Dans une lettre publique (« Une nouvelle route à défricher », Le Devoir, 23 avril 2016), Pierre Karl Péladeau – peu avant sa récente démission comme chef du Parti québécois (PQ) – tendait la main aux autres formations politiques et mouvements citoyens indépendantistes. Il les invitait tous à converger en vue de briser le monopole du pouvoir promis aux libéraux en raison du fractionnement des votes et du système électoral actuel. Cette lettre bien intentionnée, cosignée par la députée Véronique Hivon, doit certes être lue de manière critique, car le PQ s’est trop souvent servi de l’indépendance pour se contenter, une fois au pouvoir, de pratiquer une simple gouvernance de centre-droite, pour ne pas dire carrément de droite.
Toutefois, dans cet appel à la convergence, il faut souligner une autocritique méritoire : « Terminé l’appel aux " brebis égarées ", c’est toute notre approche que nous avons repensée et réinventée, plus que jamais convaincus que cette diversité au sein du mouvement indépendantiste ne constitue pas une faiblesse, mais une véritable force, une étincelle capable de donner un souffle renouvelé à notre grand projet. »
Or, reconnaître que le PQ « n’a pas le monopole de la souveraineté » devrait orienter les efforts vers la mise en œuvre d’une plateforme indépendantiste pluri-partisane et citoyenne visant à définir un programme à ce « grand projet » qui soit à la hauteur des enjeux de société soulevés par les profondes crises – politique, économique et écologique – que nous subissons. Celles-ci sont en effet l’occasion – le « signe des temps » (kairos), diraient les évangiles – d’une interrogation sérieuse sur le sens du projet national. Voulons-nous continuer, en tant que nation, d’être objet passif de l’histoire, manipulés par le courant dominant nous entraînant dans la fuite en avant de la globalisation capitaliste ? Devenir de véritables acteurs de l’histoire n’exige-t-il pas, de manière urgente, de mobiliser les forces citoyennes et démocratiques créatrices ? Nous ne pouvons plus simplement nous rabattre sur le passé – et encore moins sur le présent – comme garants de l’avenir, sauf à vouloir être aplatis par le bulldozer de la globalisation. Face à des forces qui cherchent à tout prix à nous réduire en une masse d’indifférents et d’insignifiants – un vaste troupeau d’individus seulement occupés à survivre, produire et consommer, comme si rien d’autre n’importait –, nous devons mettre au centre de nos préoccupations le sens même de l’existence nationale.
J’inscris cette réflexion sous l’horizon d’un écrit du philosophe Karel Kosik, publié durant le Printemps de Prague, en 1968, avant l’occupation soviétique, dans l’hebdomadaire de l’Union des écrivains tchécoslovaques Literarny Listy. « L’existence, la survie en elle-même, ne peuvent pas fournir à la nation un programme, ni la fonder en signification. Là où le simple fait d’exister devient tout, la nation se trouve réduite à rien – c’est-à-dire à une survie d’unité biologique, de créature née des hasards de l’histoire. Mais ce qui est réellement en jeu c’est le sens de cette existence. […] L’existence d’une nation se conçoit comme un programme, une tâche se renouvelant sans cesse » (« Notre crise actuelle » dans A.-J. Liehm [dir.], Socialisme à visage humain, éd. Albatros, Paris, 1977, p. 50).
La fondation politique – jusqu’à maintenant ajournée – de la nation québécoise me semble une réponse collective en résonance avec notre époque. Une réponse qui doit tourner le dos à l’embourgeoisement consumériste qui a servi à ratatiner l’être humain en consommateur et en client, oubliant qu’il est habité par le souci du commun. Une réponse « radicale » en ce qu’elle touche à la « racine » de la crise politique, économique et écologique actuelle en cherchant à arracher le pouvoir des mains d’une oligarchie financière et technocratique qui n’a de cesse de transformer le monde en réservoir de sa richesse et de mettre la société au service des sociétés cotées en bourse.
Le slogan du Parti libéral du Québec, « S’occuper des vraies affaires », en est l’expression locale, carburant à la dépolitisation, à la financiarisation de l’économie et à la banalisation de la crise écologique comme si celle-ci n’était, justement, qu’une occasion d’affaires.
Ainsi, la crise actuelle nous confronte à l’urgence de reposer la question du sens de la nation. Cela exige de revisiter le modèle social et coopératif québécois en l’orientant résolument dans le sens d’un modèle de développement et de production écologique et solidaire assurant une protection institutionnelle des biens communs. Cela ne peut que passer par l’institutionnalisation d’une démocratie participative qui mobilise les forces vives de la société à travers des forums citoyens et, en particulier, une assemblée constituante en vue de fonder la nation sur des bases démocratiques solides.
Si c’est cela que le PQ appelle de ses vœux, tendre la main ne suffit pas. Il faut rejoindre la base et converger vers un vaste mouvement dont les Organisations unies pour l’indépendance (OUI Québec) sont un germe prometteur. Les élections de 2018 venues, la proposition d’Amir Khadir (Presse-toi à gauche, 19 avril 2016) me semble une piste à privilégier : des « primaires sociales » où les forces du mouvement détermineraient le candidat indépendantiste dans leur comté, derrière lequel se rallieraient les partis indépendantistes.