Cela fera bientôt une année que la révolte d’une partie de la population syrienne a débuté. On avance le chiffre de plus de 5 000 personnes tuées, de milliers de blessés et de milliers de réfugiés, de centaines de disparus et d’un nombre non précisé d’emprisonnés.
Loin de se calmer, les choses ne font qu’empirer. Les combats opposant l’armée officielle aux rebelles de l’Armée syrienne libre (ALS) ont atteint les faubourgs de la capitale. Les insurgés ont finalement été contraints par l’armée de se retirer lundi des quelques quartiers qu’ils avaient réussi à occuper à l’Est de Damas.
L’armée avait déjà lancé une attaque, il y a quelques jours, contre les bases de l’opposition à Hama et à Homs. Le but de ces trois offensives est de reconquérir le terrain perdu face à une ALS qui n’est pas une véritable armée, mais qui bénéficie de l’arrivée de militaires déserteurs, de la présence de civils en armes, de la récupération d’armes et de l’aide de forces extérieures.
En dépit de la dureté des affrontements et de l’importance des moyens employés, du côté du pouvoir en particulier, aucun protagoniste n’a réussi jusqu’ici à l’emporter. L’opposition ne parvient pas à renverser le régime qui ne semble pas connaître, pour l’instant, de défections politiques importantes. Ce dernier, de son côté, n’arrive pas à écraser le soulèvement pacifique et armé d’une partie de la population et de l’opposition. Nous nous trouvons dans une situation d’équilibre des forces
Cet équilibre ressemble fort à une impasse. Jusqu’ici, les deux protagonistes ne voulaient pas réellement négocier. Mais le régime est confronté à une rébellion armée qui prend de l’ampleur et qui est soutenue politiquement et militairement par tout ce que le régime baasiste compte d’ennemis et d’adversaires : Etats-Unis, France, Angleterre, Allemagne, Qatar, Arabie saoudite, Turquie, Kurdes d’Irak, opposants irakiens sunnites, opposition libanaise…
Seul Israël semble dans une position de réserve, mais jusqu’à quand ? Le régime se trouve également soumis à des pressions politiques, économiques et financières exercées par Washington, Paris, Londres, Berlin, les régimes arabes et la Ligue du même nom… Il a donc lâché du lest en acceptant la présence d’observateurs envoyés par la Ligue arabe et l’ouverture de discussions informelles avec l’opposition suggérée par Moscou.
L’équilibre des forces mène à l’impasse
En face, l’opposition est divisée. Le Conseil national syrien (CNS) refuse obstinément, depuis plusieurs mois, de négocier quoi que ce soit avec le régime dont il demande invariablement le départ. Il vient d’opposer une fin de non-recevoir à la proposition russe de discussions informelles avec le régime. Le CNS considère que le départ de Bachar El Assad et de son régime constitue une revendication « scellée et non négociable ». Seulement voilà, en politique il ne suffit pas de vouloir, encore faut-il pouvoir.
N’étant pas en mesure de renverser le régime, le Conseil national syrien, dirigé par Burhan Ghalioun, est amené à s’inscrire dans une logique de demande d’intervention étrangère. Celle des armées arabes d’abord. Mais celles-ci risquant d’essuyer un échec militaire face à une armée syrienne beaucoup plus puissante que ne l’était l’armée libyenne, le CNS lance en réalité un appel aux grandes puissances du Conseil de sécurité de l’ONU – à l’OTAN plus précisément – afin qu’elles interviennent militairement. Le CNS a par ailleurs refusé de ratifier un projet d’accord avec l’autre composante de l’opposition, le Comité pour le changement démocratique (CNCD). Il entend être l’unique représentant de l’opposition.
Le CNCD, pour ce qui le concerne, se déclare opposé à la militarisation de la révolte populaire laquelle ne peut que provoquer la mort de nombreuses personnes, en particulier civiles, sans que la chute du régime ne soit garantie. Il rejette également toute intervention étrangère, en particulier occidentale. Il compte apparemment sur la durée de la pression exercée par la population sur le régime pour amener ce dernier ou une partie de ce dernier à négocier. Mais le CNCD semble moins influent en Syrie et n’a visiblement pas réussi à mobiliser le monde du travail qui, par une grève générale, serait en mesure de forcer le régime à faire des concessions substantielles.
La tentation libyenne
Les manœuvres de déstabilisation à l’encontre de la Syrie se sont multipliées ces derniers mois, sous couvert de soutien à la partie de la population réprimée par le régime baasiste. La Ligue arabe, sous hégémonie qatarie et saoudienne, c’est-à-dire américaine, tente de rééditer le scénario libyen pour pousser à une intervention armée de l’OTAN. Elle a retiré ses observateurs de Syrie et refusé qu’ils poursuivent leur mission.
Puis, par l’intermédiaire du Maroc, membre non-permanent du Conseil de sécurité de l’ONU, la Ligue arabe présente un projet de résolution demandant l’arrêt des violations des droits de l’Homme et l’ouverture d’une transition politique prévoyant le départ et le remplacement du président Bachar El Assad. Ni la Ligue, ni les grandes puissances, n’ont jamais demandé à l’opposition (CNS et ALS) de faire preuve de retenue et de négocier. La perspective de mesures de rétorsion est brandie uniquement contre le régime de Damas s’il ne répond pas positivement à la demande du Conseil. Les Etats-Unis et l’UE (essentiellement la France, l’Angleterre et l’Allemagne), la Turquie, le Qatar et l’Arabie saoudite soutiennent la Ligue dans son entreprise.
Cette sainte-alliance n’a jamais demandé au Conseil de sécurité de protéger les populations du Bahreïn, du Sultanat d’Oman, du Yémen et d’Arabie saoudite, confrontées à la répression de leurs régimes respectifs ou à celle d’armées et de polices étrangères (cas du Bahreïn où l’Arabie saoudite a déployé des militaires pour contrer la contestation populaire).
Il est clair que l’unique motivation des grandes puissances occidentales et de leurs relais dans la région, est de briser la chaîne Téhéran-Bagdad-Damas-Beyrouth, en son maillon le plus faible, la Syrie. Le coup serait triple en cas de réussite. Le Hezbollah et la résistance nationale libanaise se trouveraient coupés de leurs arrières stratégiques alors que l’Iran se retrouverait plus que jamais acculé dans le Golfe persique, ses capacités d’intervention au Proche-Orient s’amenuisant considérablement. Les pourparlers entre les Etats-Unis et les Talibans qui s’amorcent sous les auspices du Qatar, et ceux que l’Arabie saoudite s’apprête à lancer entre ces mêmes Talibans et le gouvernement de Hamid Karzaï, confirment la stratégie d’encerclement, de l’Iran chiite, par les sunnites. La Russie, enfin, perdrait son dernier allié stratégique dans le monde arabe.
Confronté à une offensive sans précédent, Damas bénéficie du soutien de la Russie et de la Chine. Moscou et Pékin se prononcent contre toute intervention étrangère, contre des sanctions et contre un changement de régime. Les Russes continuent de fournir des armes à la Syrie. Le parapluie russe tend à devenir vital pour la survie du régime de Bachar El Assad. Que Moscou retire son appui, et les grandes puissances se jetteront, sur la Syrie, comme une meute de chiens de chasse sur leur proie. L’avenir du régime baasiste se joue donc en grande partie à Moscou et à Pékin.
Mais le lancement d’une offensive militaire en Syrie, sans l’aval de la Russie constituerait un pari osé et risqué car susceptible de provoquer une réaction de Moscou (rappelons-nous le précédent géorgien) et le chaos dans toute la région. Aucun pays ne sortirait indemne d’une déstabilisation de la Syrie.
* Paru sur La Nation, Mardi 31 Janvier 2012 :
http://www.lanation.info/Le-point-de-non-retour-approche-en-Syrie_a691.html