C’est alors qu’entrent dans le décor de ce qu’on peut appeler les « gérants d’estrades ». Ils se présentent souvent comme sympathiques à certaines revendications. Ils disent vouloir faire la « part des choses ». En réalité, le message est assez semblable à celui des premiers : on n’a pas le droit de se révolter. Ces gérants d’estrades sont toujours là pour dire qu’il faut « calmer le jeu », « ramener le monde à la négociation » et surtout, « arrêter les perturbations ». Parfois, ils se permettent de donner des « conseils » : « demandez moins », « Évitez le radicalisme ». Leur rêve est un monde où il n’y a pas de luttes, où les loups et les agneaux sont assis dans le même pique-nique pour manger des fourmis.
À l’autre extrême, il y a une autre catégorie de « gérants d’estrades ». Ils disent que les mouvements sont trop « mous », qu’il n’y qu’à foncer tête baissée. Sans jamais se demander comment, avec qui et avec quels buts. Appelons les n’y-a-ksa-istes ». La plupart d’entre eux n’ont jamais organisé une grève de leur vie ni animé quelques associations que ce soit, mais ce n’est pas grave, ils savent tout.
Ces attaques contre les mouvements populaires font partie du paysage, il faut faire avec. Tout en y opposant un contre-discours dont le point de départ est, vous l’aurez deviné : on a raison de se révolter. Se révolter, c’est une nécessité devant un système qui accapare le pouvoir, les privilèges, les ressources. La raison de cette révolte, c’est le désir d’émancipation, de liberté, de dignité. La raison de la révolte, c’est la sagesse des peuples.
Ne pas respecter cette raison, c’est condamner ce désir d’émancipation. Aussi, il faut faire son choix. Prendre parti. Il n’y a pas de ni-ni ou de peut-être.
Une fois dit cela, les mouvements populaires sont là pour trouver leur chemin. Ce qui est rarement facile ou évident. Il ne s’agit pas de foncer tête baissée. Il faut identifier le « maillon faible », le point où l’adversaire est vulnérable. Il faut penser au momentum, aux meilleurs moyens, aux ressources nécessaires. C’est ce qu’on appelle une stratégie. D’où les débats nombreux et très importants qui parcourent les mouvements. On essaie de voir quand, si, comment. Il y a des opinions diverses. En fonction de l’expérience, on change d’approche. On n’est jamais dans une bataille du « tout ou rien », il faut avancer et quelques fois, savoir reculer, pour mieux avancer par la suite.
Ces débats, ces interrogations, ces décisions stratégiques, doivent venir des mouvements eux-mêmes. Les gérants d’estrade sont là pour mélanger, confondre. Leur intention la plupart du temps n’est pas honnête. Pire encore, ils sont instrumentalisés par les pouvoirs qui veulent écraser les luttes. Des syndicats que les gérants d’estrade ont déstabilisés ne s’en remettent rarement. Les erreurs qu’ils ont parfois commises sont pâles à côté de la chape de plomb qui s’impose sur eux lorsqu’on les a de l’extérieur délégitimés.
Aujourd’hui, on observe une véritable stratégie pour briser l’ASSÉ. Pour cela, on a appelé au renfort l’ancienne présidente de la FEUQ qui avait eu, il faut le rappeler, l’honnêteté de suivre le mouvement animé, déclenché et organisé par l’ASSÉ au printemps 2012. Martine Desjardins quant à nous a fait une grosse erreur en se prenant à l’« extrémisme » du syndicat étudiant. Ce n’était pas à elle de faire cela. L’ASSÉ est assez grande pour organiser ses propres débats. C’est un mouvement qui vit, qui reflète le travail de noyaux étudiants expérimentés. Qu’il y ait des points de vue différents sur la grève, les alliances et tout le reste, c’est normal et même sain. Il peut y avoir des erreurs, des manquements, des angles morts. Encore là, c’est à eux de régler cela, à partir de leur culture organisationnelle, dans le cadre des grandes et fréquentes assemblées démocratiques qui sont leur « marque de commerce » en fin de compte. Martine aurait dû savoir qu’elle sert de caution à ceux qui rêvent d’en finir avec le mouvement et en particulier ses noyaux les plus militants comme à l’UQÀM où a été entamée une chasse aux sorcières.
Dans le fonds, les gérants d’estrade qui critiquent l’ASSÉ ne le font pas à cause de désaccords sur la « tactique ». Ils le font parce qu’ils ne veulent pas l’amplification des mobilisations populaires. La grève étudiante qui a impliqué plusieurs milliers d’étudiant-es et qui a débouché sur une puissante manif le 2 avril, avec ses limites et ses contradictions, a fait partie de cette amplification. C’est cela qui a fait peut et c’est pourquoi les gérants d’estrade se font aller.
Les étudiant-es sont conscients des enjeux complexes. Ils et elles se méfient également des n’y-a-ksa-istes » qui voudraient qu’ils se précipitent dans des actions « exemplaires » isolées et sans espoir. Se révolter, lutter, cela n’est pas un jeu, ce n’est pas une « action symbolique » dont on se souviendra plus tard. C’est essentiellement marquer des points, affaiblir l’adversaire, gagner et même, n’oublions pas le mot : vaincre !
Au sortir de leur congrès, les porte-paroles de l’ASSÉ ont rappelé que les assemblées locales sont souveraines et qu’elles vont adopter ce qui leur semblera le plus porteur en fonction des prochaines étapes de la mobilisation, celles qui s’en viennent dans le mois, de même que dans le contexte du Premier Mai dont la sève semble monter et où de toute évidence, des milliers d’étudiant-es seront au rendez-vous. Les étudiant-es par ailleurs sauront construire les passerelles avec les autres mouvements à commencer par les syndicats de profs qui sont également très conscients du fait que la répression du mouvement devient une arme cruciale pour ramener « l’ordre » dans le secteur de l’éducation et procéder à la violente réingénierie évoquée par les chevaliers de l’apocalypse comme Martin Coiteux : transformation des cégeps en écoles « techniques », précarisation accélérée du corps professoral, rétablissement de systèmes de commandement autoritaire, etc. Tout le monde est visé, tout le monde doit combattre. Et ensemble.
On leur souhaite bonne chance, on se souhaite bonne chance …
Entre temps, on n’oublie pas une seconde que la lutte actuelle au Québec, c’est en régions que ça se passe, souvent loin des médias, à la hauteur des gens. Dans le Bas du Fleuve depuis septembre, un des dix régions où il y a eu des actions à Rimouski, Mont Joli, Québec, Rivière-du-Loup, Matane, Trois-Pistole, Amqui, Témiscouata, La Pocatière. On y dénombre une quantité énorme de marches, occupations de bureaux de députés, assemblées publiques, tournées, caravanes, vigiles, impliquant cols bleus, cols blancs, enseignant-es, profs, étudiant-es, parents et employé-es des garderies, personnel de la santé et des villes, venant de la CSN, de la FTQ, de la FIQ, de l’APTS, des mouvements populaires, étudiants, écolos. Pendant ce temps dans le Saguenay, des équipes volantes parcourent les villes et villages et rencontrent les gens chez eux à Jonquière, Chicoutimi, St-Félicien, La Baie, Roberval, Alma, Dolbeau, dans les lieux de travail, dans les centres d’achat, aux portes des écoles et des centres de santé, On pourchasse Couillard et sa bande, on rappelle aux notables de la Chambre de commerce qu’ils sont en train de tuer la région qui les a enrichis, on « visite » les députés, y compris les Péquistes qui cherchent à faire oublier ce qu’ils ont fait avant Couillard, même si certains d’entre eux, Alexandre Cloutier par exemple, ont l’honnêteté de dire que le PQ ne devrait pas devenir le troisième parti de droite au Québec.
Et ça ne fait que commencer.