Tiré du site de la revue Contretemps.
Publié il y a quelques mois en anglais et en arabe, cet article conserve une actualité, particulièrement après l’assassinat de deux figures de la révolution démocratique syrienne, Raed Fares et Hamoud Junaid dans la région d’Idlib par des hommes masqués, probablement membres du mouvement salafiste jihadiste Hayat Tahrir al-Cham (anciennement Jabhat al-Nusra, ex Al-Qaïda). Cette organisation jihadiste avait été défendue par certains secteurs de l’opposition, et des chercheurs y compris, comme une « force révolutionnaire » ou pouvant être incluse dans les rangs de l’opposition.
Cela repose la question des alliances politiques dans le cadre de toute lutte, mais surtout du type de projet de société à défendre. Plus généralement l’assassinat de deux militants démocrates syriens montre à nouveau que les mouvements fondamentalistes religieux forment, avec les régimes despotiques, l’autre face de la contre-révolution. Comme l’avait dit Fares lui même : « La vérité est que les Syriens sont victimes de deux formes de terrorisme : le terrorisme d’Assad et celui de l’État islamique et d’autres extrémistes ».
La première partie de cet article examine le rôle des laïcs et de la laïcité dans le soulèvement populaire syrien mais aussi la manière de définir la laïcité, et réfute l’idée selon laquelle le régime Assad aurait historiquement aidé les forces laïques en Syrie.
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Sur un site Web de l’opposition syrienne, Zaman al-Wasl, l’auteur Hilal Abd al-Aziz al-Fa’ouri a lancé une nouvelle attaque contre les laïcs avec un article intitulé « Qu’est ce que les laïcs syriens attendent des musulmans syriens »[1]. Il y décrit tous les laïcs comme critiquant « tout ce qui appartient à l’islam » et ayant une « hostilité secrète envers les musulmans » en voulant notamment qu’ils « se rasent la barbe et enlèvent leurs jilbabs [vêtements arabes traditionnels] et jettent leurs turbans… pour fermer leurs mosquées et ne pas prier. » Fa’ouri est l’auteur de nombreux articles sur le site Web de l’opposition, Zaman al-Wasl.
Ce n’était probablement pas un hasard si cet article apparaissait quelques semaines à peine après que l’un des dirigeants des Frères musulmans syriens, Molham al-Droubi, publiait sur son profil Facebook le commentaire suivant : « J’aimerais avoir vos commentaires sur (la question suivante) : qu’est ce que les laïcs ont offert à la révolution syrienne ? », comme une provocation claire envers ces secteurs de l’opposition. Son commentaire a conduit de nombreux militants laïques à lui répondre directement ou indirectement sur les réseaux sociaux. Auparavant, d’autres groupes et personnalités intégristes islamiques et djihadistes avaient attaqué les laïcs en tant qu’« outils étrangers », rejetant ainsi leur rôle dans le soulèvement populaire et le concept de laïcité en tant qu’hérésie ou apostasie. Ces attaques contre les laïcs et la laïcité soulèvent plusieurs questions et problèmes qu’il faut analyser et traiter.
Le rôle des laïcs dans la révolution syrienne
En premier lieu, la question du rôle et de la participation de militant-es laïques dans le soulèvement populaire syrien qui a éclaté en mars 2011 ne devrait même pas faire l’objet d’un débat. Les activistes laïques ont été activement impliqués dans diverses phases de la lutte contre le régime Assad, avant et après le début des manifestations populaires massives de 2011. De nombreux activistes laïques ont joué un rôle important au sein des comités de coordinations locaux et les conseils locaux et dans le développement d’actions et de campagnes de résistances pacifiques contre le régime.
Ces rassemblements ont progressivement développé des structures internes et plusieurs comités de coordination ont joué un rôle particulièrement important dans le développement de réseaux de solidarité au niveau national, notamment l’union des coordinateurs de la révolution syrienne, le Syndicat des étudiants syriens libres et les comités de coordination locaux et de nombreux autres groupes de jeunes tels que les « Jeunes Révolutionnaires Syriens ». L’opposition populaire civile syrienne était en effet le principal moteur du soulèvement contre le régime d’Assad pendant les deux premières années. La répression, la militarisation, la montée des forces islamiques fondamentalistes et djihadistes, associées aux interventions étrangères, ont changé la situation. L’insurrection en Syrie s’est progressivement transformée, passant d’une révolution populaire à une guerre internationale.
Deuxièmement, l’image négative des laïcs diffusée et retransmise sur les réseaux sociaux (dans la région) et les médias de l’opposition syrienne s’inscrivent dans des dynamiques régionales et historiques plus larges. La plupart des forces conservatrices et fondamentalistes islamiques du Moyen-Orient ont passé des décennies à décrire négativement la laïcité comme une forme d’hérésie, d’apostasie, d’athéisme et d’attaque contre l’islam, un produit de l’Occident et donc un concept à combattre. Le cheikh salafiste égyptien Youssef Qaradawi, un religieux influent résidant au Qatar et personnage historique lié à la confrérie des Frères Musulmans, a déclaré la chose suivante dans l’un de ses nombreux ouvrages attaquant le concept de laïcité :
« La laïcité peut être acceptée dans une société chrétienne, mais elle ne peut jamais être acceptée de manière générale dans une société islamique… Pour les sociétés musulmanes, l’acceptation de la laïcité signifie quelque chose de totalement différent. L’islam étant un système complet d’Ibadah (adoration) et de la charia (législation), l’acceptation de la laïcité signifie l’abandon de la charia, la négation de l’orientation divine et le rejet des injonctions d’Allah. C’est une falsification totale de prétendre que la charia n’est pas propre aux exigences de notre époque… C’est pourquoi l’appel à la laïcité parmi les musulmans est de l’athéisme et un rejet de l’islam. Son acceptation comme base de pouvoir à la place de la charia est une véritable apostasie. »[2]
Ces passages ont été écrits dans son livre intitulé « Comment les solutions importées ont eu un effet désastreux sur notre nation musulmane ». Le salafiste égyptien diffuse des vues similaires en tant qu’invité hebdomadaire sur la chaine de télévision qatari d’Al-Jazeera où il a son propre programme.
En Syrie, les penseurs et les groupes démocratiques et laïcs ont subi des attaques verbales et physiques de la part de mouvements aux tendances intégristes islamiques en raison de leur idéologie depuis le début du soulèvement populaire de 2011. Les manifestations les plus récentes de sentiment anti-laïque sont survenues lors de l’intervention militaire contre la région d’Afrin et son occupation ultérieure par l’armée turque et des groupes armés syriens affiliés à Ankara, principalement des unités armées conservatrices et fondamentalistes islamiques.
Certains des combattants syriens participant à l’offensive et à l’occupation ultérieure d’Afrin ont attaqué les unités de protection du peuple (YPG), branche armée du Parti de l’Union démocratique (PYD), non seulement en raison de leur origine ethnique (kurde) ou sur la base d’accusations « d’être allié au régime », mais aussi parce que le parti promeut une forme particulière de laïcité. Ses racines idéologiques historiques sont proches du marxisme et du tiers-mondisme, mais l’idéologie du groupe a évolué au-delà de ces orientations initiales, reflétant l’influence du théoricien social américain Murray Bookchin, un penseur prônant le « municipalisme libertaire ».
Le principale objectif de l’opération militaire d’Afrin et de son occupation par la Turquie était d’empêcher le PYD de contrôler des territoires contigus le long de sa frontière, car le parti est considéré comme un groupe terroriste lié à sa propre insurrection kurde, dirigé par le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK). L’offensive et l’occupation d’Afrin s’inscrivent en effet dans une guerre beaucoup plus vaste opposant Ankara au PKK. Le président turc Recep Tayyip Erdogan a d’ailleurs répété à plusieurs reprises que ses forces armées poursuivraient leur offensive contre les combattants kurdes du YPG le long de la frontière entre la Turquie et la Syrie et si nécessaire dans le nord de l’Iraq.
La définition du concept de laïcité
Il est essentiel de définir ce que nous entendons par laïcité et par État laïc. Le concept comprend au minimum la séparation de l’État et de la religion ; et la neutralité de l’État envers les croyants et les non-croyants, y compris dans la distribution des ressources ou des opportunités. La religion et les institutions religieuses ne régissent pas la société ni n’imposent leurs lois à la société, alors qu’aucune croyance religieuse n’est privilégiée par rapport à une autre. Dans le même temps, la liberté de conscience garantit aux croyants le droit de pratiquer leur religion et aux non-croyants de ne pas croire ou de ne pratiquer aucun dogme religieux.
Le concept de laïcité a emprunté des chemins différents selon l’histoire de chaque société[3]. Au Moyen-Orient, les premiers débats contemporains modernes autour du concept de laïcité ont commencé au milieu du XIXe siècle, dirigés par des intellectuels de la région, à l’époque de la « Nahda » (Renaissance), accompagnés d’autres discussions relatives aux défis de l’époque, notamment sur la manière de défier la domination occidentale et le colonialisme. Au 20ème siècle, et avec la montée des mouvements nationalistes et communistes arabes dans la région, l’idée de laïcité s’est davantage généralisée.
Les forces religieuses conservatrices et fondamentalistes islamiques, aidées par l’Arabie saoudite et les puissances occidentales de l’époque, ont de plus en plus réagi à ces forces montantes en les qualifiant d’idéologies étrangères attaquant l’islam, équivalant à l’athéisme et cherchant à effacer la religion de la société. La laïcité est toujours présentée de la sorte aujourd’hui par de nombreux mouvements fondamentalistes islamiques. Bien entendu, cela ne se limite pas au Moyen-Orient[4]. La montée du fondamentalisme religieux est en effet un phénomène international et non limité au Moyen-Orient ou à d’autres sociétés caractérisées par une population à prédominance musulmane.
Nous avons assisté au développement de courants politiques similaires, tels que le fondamentalisme chrétien, le fondamentalisme hindou et le fondamentalisme juif en Israël, qui ont tous leur propre politique de droite conservatrice et de forme réactionnaire. Mais aucun d’entre eux, malgré leur appel à un retour à un âge d’or passé mythifié, ne doit être considéré comme un élément fossilisé du passé. Ils peuvent utiliser des symboles et des récits d’époques antérieures, mais tous ces fondamentalismes sont le produit des sociétés modernes[5].
La Syrie sous Assad, laïque ?
La Syrie est peut-être diverse sur le plan religieux et ethnique, mais l’État n’est pas laïc. Le régime de Bachar al-Assad ne fait pas exception. La constitution de 2012 stipule que le président doit être un homme musulman ou que « la principale source du droit est la charia »[6]. La Syrie a également huit lois différentes sur le statut personnel, chacune étant appliquée en fonction de la confession religieuse des individus[7]. Ces lois prévoient également des discriminations majeures à l’égard des femmes.
En 2010, plusieurs membres du clergé islamique, tels que Cheikh Osama Rifai, qui est maintenant en exil pour s’être opposé au régime et a mis en place le Conseil islamique syrien, et Cheikh Ratib al-Nabulsi, qui ne s’est pas opposé au régime, ont dépeint le rôle du Comité pour l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (CEDAW) comme une« menace grave pour la vie, la morale et les valeurs religieuses des Syriens », tout en soutenant les nombreuses réserves formulées par le régime concernant les principales dispositions de la Convention face à l’opposition des mouvements féministes syriens.
Par exemple, des réserves ont été formulées à l’égard de l’article 2 de la CEDAW, qui oblige notamment les États qui ont signé la convention à inscrire le principe de l’égalité entre les hommes et les femmes dans leurs constitutions nationales et autres textes législatifs, et à garantir, par la loi et d’autres moyens appropriés, des sanctions le cas échéant, l’interdiction de toute discrimination à l’égard des femmes[8].
Historiquement, le régime Assad, depuis la période de Hafez al-Assad, a développé un discours conservateur sur le plan religieux et a encouragé un établissement islamique conservateur pour canaliser les courants islamiques et légitimer le régime. Il a également commencé à sponsoriser (ou parrainer) et à institutionnaliser d’autres mouvements islamiques disposés à jouer son jeu politique et à légitimer le régime, tels que l’ordre soufiste Naqshbandi Kuftariya dirigé par le cheikh Ahmad Kuftaro et des groupes affiliés au cheikh Sa’id al-Buti ou le mouvement islamique de femmes des Qubaysiyyat[9].
Ces politiques et ce rapprochement avec les couches religieuses conservatrices de la société ont coïncidé avec la censure d’œuvres littéraires et artistiques, tout en promouvant la littérature religieuse et en islamisant l’enseignement supérieur[10]. Des groupes et personnalités féministes ont été publiquement accusés par des mouvements religieux conservateurs proches du régime d’hérésie et de chercher à détruire la morale de la société, de propager des valeurs occidentales telles que la notion de mariage civil, les droits des homosexuels et des lesbiennes et la liberté sexuelle totale[11]. Sans oublier la longue histoire des relations du régime Assad avec des groupes fondamentalistes islamiques en Syrie et en dehors, ainsi que son instrumentalisation des groupes djihadistes à différents moments, y compris pendant l’occupation de l’Iraq par les États-Unis.
Laïcité, extrémisme et survie du régime d’Assad
De même, depuis le début du soulèvement, le régime d’Assad avait une stratégie claire pour favoriser et permettre la création d’organisations fondamentalistes islamiques et salafistes djihadistes visant à discréditer le mouvement populaire et son message inclusif initial. Cela était évident dans la décision de libérer de nombreux djihadistes et salafistes de ses prisons après le début du mouvement de protestation populaire, tout en réprimant les composantes démocratiques et progressistes de l’opposition civile ainsi que les composantes démocratiques de l’armée syrienne libre.
Parallèlement à ces développements, les manifestants ont mis en place des institutions alternatives telles que les comités de coordination locaux et les conseils locaux, qui ont défié et remplacé l’État en fournissant des services à la population locale dans des zones où le régime ne dominait plus politiquement et militairement. En développant ses propres institutions, le mouvement de contestation offrait une alternative politique qui susceptible d’intéresser de larges couches de la population, en particulier au cours des six premiers mois de manifestations et avant la militarisation à grande échelle du soulèvement.
Le défi est devenu de plus en plus important pour les composantes démocratiques et progressistes du mouvement de contestation populaire en raison de l’évolution et de la dynamique du soulèvement populaire. Le discours inclusif et démocratique du mouvement de protestation initial, ainsi que sa vitalité, a été considérablement affaibli tout d’abord par la répression du régime et la guerre contre les composantes démocratiques du mouvement populaire, tandis que la montée ultérieure des mouvements islamistes fondamentalistes et djihadistes ont affaibli encore davantage ces secteurs.
Cela créait un double avantage pour le régime.
Premièrement, il se présentait comme un rempart contre « l’extrémisme » au niveau international et tentait donc d’inclure sa guerre meurtrière contre la population syrienne dans la « guerre contre le terrorisme » menée par les États occidentaux et les régimes autoritaires de la région et du monde entier.
Deuxièmement, cela lui permettait de jouer sur la peur des couches de la population qui considéraient à juste titre ces forces comme une menace existentielle. Les acteurs djihadistes et salafistes, qui ont ensuite été soutenus directement par l’Arabie saoudite, le Qatar et la Turquie ou indirectement par des réseaux privés issus de ces pays, défendaient une vision de la société qui était bien entendu un projet exclusif et ne pouvait attirer politiquement divers secteurs de la société syrienne tels que les minorités religieuses, les femmes ou ceux et celles qui avaient une compréhension différente de l’islam.
Le régime s’est présenté de son côté comme « le protecteur des minorités » et de la « modernité », bien que, comme mentionné précédemment, cela soit très loin de la vérité. Dans ce contexte, chaque défaite des composantes démocratiques au sein du mouvement de contestation populaire, particulièrement civile, mais aussi armée, renforçait et profitait aux forces fondamentalistes islamiques. Progressivement, ces éléments ont dominé la scène militaire.
Laïcité et laïcité non démocratique
Cela signifie-t-il que les systèmes politiques laïques sont nécessairement bons ? Non, pas du tout, par exemple au niveau international, l’État français est très loin d’être un modèle à suivre et devrait plutôt être condamné pour son instrumentalisation de la laïcité afin de mettre en œuvre des lois discriminatoires et racistes contre les populations musulmanes, en particulier les femmes, en interdisant par exemple le port du voile dans les écoles publiques. La question de savoir s’il faut ou non porter le voile ne concerne que les femmes, qui doivent prendre cette décision de manière indépendante et par elles-mêmes. Imposer ou interdire le port du voile par la force est un acte réactionnaire et antidémocratique qui va à l’encontre de tout soutien à l’autodétermination des femmes.
Plus généralement, la montée de l’islamophobie[12], en particulier dans les pays occidentaux, doit être dénoncée, à l’instar de toute autre forme de racisme.
La laïcité n’est pas le contraire de la foi ou une demande d’éradication de la religion de la société. On peut être croyant tout en soutenant la laïcité en tant que principe organisateur de l’État et de la société. Déjà Abdel Rahman al-Kawakibi, penseur réformiste islamique syrien et figure importante de la Nahda, à la fin du XIXe siècle, déclarait, par exemple, dans le chapitre sur le despotisme et la religion de Tabd’i al-istibdad, qu’ « une distinction devait être faite entre religion et État, car cette distinction est maintenant une exigence majeure du lieu et du temps dans lequel nous vivons »[13].
De même, Ali Abdel Razeq, dans son livre de 1925 intitulé « L’islam et les fondements de la gouvernance » (Al-Islam Wa Usul Al-Hukm) affirmait plus généralement que l’islam ne préconisait pas une forme de gouvernement spécifique et s’opposait au rôle de la religion en politique ou dans la valeur normative politique des textes religieux.
Plus encore, la laïcité donne aux croyants la possibilité de se libérer de l’instrumentalisation de la religion par l’État et des partis politiques et leur permet de pratiquer leur religion librement sans oppression de l’État.
Qu’en est-il des laïcs ? Forment-ils un seul groupe ? Non, au contraire. En Syrie, on trouve des laïcs parmi les partisans du régime et dans l’opposition. Des différences existent également au sein de ces groupes. Dans l’opposition, par exemple, les laïcs n’ont pas constitué un seul pôle, ce qui est tout à fait normal dans la mesure où différentes tendances politiques existent, des composantes de gauche aux féministes, en passant par les libéraux, les nationalistes et les groupes conservateurs. Bien qu’ils puissent avoir des points communs sur leur compréhension du concept de laïcité, malgré de profondes divergences, ils ne partagent pas le même programme politique concernant de nombreuses questions telles que le type d’économie, les droits des femmes, la question kurde, l’impérialisme, etc. Cette tendance à vouloir homogénéiser politiquement les laïcs en un seul groupe a pour objectif de saper le concept de laïcité de manière plus générale[14].
Notes
[1] https://www.zamanalwsl.net/news/article/26419
[2] https://ia802305.us.archive.org/2/items/FP0203/0203.pdf, p. 67
[3] Par exemple, Karl Marx a rejeté comme idéaliste l’idée selon laquelle la tâche principale des révolutionnaires serait d’attaquer frontalement la religion, telle que préconisée par de nombreux intellectuels de la période des Lumières en Europe. Marx a fait valoir qu’il existait une base matérielle réelle à la conviction religieuse : les conditions terribles dans lesquelles la masse de l’humanité opprimée est obligée de vivre. Ce n’est qu’avec l’élimination de ces conditions matérielles oppressives que la religion disparaîtra. Karl Marx s’est également opposé à l’inscription de l’athéisme dans le programme politique du mouvement révolutionnaire.
[5] Voir Martin E. Marty, ‘Fundamentalism as a Social Phenomenon,’ Bulletin of the American Academy of Arts and Sciences 42, no. 2 (1988)
[6] Depuis la publication de cet article, Bashar Al Assad a signé le 20 septembre 2018 le décret n ° 16 de 37 pages, qui étendait considérablement les responsabilités et la structure interne du ministère des Affaires religieuses (Awqaf), créé en 1961 pour gérer les biens religieux principalement associés à l’islam sunnite. Ce décret permet au ministère des Affaires religieuses de s’ingérer même dans des activités qui ne relèvent pas de son domaine. Le projet de loi autorise le ministère à créer ses propres établissements commerciaux, dont les revenus iraient directement à la trésorerie du ministère, ce qui lui donnerait une indépendance financière totale, sans passer par la Banque centrale ou le ministère des Finances. Le ministère peut désormais externaliser ses biens, mettre en place des projets touristiques (tels que des restaurants, des hôtels et des cafés) et louer ses terrains à des investisseurs. L’Awqaf est déjà l’institution la plus riche de Syrie, en raison de l’afflux constant de fonds de charité et des vastes étendues de biens qu’il possède, enregistrés comme dotations religieuses depuis l’époque ottomane. La loi autorise le ministre à nommer le grand mufti de la république, un droit précédemment exercé par la présidence, et limite son mandat à trois ans, renouvelable uniquement avec l’approbation du ministre. La loi autorise un nouvel organe appelé « l’équipe de jeunes religieux » pour former des prédicateurs des mosquées, surveiller les vices publics et faire de la zakat un impôt obligatoire pour les musulmans sunnites. Il crée également des écoles de charia préuniversitaires et des conseils religieux dans les mosquées, indépendants des ministères de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur. Le décret a été critiqué par des loyalistes au régime et des opposants qui dénoncent un renforcement du processus de l’islamisation de la société. Le texte du décret est actuellement en discussion dans une commission parlementaire.
[7] Les communautés chrétiennes suivent et appliquent leurs propres lois, tandis que la loi sur le statut personnel de tous les musulmans est fondée sur une interprétation sunnite particulière de la charia islamique, de la jurisprudence hanafie et d’autres sources islamiques.
[8] Voir Kannout, Lama (2016), ‘In the Core or on the Margin : Syrian Women’s Political Participation,’ UK and Sweeden, Syrian Feminist Lobby and Euromed Feminist Initiative EFI-IFE
[9] Au même moment, le régime Assad réprimait, en particulier à la fin des années 1970 et au début des années 1980, des mouvements fondamentalistes islamiques, tels que les Frères musulmans, qui s’y opposaient. Voir See Khatib Line (2011), ‘Islamic Revivalism in Syria, The rise and fall of Ba’thist secularism’, London and New York, Routledge Studies in Political Islam ; Pierret, Thomas (2011), ‘Baas et Islam en Syrie’, Paris, PUF ; Imady, Omar, (2016) ‘Organisationally Secular : Damascene Islamist Movements and the Syrian Uprising’ Syria Studies, Vol. 8, No. 1, pp.66-91 ; Lefèvre, Raphael (2013a), ‘The Ashes of Hama, the Muslim Brotherhoods in Syria’, London : Hurst
[10] Pierret, Thomas (2011), ‘Baas et Islam en Syrie’, Paris, PUF, p. 115
[11] Aous (al-), Yahya (2013), “Chapter 3 : Feminist Websites and Civil Society Experience”,in Kawakibi S. (ed.) Syrian Voices From Pre-Revolution Syria : Civil Society Against all Odds, HIVOS and Knowledge Programme Civil Society in West Asia. (pdf.), https://hivos.org/sites/default/files/publications/special20bulletin202-salam20kawakibi20_6-5-13_1.pdf, (accessed 3 March 2014), p. 25
[12] L’islamophobie est une forme de racisme dirigée contre les populations musulmanes, pratiquants ou non, simples croyants ou athées.
[13] Comme l’a noté le bibliothécaire et universitaire George N. Atiyeh, « La question de savoir si la laïcité d’Al-Kawakibi était complète ou non est une question ouverte à plus d’un titre. Son introduction de l’idée de califat spirituel l’amena nécessairement à considérer la politique comme une discipline autonome, position qui le plaçait presque seul parmi les réformateurs modernes de l’islam »… comme par exemple Rashid Rida, le contre-réformateur par excellence qui désapprouva le concept d’al-Kawakibi de séparation de l’État et de la religion. http://www.syriawide.com/atiyeh.html
Rida a transformé les tendances réformistes du panislamisme, en particulier des intellectuels réformistes célèbres tels que Mohammad Abduh et Jamal al-Din Afghani, vers une orientation fondamentaliste. L’évolution de Rida l’a rapproché de la doctrine puritaine Hanbali, en particulier de ses adeptes wahhabites. Il est devenu un défenseur déterminé du régime saoudien et du wahhabisme, tout en collaborant avec le roi saoudien Abdel Aziz. Il a commencé à s’opposer et à combattre les confréries soufies et les pratiques de leurs adhérents. Il a plaidé pour la restauration du califat après son abolition en 1924. Il a également développé une forte diatribe anti-chiite, accusant les chiites arabes d’être des agents de l’Iran (un thème que l’on retrouve souvent aujourd’hui parmi les salafistes et d’autres mouvements fondamentalistes islamiques). Rashid Rida avait en particulier une influence importante sur le cadre intellectuel et politique des Frères musulmans alors qu’il cherchait à raviver le littéralisme d’Ibn Tammiyya et à appeler au djihad. Cette nouvelle tradition salafiste a été diffusée individuellement par des intellectuels tels que Rashid Rida dans les années 20 et 30, et socialement par des groupes tels que les Frères musulmans plus tard en Égypte et ailleurs.
[14] Il est également important de noter que tous les mouvements politiques ancrés dans la religion ne devraient être traités de manière homogène. Comme l’écrivain syrien Aziz Al-Azmeh l’a déclaré « la compréhension des phénomènes politiques islamiques nécessite l’équipement normal des sciences sociales et humaines, et non leur déni ». En n’agissant pas de la sorte, cela nous mènerait à l’essentialisation de « l’Autre », dans la plupart des cas actuels du « musulman ». Chaque religion n’existe en effet pas de manière autonome des personnes, de la même manière que Dieu n’existe pas en dehors du domaine de l’action intellectuelle de l’homme. C’est pourquoi nous devons rejeter les affirmations islamophobes selon lesquelles les racines de l’Etat islamique, d’Al-Qaïda, de Boko Haram et d’autres fondamentalistes se trouvent dans le Coran. Ces groupes et leurs actions doivent être analysés comme le produit des conditions sociales, économiques et politiques internationales et locales du moment présent, et non comme le produit d’un texte rédigé il y a 1400 ans. Est-ce que nous expliquons l’invasion américaine de l’Irak par les croyances religieuses de George Bush (qui a rapporté que Dieu lui avait dit dans un rêve d’envahir l’Irak) ? Bien sûr que non. Nous expliquons plutôt la guerre de Bush, ses motivations et sa justification idéologique en tant que produit de l’impérialisme américain.
En même temps, nous avons vu par le passé des mouvements ou des individus prenant leurs sources dans une identité religieuse développer des idéaux et politiques progressistes. La théologie de la libération chrétienne avait développé une critique radicale du capitalisme contre les dictatures d’Amérique du Sud, tandis que l’intellectuel et militant musulman noir Malcolm X, tout en restant fidèle à ses convictions religieuses, s’orientait surtout vers la gauche. Il n’hésitait pas à critiquer les dirigeants musulmans lors d’une interview en 1965, accusant d’avoir volontairement gardé le peuple, et plus particulièrement les femmes, dans l’obscurité. Il a ajouté que l’état d’avancement d’une société se mesure à la situation des femmes, affirmant que « plus les femmes sont éduquées et impliquées… plus l’ensemble de la population est active, brillante et progressiste ».
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