Édition du 17 décembre 2024

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Politique québécoise

Les arts selon Legault-Sirois - Un approfondissement de l’approche affairiste

La Coalition pour l’avenir du Québec (CAQ) du duo Legault-Sirois a récemment dévoilé son projet de politique des arts et de la culture. À la lecture du document présenté à cette fin, il est clair pour les créateurs/créatrices et les artistes que l’opposition aux politiques néolibérales de marchandisation des arts ne viendra pas de cet horizon. Au contraire, l’approche de la CAQ approfondira les tendances en ce sens.

Le document de la CAQ définit les arts et la création comme un “élément essentiel de notre développement identitaire.” Un tel énoncé encadre ce que la CAQ conçoit comme l’orientation générale de la création. Est-ce que cela signifie que ce qui n’entre pas dans ce cadre, des collaborations avec des artistes étrangers ou le métissage par exemple, n’obtiendrait pas le soutien de l’État ? Assimiler la création artistique à un cadre déterministe comme la mission de définir l’identité d’un peuple revient à encadrer de façon étroite son orientation, à instrumentaliser son développement. Les artistes n’ont pas besoin de nouvelles contraintes en matière d’orientation artistique. L’interprétation du monde du point de vue de l’artiste n’a pas à être contrainte par un cadre, national ou autre.

Le document de la CAQ poursuit dans sa définition de la place des arts dans la société québécoise à travers la lorgnette du développement économique. Les arts, selon la CAQ, “perce de plus en plus les marchés étrangers”, ils sont “une source de développement économique”. La CAQ entend ainsi “imprimer une direction nouvelle à la politique culturelle. L’objectif visé est d’accroître davantage le flux positif des échanges culturels du Québec.” Que faut-il comprendre de cette approche ? Que les seules créations valables seront celles qui sont “exportables” ?

Conséquemment, l’orientation de la CAQ vise deux objectifs : stimuler la demande culturelle au Québec ; aider à l’exportation de produits culturels.

Afin de “stimuler la demande intérieure”, la CAQ propose d’augmenter les budgets des milieux scolaires dédiés aux arts de 50 millions $. Objectif intéressant mais, si le produit présenté dans ce cadre est à l’image des créations visées par la CAQ, le milieu n’aura droit qu’à des créations formatées, “staracadémisées”. De plus, l’accès aux arts ne se résume pas au seul milieu scolaire. Enfin, on projettera l’approche affairiste des arts : l’artiste-entrepreneur.

En deuxième lieu, la CAQ propose de hausser de 75 millions $ l’aide à l’exportation. La troisième mesure annoncée consiste à injecter 25 millions $ additionnels dans les budgets des grands événements internationaux tels le Festival de jazz de Montréal, le Festival d’été de Québec, etc., des événements dont la vocation se résume à générer des retombées touristiques. Cette orientation vient concrétiser les revendications des grands événements regroupés pour la plupart dans le RÉMI (Regroupement des événements majeurs internationaux) qui sont davantage préoccupés par les retombées pour les secteurs du tourisme, de l’hôtellerie et de la restauration que par une orientation artistique digne de ce nom.

La création profitable

Quels sont les impératifs d’une politique artistique selon la CAQ ? Ce qu’il faut comprendre des orientations de la CAQ, c’est que les arts devront être dorénavant rentables, exportables, formatés selon un certain modèle correspondant aux besoins de l’industrie de la diffusion (médias, radio/télé/web, galeries d’art, théâtres, salles de concert, etc.). Les créations devront entrer dans le moule d’un art capable de s’inscrire dans les créations jetables, impératif crucial pour accélérer la consommation des produits culturels.

De cette façon, le secteur privé pourra imposer ses critères. Par exemple, un important commanditaire pourra influencer une certaine approche de l’orientation artistique d’un événement afin de faire en sorte que l’activité rejoigne certaines clientèles de façon à rentabiliser l’investissement que représente la commandite, et cela au détriment d’une orientation artistique conséquente et authentique. Les orientations récentes des gouvernements du Québec, péquistes et libéraux confondus, ont créé cette situation. En maintenant la situation de sous-financement des organismes artistiques, ces gouvernements les ont littéralement poussés vers la commandite privée avec les conséquences que cela entraine (pression sur la programmation, sites d’événements envahis par la publicité, appropriation des lieux publics, etc.).

Faire abstraction des enjeux réels

Pauvreté chez les artistes, formatage de certaines formes d’art (la musique notamment), droits d’auteurs violés à répétition, (auto)censure, soutien anémique à la relève, autant d’enjeux identifiés depuis longtemps par le milieu des créatrices et des créateurs qui sont absents du document de la CAQ. Déjà au début des années 2000, le Mouvement des arts et des lettres (MAL) soulignait que 75% des artistes sont travailleurs/euses autonomes sans filet social ni avantages sociaux. Que le Conseil des arts et des lettres du Québec (CALQ ) n’avait accordé des bourses qu’à 30% des artistes demandeurs. Que le budget du CALQ pour la relève n’était que de 1 million $ pour 3 500 jeunes diplôméEs des arts de la scène, des arts visuels et médiatiques, une moyenne de 285$ par personne.

La situation n’a guère changé au cours de la récente décennie. Les coupures opérées par les conservateurs au fédéral et l’orientation affairiste des gouvernements péquistes et libéraux ont accentué la tendance. Cette orientation a créé un fossé entre, d’une part, l’industrie dite performante avec des entreprises qui débordent les frontières du Québec comme le Cirque du soleil, le Festival Juste pour rire, Spectra ou Evenko et, d’autre part, les compagnies qui tentent de garder la tête hors de l’eau, trop souvent au prix de compromis artistiques ou de tarifications élevées. Sans mentionner les conditions de travail des artistes et du personnel de soutien dans ce contexte.

Le MAL estimait dans un document produit en 2008 que le rattrapage salarial et la consolidation des organismes artistiques reconnus représentaient un investissement supplémentaire en soutien aux arts de près de 90 millions $ seulement pour les organismes reconnus pour une subvention au fonctionnement. Le rattrapage salarial exigeait une hausse de 7 millions $, le programme de bourses, une hausse de 5 millions $. Les besoins financiers en rattrapage pour les programmes d’aide aux organismes atteignaient près de 30 millions $.

En résumé, les besoins en termes de rattrapage totalisaient près de 140 millions $ en 2008. Nous sommes loin de la coupe aux lèvres avec la politique de Legault-Sirois. Celle-ci risque davantage de creuser le fossé entre les arts appuyés sur une industrie de la performance économique et les créations originales et audacieuses. Entre une élite formatée et une masse de créateurs et créatrices, de salariéEs du secteur des arts qui vivent dans la précarité.

* Les textes cités sont tirés du site du MAL (http://www.mal.qc.ca/). Le Mouvement pour les arts et les lettres, le MAL, représente des milliers d’artistes professionnels, artisans, écrivains et travailleurs culturels qui entendent gagner leur vie par la création, l’exécution et la diffusion d’œuvres dans les domaines de la musique, de la danse, des arts visuels, des arts médiatiques, des arts du cirque, de la littérature et des métiers d’art.

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