Buena Suerte companero !
Dimanche passé, c’était, à quelques milliers de kilomètres du Chili, une autre étape dans la vie de Québec Solidaire. L’autre Gabriel, notre Gabriel, a remporté son pari en mettant de l’avant une plateforme électorale qui se veut inclusive, modérée, capable de mordre sur une partie de l’électorat qui n’est pas hostile au changement, mais qui reste encore sensible aux arguments à l’effet que QS cache un sombre complot d’ultra-gauche. On verra dans l’année électorale qui approche ce qui va arriver. Un peu comme au Chili, QS a de la difficulté à sortir de son « périmètre » qui est surtout composé de jeunes professionnels et d’étudiant-es dans les grands centres urbains.
Bonne chance camarades !
Au Chili comme au Québec, les obstacles sont immenses pour entreprendre un processus de transformation. Souvent, on a tendance à gauche à sous-estimer l’adversaire, à ne pas bien comprendre la profondeur et l’étendue de ses capacités hégémoniques. Pour gouverner, la droite emploie bien sûr la répression et la politique de la peur, mais elle fait plus que cela, en s’appuyant sur les traditions conservatrices (plus palpables pour les aînés), la « sécurité du statu quo » (on a peur du changement) et des idéologies plus réactionnaires à saveur religieuse, ethniques, voire racistes. Une partie substantielle des couches populaires et moyennes est sensible à cela, d’où le fait que la droite constitue en réalité le « parti du gouvernement ». Ce n’est pas toujours le cas, car il y a de grandes vagues qui poussent vers le changement, comme on l’a constaté en Amérique du Sud et ailleurs ces dernières années.
Cependant, même quand le gouvernement passe à gauche, la droite ne désarme jamais. Elle utilise les énormes pouvoirs qu’elle détient dans la sphère économique et les médias. Elle essaie de saboter, de retarder, d’empêcher les nouveaux gouvernements de légiférer. Ici au Québec, c’est ce qu’on a vu, notamment lors de l’élection du premier gouvernement péquiste en 1976. Au bout du compte, la droite n’hésite pas une seule seconde à transgresser les règles de la démocratie quand elle sent le péril, soit en manipulant les processus, soit en utilisant la force.
Les deux Gabriel et leurs partis respectifs sont bien sûr informés de cette situation. Mais d’autres problèmes surgissent souvent. La polarisation droite-gauche aboutit à des alignements changeants où pour progresser sur la scène électorale, la gauche doit mettre de l’eau dans son vin, rallier le centre. Cela ne fait pas plaisir à tout le monde, dont la frange plus radicale qui ne veut pas trop reculer sur le projet de transformation. Dans le système politique qui prévaut cependant, il n’y a pas vraiment de choix, du moins si la gauche aspire à gouverner. Accuser les chefs de « trahison » est alors fantaisiste, du moins si on accepte la réalité politique telle qu’elle est (pas telle qu’on la voudrait).
Si la voie de la modération finit généralement par s’imposer, cela n’est pas la fin de l’histoire non plus. De compromis en compromissions, on perd le fil. La gauche socialiste et social-démocrate dilue son programme, rabaisse ses ambitions. Elle doit assurer la « stabilité » du système, ce qui empêche de grandes réformes pourtant nécessaires. Elle doit avaler la couleuvre imposée par un dispositif international qui fait payer cher ceux qui transgressent les règles.
En tout et pour tout, les deux Gabriel représentent cette génération venue de la vague de luttes qui a monté depuis une dizaines d’années. Elle a été aguerrie par des mobilisations de grande envergure. Elle a observé les avancées mais aussi les échecs de la « vieille gauche » sans nier les acquis que les résistances d’antan ont accumulé. Elle est sensible à la complexité des rapports de forces. Elle estime que la gauche d’aujourd’hui doit être féministe, écologiste, intersectionnelle. Ce sont des avancées.
Il faut faire attention cependant. Il est périlleux de tout miser sur le processus électoral qui est en réalité une partie seulement de la lutte pour la démocratie et le changement. Dans une large mesure, le rapport de forces se construit sur une autre arène, à travers les résistances populaires. Un parti de gauche, tout aussi compétent qu’il peut être, n’est pas un substitut à une force populaire organisée, consciente d’elle-même, reposant sur les processus d’auto-organisation à la base. Si on ne tient pas compte de cela, on s’illusionne sur la capacité de changer le système de l’intérieur et on sous-estime les capacités des forces de réaction de manipuler le tout pour en fin de compte préserver le statu quo.
Une fois dit cela, contrairement à une autre illusion qui exerce également son influence, le changement ne vient pas seulement des moments de confrontation. C’est la plupart du temps le résultat de processus prolongés, presque moléculaires, une accumulation lente où il y a des avancées et des reculs. Les victoires de la gauche, électorales ou non, ne sont pas autre chose qu’un reflet du basculement des rapports de forces dans la société, ce qui est généralement impalpable. Sans renier ses ambitions, la gauche doit fonctionner sur un horizon à long terme.
Ceux qui ont mieux compris cela sont les Zapatistes dans les communautés mayas qui se sont constitués en gouvernements par et pour le peuple dans le Chiapas. « Nous courons un marathon, et non un sprint », disent-ils. Ils se méfient avec raison des solutions « miracles », des partis « miracles » et des élections « miracles ». Ils résistent et construisent pas par pas, sans arrogance et sans prétention.
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