Édition du 18 juin 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Le Monde

Impacts des mesures d’austérité sur les femmes en Europe

« Les femmes sont les véritables créancières de la dette publique »

Première partie

Presse-toi à gauche vous offre une solide analyse de l’impact des mesures d’austérité sur les conditions de vie et de travail des femmes européennes. Cette semaine, une première partie traite des régressions sociales imposées aux femmes au nom de la dette.

La deuxième partie (édition du 29 novembre) abordera les effets des mesures d’austérité sur les politiques familiales des États alors que la troisième partie (édition du 6 décembre) traitera des effets des coupures dans les services publics sur les femmes.

La dette, cheval de Troie d’une guerre sociale sans précédent contre les peuples d’Europe, n’est nullement neutre du point de vue du genre. Les mesures d’austérité imposées en son nom sont sexuées autant dans leurs caractéristiques que dans leurs effets. Partout, elles s’abattent sur les salarié-e-s, les retraité-e-s, les chômeurs/euses, les « sans » de tout ordre (sans logement, sans papier, sans minimum vital...) voulant leur faire payer les effets d’une crise profonde dont ils et elles ne sont en rien responsables.

Partout, elles imposent les pires régressions sociales aux populations les plus fragilisées, les plus pauvres et donc majoritairement aux femmes ! Et parmi elles, les plus vulnérables (cf. : les mères célibataires, les femmes jeunes, âgées, migrantes, les femmes provenant d’une minorité ethnique, du milieu rural ou encore ayant été victimes de violences) seront les plus pressurisées pour voler au secours des profiteurs de la dette.

Tout comme les plans d’ajustement structurel ont exténué et appauvri les femmes du Sud, les plans d’austérité saigneront celles d’Europe. Les mêmes mécanismes découlant d’une même idéologie néolibérale sont désormais partout à l’œuvre. Privatisations, libéralisations, restrictions budgétaires au menu des mesures d’austérité sabrent les droits sociaux des femmes, accentuent leur pauvreté, durcissent et aggravent les inégalités entre les sexes et sapent les acquis féministes. Nul doute que les innombrables reculs socio-économiques testés sur elles aujourd’hui pour que les capitalistes n’aient pas à payer la crise qu’ils ont provoquée seront demain infligés à toutes les classes populaires, femmes et hommes.

Tour d’horizon européen des régressions sociales imposées aux femmes au nom de la dette

Parmi les principales mesures concoctées pour les gouvernements d’Europe, placés sous la tutelle ou la forte influence du FMI et des Institutions européennes, figurent en bonne place : une baisse généralisée des salaires et des retraites, la casse de la protection sociale, la destruction des services publics, la remise en cause du droit du travail et l’augmentation de la fiscalité sur la consommation. Toutes ces politiques sanctionnent à terme, l’émancipation des femmes en Europe.

I. Une diminution des revenus du travail rémunéré des femmes

Bien avant la récession, la situation des femmes sur le marché du travail était déjà loin d’être égalitaire (à celle des hommes). L’emploi féminin reste caractérisé par une forte ségrégation femmes-hommes par type d’activité, des écarts salariaux, un taux élevé de travail à temps partiel et la concentration dans les secteurs de l’économie moins rémunérateurs, sous-valorisés, moins protégés par la sécurité sociale et informels. Dans de telles circonstances, il n’est pas étonnant que les femmes se trouvent dans une situation moins avantageuse pour affronter la crise.

Plusieurs facteurs, en lien direct avec la crise de la dette et les mesures macro-économiques qui lui sont associées, impriment une pression sur les revenus du travail rémunéré des femmes :

1. Le taux de chômage des femmes augmente

Si, dans sa première phase, la crise a frappé de plein fouet les secteurs à prédominance masculine (cf. secteurs bancaires, du bâtiment, de l’industrie automobile et des transports), les secteurs où les femmes sont majoritaires (cf. les services aux personnes et aux entreprises – horeca, nettoyage, etc. - les secteurs financés par les pouvoirs publics ainsi que ceux de la vente et du commerce) sont actuellement directement et très fortement touchés. Cet impact sexuellement différencié de la crise sur l’emploi des femmes et des hommes est révélateur de la prégnance de la segmentation professionnelle (déjà soulignée plus haut).

Les pertes d’emplois féminins sont essentiellement imputables au non renouvellement de contrats à durée déterminée, à la perte de pouvoir d’achat des consommateurs/trices et des utilisateurs/trices de services et aux coupes budgétaires dans les finances publiques imposées par les mesures d’austérité. Comme les femmes sont, en Europe, largement prééminentes dans les services publics (elles constituent pas moins des 2/3 des actifs des secteurs de l’éducation, de la santé et de l’aide sociale), les restrictions financières exigées des pouvoirs publics les touchent disproportionnellement. Un nombre considérable de femmes perdent leur emploi et voient leurs revenus déjà restreints encore chuter.

Or, comme on sait qu’aujourd’hui comme hier ce sont les femmes qui assurent l’essentiel des frais de nourriture, de santé et d’éducation de la famille, on mesure combien cette baisse de leur pouvoir d’achat va affecter les enfants et les personnes à charge mais également les femmes les plus pauvres qui ont tendance à faire passer les besoins de la famille avant les leurs. Cela a un impact direct sur leur santé physique et morale : elles mangent moins et/ou moins bien, s’abstiennent de soins palliatifs et préventifs, sans parler des privations sur les événements culturels, sociaux, les lectures, …

Cette glissade vers la précarité les amène souvent à chercher un 2ème voire un 3ème emploi et à recourir au crédit pour pouvoir assurer les besoins de leur famille et leur survie. Ce n’est pas un hasard si le micro-crédit se développe en Europe, avec pour cible favorite les femmes et leurs « fringales consuméristes » !

Si les pertes d’emplois des femmes sont moins soudaines, moins spectaculaires et donc moins visibles que celles qu’ont connu et connaissent encore les hommes, elles ne sont certainement pas moins douloureuses. De fait, les conséquences du chômage sont plus tragiques pour les femmes sur le long terme. Dans la mesure où elles ont en moyenne moins d’expérience professionnelle valorisée que les hommes et que leurs carrières sont souvent basées sur des emplois à temps partiels avec des contrats temporaires et des périodes d’interruption, les femmes sont plus vulnérables sur le marché du travail et éprouvent dès lors davantage de difficultés à retrouver un emploi.

En outre, les enquêtes attestent que les femmes sont plus susceptibles d’être licenciées lorsque les emplois se font rares car les hommes sont encore et toujours considérés comme des gagne-pains légitimes. Une étude de dimension mondiale réalisée en 2005 |1| révèle que près de 40% des personnes interrogées estiment que, dans une telle situation, les hommes ont plus le droit à l’emploi que les femmes. Or ce dernier est un droit constitutionnel dans de nombreux pays européens à commencer par la Belgique.

Enfin, les travailleuses migrantes employées comme domestiques et/ou auxiliaires maternelles subissent de plein fouet la baisse du pouvoir d’achat de leurs ‘employeuses’. Comme celles-ci ont de moins en moins les moyens de s’adjoindre leurs services, elles sont contraintes de les licencier. Bien que l’emploi des travailleuses migrantes n’est pas pour l’extrême majorité des cas synonyme de travail décent et accentue les différences entre les femmes, l’immigration économique de ces femmes leur permet de suppléer à la pauvreté qui ravage leur famille dans leur pays d’origine.

Pour conclure, notons qu’alors que les effets de la crise de la dette sur l’emploi des femmes sont catastrophiques, ils ont toutes les chances d’être sous-évalués. La réalité est bien pire que ce que ne laissent transparaître les rapports officiels. De fait, les personnes travaillant à temps partiel sont exclues des chiffres du chômage. En Europe, en 2007, 31,2% |2| des femmes travaillent à temps partiel (c’est quatre fois plus que les hommes). Affirmons-le sans ambiguïté : le passage des femmes à un emploi à temps partiel est rarement le résultat d’un choix personnel et constitue l’une des conséquences directes de la crise…

Quelques exemples du chômage féminin en Europe consécutif à la crise de la dette :

 En République Tchèque |3|, le chômage touche surtout les mères à leur retour de congé de maternité, les mères avec de jeunes enfants en général, les femmes de plus de 50 ans et les femmes migrantes tandis que dans une ville du Nord du Portugal, sur 17.000 habitants, 6.000 femmes sont sans-emploi |4| !

 En Pologne, l’industrie textile essentiellement féminine s’est retrouvée en détresse lorsque les segments principaux qu’elle approvisionnait en Europe de l’Ouest se sont effondrés : 40.000 emplois ont été perdus |5|.

2. Les salaires et retraites des travailleuses sont réduits

L’une des principales variables d’ajustement consiste à réduire salaire et temps de travail des travailleurs/euses du secteur public composé majoritairement de femmes.

Les salaires sont gelés |6| ou réduits (en Estonie, entre 2008 et 2010, les salaires de la fonction publique ont été diminués de 15% |7|), les retraites sont diminuées (en Irlande, une taxe de 7,5% est imposée sur les retraites |8|), les avantages professionnels tels que des primes ou des versements complémentaires comme le 13ème ou le 14ème mois sont sapés, de nombreux postes à temps complet sont convertis en temps partiel, le recours au congé sans solde se généralise (en Roumanie, les salarié-e-s ont été contraint-e-s de prendre deux semaines de congés sans solde en 2009 |9|),…

En Belgique, les femmes travaillant comme aides familiales ou dans le nettoyage des bureaux autant du privé que du public, alors qu’elles travaillent déjà bien souvent à temps partiel, ont vu leur temps de travail encore diminuer |10|.

Ces pertes de salaire obligent bien souvent les femmes à cumuler des emplois ou à alterner, comme en Angleterre, leur temps de travail avec celui de leur conjoint : alors que l’un-e travaille de jour, l’autre travaille de nuit pour éviter de devoir allouer une partie de leurs revenus à la garde de leurs enfants…

L’actuelle précarité des femmes retraitées est encore accentuée. Toujours plus de femmes vivront l’enfer d’une vieillesse démunie alors qu’elles auront travaillé toute leur vie. Non seulement le montant des pensions diminue mais l’âge de la retraite pour les femmes sera retardé, comme en Autriche où en 2014, les femmes, au lieu d’arrêter de travailler à 57 ans devront attendre leurs 60 ans, tandis qu’en Italie elles devront continuer à trimer jusqu’à leurs 65 ans à partir du 1er janvier 2012 |11| !

Notons qu’en France, notamment à cause de la généralisation du travail partiel (or, qui dit travail partiel, dit retraite partielle !), les retraites féminines sont 40% inférieures à celles des hommes tandis qu’en Pologne, les femmes perçoivent une retraite moins élevée que le salaire minimum déjà extrêmement faible.

Diminution des salaires et des retraites amplifie l’écart salarial entre les femmes et les hommes. Actuellement, à travail et responsabilités égaux, les femmes européennes gagnent en moyenne 18% de moins que leurs collègues masculins. Dans certains pays comme en Estonie, l’écart salarial atteint 30% |12|. En Belgique, il est actuellement de 21% |13|.

3. La crise de la dette accentue le phénomène de précarisation de l’emploi féminin en Europe

La baisse des revenus du ménage générée par la récession pousse les gens des classes populaires à accepter des emplois qui se situent largement en deçà de leurs qualifications professionnelles et/ou de leur niveau d’étude le plus souvent assortis d’un niveau de pénibilité s’accroissant (travail à pause, de nuit, coupé, avec déplacements non pris en compte – cf. secteur des titres services). Ce phénomène est particulièrement vrai pour les femmes (et plus spécifiquement encore pour les mères) qui ont plus de difficultés que les hommes à accepter des emplois qui ne leur permettent pas de concilier vie professionnelle et responsabilités familiales (ex. travail éloigné de leur domicile, difficilement accessible et/ou dont les horaires ne sont pas compatibles avec ceux des structures scolaires et parascolaires).

Ainsi encore plus aujourd’hui qu’hier, les femmes sont majoritaires dans les emplois précaires (cf. les temps partiels, les contrats à durée déterminée – CDD-, le travail intérimaire ou encore informel) |14|. Non seulement ce sont précisément ces emplois-là qui sont les premiers supprimés en cas de licenciement mais en plus, ils ne permettent pas ou peu aux travailleuses d’accéder à la protection qu’offrent la législation du travail et la sécurité sociale. Bien souvent, les travailleuses précaires sont privées des conditions relatives à la protection durant la grossesse ou au congé de maternité ainsi qu’aux autres formes majeures de protection sociale.

La dégradation des conditions de travail des femmes accentue cette précarisation de l’emploi féminin. Des pressions sur les conditions de travail ou des conditions de travail bradées, une intensification de la charge de travail (tentative de suppression ou de diminution des temps de pause, réductions des effectifs, …), une flexibilisation accrue des horaires qui intensifie la crainte et le stress dus à la difficulté de prévoir son emploi du temps, de pouvoir concilier vie professionnelle et vie privée, une exigence de polyvalence non accompagnée d’une quelconque formation…Tout cela mène à un véritable épuisement au travail qui n’est pas sans conséquence pour la santé des femmes.

Dans l’Europe tout entière, la crise de la dette est bel et bien synonyme de précarisation financière, physique et psychologique du travail des femmes, d’augmentation de leur pauvreté (cf. un nombre grandissant de travailleuses ont les revenus inférieurs au seuil de pauvreté) et de perte d’autonomie financière, élément fondamental de toute réelle émancipation des femmes.

Notes

|1| European Women’s Lobby, « Women, the Financial and Economic Crisis – the Urgency of a Gender Perspective”, September 2009, http://www.womenlobby.org/spip.php?...

|2| Ibid.

|3| Oxfam International/ European Women’s Lobby, “Women’s poverty and social exclusion in the European Union at a time of recession – An Invisible Crisis ?”, March 2010, p.15, http://www.oxfam.org.uk/resources/p...

|4| Trades Union Congress, « Bearing the brunt, leading the response – Women and the global economic crisis”, March 2011, London, p.7, http://www.tuc.org.uk/extras/TUC_Gl...

|5| Ewa Charkiewicz, « L’impact de la crise financière sur les femmes d’Europe Centrale et de l’Est », Awid, mars 2010, p. 8-9, http://www.awid.org/fre/Library/L-i...

|6| Sous la pression de la crise de la dette, partout en Europe, l’indexation automatique des salaires, qui bénéficie surtout aux petits revenus et donc majoritairement aux femmes, est remise en cause.

|7| Confédération européenne des syndicats – CES, « Enquête du 8 mars 2011 – Section III. L’impact de la crise économique sur l’emploi féminin », mars 2001, p. 18, http://www.etuc.org/IMG/pdf/8_March...

|8| Ibid

|9| Confédération européenne des syndicats – CES, Op. Cit, p. 19.

|10| Confédération des syndicats chrétiens – CSC, « Femmes Vs Crise », p. 3-5, http://www.world-psi.org/TemplateEN...

|11| D. Millet, E. Toussaint (ss la dir.), « La dette ou la vie », CADTM/Ed. Aden, juin 2011, Bruxelles, p.343-358.

|12| European Women’s Lobby, « Women, the Financial and Economic Crisis – the Urgency of a Gender Perspective”, Op.Cit.

|13| Confédération des syndicats chrétiens – CSC, « Femmes Vs Crise », Op. Cit, p. 17.

|14| En Europe occidentale, entre un quart et un tiers de la main-d’œuvre travaille actuellement dans le cadre de contacts provisoires et/ou à temps partiels, en particulier au Royaume-Uni, en Hollande, en Espagne et en Italie. W. Harcourt, « L’impact de la crise financière sur les femmes d’Europe occidentale », Awid, mars 2010, p. 8-9.

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