de travail dangereuses dues à des chaleurs extrêmes, la perte d’emplois dans les zones rurales en raison de mauvaises récoltes et la perte d’emplois dans les zones urbaines attribuable aux phénomènes météorologiques extrêmes.
Par ailleurs, les mesures d’atténuation qui s’imposeront à nous en réponse aux changements climatiques pourraient s’avérer profondément perturbatrices, comme l’a souligné la Commission mondiale de l’OIT sur l’avenir du travail. Que des différences surgissent quant à l’approche opportune et aux bénéficiaires ne fait aucun doute. C’est pourquoi l’Objectif de développement durable 16 appelle à un engagement social large aux fins d’atteindre un développement économique, social et environnemental durable.
Pour les syndicats, la Grève mondiale pour le climat signifierait nécessairement un appel à des réductions immédiates et significatives des émissions, avec une prise en compte de la nécessité d’une transition juste pour protéger les travailleurs et leurs communautés. Le concept d’une transition juste pour les travailleurs est fermement ancré dans l’Accord de Paris juridiquement contraignant. Qui plus est, en 2015, les mandants tripartites de l’OIT ont approuvé à l’unanimité des principes directeurs pour une transition juste vers des économies et des sociétés écologiquement durables.
La promotion et la réalisation des principes et droits fondamentaux au travail, dont le principe de liberté syndicale, figurent au cœur de ces principes directeurs. Il est évident que sans le droit de grève, les travailleurs ne seront pas en mesure d’exiger effectivement des investissements dans de nouveaux emplois verts, la formation, la protection des revenus et d’autres mesures nécessaires pour une transition équitable et juste.
Consolider l’alliance rouge-vert
Après la grève pour le climat, nous devrons réfléchir d’urgence à la manière d’approfondir la cohérence politique entre les domaines du travail et de la justice environnementale. Bien qu’ils obéissent à des objectifs différents, tous deux partagent une histoire commune de résistance aux structures économiques et politiques dominantes qui ont subordonné les intérêts des personnes et des communautés. En effet, un nouveau domaine du droit de la « transition juste » peut être un moyen de rapprocher les domaines du droit du travail et de l’environnement et de traduire ceux-ci sous forme d’un discours juridique cohérent.
Nous proposons également comme mesure importante la reconnaissance du droit de grève dans les cas où des employeurs se livrent à des activités dont il est démontrable qu’elles sont nuisibles pour l’environnement. Il s’agit en quelque sorte de l’extension du principe de longue date selon lequel les travailleurs peuvent se retirer immédiatement et sans crainte de représailles d’une situation de travail dangereuse. Or qu’y a-t-il de plus dangereux qu’une activité qui menace nos lieux de travail, nos communautés et même la vie sur Terre telle que nous la connaissons.
Alors qu’il ne reste que 11 ans pour empêcher une catastrophe climatique, il s’agit de donner aux syndicats les moyens de contribuer à la prévention des dommages irréversibles dérivés des changements climatiques.
Le droit de grève est un droit humain protégé par le droit international. Les grèves ont été et peuvent continuer d’être un outil au service de transformations sociétales majeures, comme la démocratisation des pays, de la Pologne à l’Afrique du Sud en passant par la Tunisie, et une transition juste vers une économie bas carbone est tout aussi importante. Sans la force industrielle des syndicats, nous ne serons pas en mesure de mener à bien efficacement la transformation profonde de notre économie, y compris les investissements nécessaires à la création de millions de nouveaux emplois durables.
Armé de détermination, le mouvement syndical peut faire face au défi suprême du changement climatique.
Cet article a été traduit de l’anglais.
Les auteurs ont écrit cet article à titre personnel.
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