Au-delà de l’impuissance ou du fatalisme qui marqueront inévitablement la réaction de n’importe lequel d’entre nous au Québec, comment ne pas voir qu’il s’agit d’un terrible révélateur : celui de l’indicible horreur d’une guerre dont le commandement militaire US cherche par tous les moyens à minimiser la portée ?
L’affaire n’a en effet rien d’anodin ou d’une bavure malheureuse et exceptionnelle. Car ce n’est pas la première fois que la presse nous rapporte de tels événements. En novembre dernier, à Adhita, 24 civils avaient péri en guise de vengeance quant à une tentative d’attentat. Et tout le monde se souviendra des tortures et crimes sadiques commis par des soldats états-uniens contre les prisonniers irakiens de la prison d’Abou Graïb, fin 2003 début 2004.
C’est que la guerre en Irak -fût-elle aperçue depuis l’irréalité confortable de nos écrans de télé- n’est pas une partie de campagne, et ne pourra jamais l’être. Y compris pour la première puissance du globe qui prétend la mener au nom de « la démocratie » et de « la liberté ». Non seulement parce que, comme toute guerre, elle entraîne son lot inévitable de calamités, mais aussi parce que les conditions dans lesquelles elle s’est déchaînée et perdure aujourd’hui lui ont ôté toute véritable légitimité et surtout ne cessent d’en exacerber le potentiel explosif, laissant loin derrière elle toute amorce de paix juste et véritable.
Guerre préventive
Il faut le dire et le redire, depuis le 11 septembre 2001, la guerre menée par les USA et leurs alliés n’a pas même la prétention d’installer la paix. Elle se veut préventive et se conçoit dans la durée, comme une guerre permanente menée contre cet insaisissable ennemi bâti sur mesure qu’est devenu le terrorisme. Avec son lot de conséquences inévitables : montée des politiques sécuritaires, rétrécissement des espaces démocratiques, militarisation de la vie sociale et bien sûr guerre ouverte.
Pas étonnant, dès lors, que les responsables de l’armée états-unienne ou des politiques américaines fassent, sans vergogne, dans l’obscène, image de cette « barbarie soft » dont les USA semblent se faire une spécialité. Un obscène d’autant plus monstrueux qu’il n’apparaît pas pour ce qui est. Car l’indécent, ce n’est pas seulement se vautrer dans une guerre d’occupation injuste, mais aussi en masquer la réalité, en subvertissant tous les mots qui la nomment .
L’éthique à la rescousse
Alors, pour faire taire les critiques qui montent de toutes parts, on refera le coup d’Abou Graïb, mais en mieux : pas seulement pincer quelques sous-fifres et blanchir tout le haut commandement en évoquant suavement les inévitables « dommages collatéraux ». Non, cette fois-ci on annoncera haut et fort qu’on donnera dans les prochains mois aux soldats états-uniens en Irak « un cours d’éthique intensif ». Oui, vous avez bien lu : « un cours d’éthique intensif ». C’est que de la sorte on fait d’une pierre, deux coups. Ce ne sont pas les politiques de guerre impériale qui font problème et qu’on cherche ainsi à solutionner. Non, c’est la façon dont les soldats se comportent individuellement et moralement sur le terrain. De quoi faire de l’éthique le cache-sexe vertueux de politiques impériales abjectes ! Le « bout du bout », non ?
À l’heure de « la rectitude politique » et du « tout à l’éthique », l’obscénité n’est peut-être pas là où on l’imagine !